La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Dom Juan" par Sivadier… Une approche de perfection formelle portée par l'excellence des comédiens

"Dom Juan ", Théâtre de l'Odéon, Paris

Jean François Sivadier met en scène "Le Festin de pierre" ("Dom Juan") que Molière créa durant une période de Carnaval. Et à l'évidence, le personnage principal n'est pas celui qu'on croit. Car Don Juan (Nicolas Bouchaud), rejeton d'une grande lignée, qui fait ostentation de méchanceté et d'impiété, est en cavale après qu'il ait enlevé, séduit et abandonné une jeune fille.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Il a en face de lui un valet des plus étranges, Sganarelle (Vincent Guédon), qui, bien qu'obéissant et fidèle, n'est pas payé, survit en vantant, à la sauvette, les bienfaits du tabac, en revêtant en cachette un habit de médecin. L'homme dissimule avec difficulté une profonde révolte intérieure, prend à témoin le Ciel et le Public, semble rechercher désespérément une complicité pour s'extirper du guêpier où il se trouve, fume nerveusement tout le tabac qui constitue sa fortune.

Dans cette mise en scène, Sganarelle capte l'attention et sa présence, des plus expressives, modifie en permanence la perception qu'a le spectateur sur l'ouvrage représenté.

La cavale est courte, vingt-quatre heures au plus, mais elle est intense et chaotique au vu de la quantité d'événements qui se succèdent, tous en rupture les uns des autres. Le Méchant avance vers l'Enfer, le compte à rebours est lancé. Et Sganarelle ne rate pas une occasion pour laisser entendre par ses mimiques, ses allusions, ses confidences, ses mensonges, tout le mal qu'il pense et ne peut dire. Il y a dans la souffrance à servir de Sganarelle une théâtralité immédiate et spontanée. Comme un besoin vital de vérité. Il se pourrait bien que l'histoire délivre le point de vue de Sganarelle lui-même.

Il apparaît très vite que Don Juan exploite Sganarelle comme si le valet lui était indispensable pour conduire des expériences de provocations et de blasphème, pour tester les limites et convertir les représentants du genre humain à une pensée libre de toute superstition : ce qu'il semble ne pas réussir.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Le piquant de l'histoire, c'est que les situations se renversent. Les certitudes rationalistes de Don Juan vacillent au fur et à mesure que Sganarelle se découvre des pouvoirs en matière de médecine, lorsque celui-ci découvre dans le tombeau de l'homme que son maître a assassiné la vie des spectres. Les deux sont alors pris par le vertige de l'irrationnel. La puissance et l'énergie de Don Juan tournent à vide et tout disparaît dans un anéantissement inexpliqué.

La pièce fait appel de manière substantielle à la machine du Théâtre, et Jean François Sivadier en exploite toutes les ressources, son deus ex machina est sur-présent, sa matérialité des plus évidentes. Appuyant, ponctuant un texte dont les intermèdes et les lazzis sont densifiés et transposés en langage contemporain. C'est un festival qui, au-delà de Molière, exploite les images du mythe Don Juan en citant Don Giovanni, Sade etc. D'une certaine manière, cette conception retorse de la scénographie qui exploite toutes les capacités de propagation comique, qui repousse les limites de la farce et du tréteau, qui montre les apparences et les reflets de ce qui n'est pas montré, les effets sans les causes, conduit jusqu'à l'absurde et prend le risque de l'encombrement, et la saturation de l'espace et du temps de la réflexion.

Tout se passe comme si, par les moyens de la farce, le metteur en scène mettait à plat tous les signes de la théâtralité pour reconstruire, à partir du personnage de Sganarelle, une pièce souterraine dont le spectateur percevrait la vérité. Celle d'un Théâtre vidé de toutes ses conventions de divertissement, exprimant une forme de manifeste dans la toute-puissance du Théâtre et de son mystère. En cela fidèle à Molière qui ravale au rang de simagrées et de superstitions toutes les théâtralités en œuvre dans la société.

Telle qu'elle se présente, cette mise en scène de "Dom Juan" approche une perfection formelle, met à jour la dimension polémique de l’œuvre mais reste menacée par une certaine monotonie.

Cela est inconfortable pour le comédien qui joue le rôle de Don Juan mais Nicolas Bouchaud, dans sa vigueur, sa prestance et son ironie, conduit la traversée du rôle de main de maître ; Vincent Guédon s'inscrit sans heurts dans la grande lignée des Sganarelle et les seconds rôles excellent dans la farce et le tréteau.

Le spectateur est placé devant le cas Molière et s'aperçoit que c'est lui qui tient le rôle principal.

"Dom Juan"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte : Molière.
Mise en scène : Jean-François Sivadier.
Avec : Marc Arnaud, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Vincent Guédon, Lucie Valon, Marie Vialle.
Collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit.
Scénographie : Daniel Jeanneteau, Jean-François Sivadier, Christian Tirole.
Lumière : Philippe Berthomé.
Costumes : Virginie Gervaise.
Maquillages, perruques : Cécile Kretschmar.
Son : Eve-Anne Joalland.
Durée : 2 h 30.

Du 14 septembre au 4 novembre 2016.
Du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h.
Théâtre de l'Odéon, Paris 6e, 01 44 85 40 40.
>> theatre-odeon.eu

Jean Grapin
Jeudi 22 Septembre 2016

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024