La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Don Quichotte"… Merveilleux et trivial dans un chaos étincelant d'illusion et de réalité

"Don Quichotte", Théâtre 13, Paris

Jérémie Le Louët met en scène "Don Quichotte". D'entrée tout est visible. La régie est à jardin. La présence de rails de travelling, d'une caméra girafe, d'un micro-perche, un bric-à-brac de décors en carton-pâte et à roulettes, les portants de vêtements... Tout est à vue.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Le spectateur ne peut ignorer qu'il se trouve dans une mise en scène contemporaine, plus précisément sur un plateau de tournage dont il vit, en effet, en direct, l'agitation, le cahot, la vitalité, les tics et les tocs. Les pitreries et les contre pitreries.

L'action se situe dans un monde de cinéma, de ce burlesque qui lui-même doit tout au music-hall et au théâtre. Le déroulement du récit, qui dans l'original fait près de deux mille pages, est ainsi haché, tronqué. La mise en scène, dans une auto-ironie continue, à l'esprit farcesque évident, plonge le spectateur dans une bien belle mise en abyme.

Il y a la conférence de presse désastreuse, l'interviewé médiocre et vaniteux, la direction d'acteur tâtonnante, la remise d'un prix de la profession. Les scènes mal réglées, bricolées, les ratages, déconstruisent toute illusion et élaborent comme une critique de la société du spectacle qui dévore ses enfants.

Mais force du Théâtre, Art de tous les arts, jaillit, dans une trajectoire rigoureuse, comme un phénix, l'histoire du chevalier à la triste figure.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Celle d'un certain Quijada ou Quesada ? Ou bien Quijana ? Ou plutôt Alonso Quijano le Bon, robuste hidalgo, communément appelé Don Quichotte, "dont la mort ne put triompher de sa vie lors de son trépas, […] tirant son crédit et sa gloire de mourir sage et vivre fou".

L'aventure tourne en rond mais d'épisodes en épisodes, portée par la vitalité des comédiens, elle prend l'allure d'une épopée de chevaliers errants. Don Quichotte envahit, par surprises successives, l'espace et le temps de la représentation, et avec lui tous ses avatars. Le chevalier au casque de plat de barbier revêt le heaume et la cotte de mailles qui jette des éclairs. Qu'il soit Roland, Amadis ou Siegfried. À cet égard, la scène des moulins (des géants) (qu'il faut savoir ne pas décrire) est une apothéose.

Le merveilleux et le trivial se heurtent dans le chaos étincelant de l'illusion et de la réalité. Tant et tant qu'à la fin homme à la triste figure et chevalier de rêve tout à la fois, Don Quichotte devient une Légende Vivante, rattrapée (au grand étonnement de la personne) par la réalité de sa propre fiction.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Légende certes jouée, farcie par les puissants mais bien plus forte que la satire et la dérision qui veulent l'accabler. Car Don Quichotte court au-devant de lui-même. À la fois sujet et objet d'étonnement et d'admiration. Objet de conscience et de divertissement.

Et le spectateur, par ce qu'il est spectateur de Théâtre, se découvre compagnon d'un vagabond des chimères, d'un lecteur fou de romans de chevalerie à l'imagination elle aussi folle. Et c'est en serviteur d'un chevalier errant dans la province de la Mancha qu'il pérégrine avec plaisir dans l'espace du théâtre. Comme un certain Sancho Pança son voisin, lui aussi valet en délire et ami fidèle.

Dans cette proposition l'humour est constant, le rythme élastique et, dans son apparente trahison, la fidélité à l'œuvre est totale.

"Don Quichotte"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
D'après Miguel de Cervantès.
Mise en scène : Jérémie Le Louët.
Adaptation : Jérémie Le Louët.
Avec : Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie Le Louët, David Maison, Dominique Massat.
Avec la participation des régisseurs : Thomas Chrétien, Simon Denis, Xavier Hulot et Tom Ménigault.
Collaboration : artistique Noémie Guedj.
Scénographie : Blandine Vieillot.
Construction : Guéwen Maigner.
Costumes : Barbara Gassier.
Couture : Lydie Lalaux.
Vidéo : Thomas Chrétien, Simon Denis et Jérémie Le Louët.
Lumière : Thomas Chrétien, Son Simon Denis.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Par la Compagnie des Dramaticules.
Durée : 2 h 05 sans entracte.
Conseillé à partir de 13 ans.

Du 8 septembre au 9 octobre 2016.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Théâtre 13/Seine, Paris 13e, 01 45 88 62 22.
>> theatre13.com

Jean Grapin
Mercredi 14 Septembre 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023