La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Dialogue avec Gisèle Halimi… Comme un parcours initiatique pour devenir femme… et "Niquer la fatalité"

Création multidisciplinaire, sujette à une indéniable identification à la sphère féminine et, ici, en plus, à l'idéal féministe associant une figure emblématique, au sens référentiel et constructif du terme, que peut être Gisèle Halimi et une musicienne, comédienne, chanteuse, puissante et exigeante, aux convictions affirmées, qu'est Estelle Meyer. Pour cette dernière, Gisèle est une compagnonne de lutte, une marraine rêvée, indispensable au cœur de la sororité des combattantes.



© Emmanuelle Jacobson-Roques.
© Emmanuelle Jacobson-Roques.
Commence un petit monologue sur l'autre, le contact, la relation, la fragilité, la naissance, la mise au monde… Trinquer à la vie, niquer la fatalité. Puis Estelle Meyer nous emmènera dans l'histoire de l'avocate franco-tunisienne, dans un premier temps de l'enfance à l'adolescence (notamment sont narrées la grève de la faim de Gisèle pour se libérer du patriarcat familial ou la "première fois" racontée sans tabou, ni vulgarité), puis dans le chemin suivi à l'âge adulte. Estelle agrémente le récit de ses chansons (créées pour le spectacle) et d'un judicieux basculement entre l'incarnation de l'avocate féministe et les expressions tout autant empreintes de féminisme de l'artiste.

Moment charnière dans le spectacle, la séquence du procès d'Aix-en-Provence en 1978 où Gisèle Halimi défend deux femmes homosexuelles violées dans les Calanques à Marseille. Débats autour du mot consentement. Ce sont les femmes qui doivent se défendre pour dire qu'elles n'ont pas consenti, qui doivent faire reconnaître leur droit à dire non. Y a-t-il consentement quand la violence initiale a été reconnue ?

© Emmanuelle Jacobson-Roques.
© Emmanuelle Jacobson-Roques.
Ce procès "retentissant à l'époque", qui sera "LE" procès du viol, mais aussi celui du début de la lente déconstruction du tabou de l'homosexualité (malheureusement non finalisée) -, contribuera à faire reconnaître par la loi le viol comme un crime passible des assises. Deux ans après, la loi du 23 décembre 1980 pénalise pour la première fois le crime de viol et le redéfinit au-delà de la seule relation vaginale imposée. C'est désormais "l'acte de pénétration" qui le caractérise.

"L'enjeu est très important, expliquait alors l'infatigable combattante pour la cause des femmes, ce n'est pas un procès de viol l'enjeu, ce n'est pas une condamnation ou un acquittement, l'enjeu, c'est changer les rapports fondamentalement entre les hommes et les femmes".

Estelle Meyer a indéniablement le sens de la scène, jouant de multiples postures et figures chorégraphiques - remarquablement "scénographiées" - avec, à la fois, une grande précision et une indépendance espiègle. Ses mouvements, ses déplacements, ses pas de danse sont souples, fluides, sensuels et félins. Artiste aux multiples talents, sa voix, riche d'énergie et de tonalités dynamiques, s'amuse avec facilité et avec une grande maîtrise tant des chansons qu'elle a composées que des monologues ou harangues féministes qu'elle projette avec enthousiasme et une certaine "joie".

"Niquer la fatalité" est une incarnation délurée, enthousiaste, énergique, vraiment rock'n'roll de la cause des femmes, passée et à venir, par une artiste exceptionnelle, capable de tout, abordant tous les sujets la touchant, du sexe à la philosophie en passant par une forme d'incandescente spiritualité. Un parti pris libre, indépendant, hors normes et hors des cadres habituels du théâtre, pour trouver une nouvelle liberté, féminine, sans contrainte, pour exprimer la conviction profonde d'une artiste et femme jusqu'au bout des tréfonds de l'âme et des sensibilités du corps.

"Entendez-vous le chant des femmes/entendez-vous gronder nos âmes/sortir nos cœurs, nos chants, nos armes/jaillissent nos sœurs emplies de flammes/nous sommes debout, nous sommes les femmes/nous ne voulons plus de ce monde infâme/il faut que sonne la fin du drame/que s'aiment enfin les hommes et les femmes…"

"Niquer la fatalité, chemin(s) en forme de femme"

© Emmanuelle Jacobson-Roques.
© Emmanuelle Jacobson-Roques.
Création 2023.
Conception, texte, jeu et chant : Estelle Meyer.
Mise en scène et dramaturgie : Margaux Eskenazi.
Composition musicale : Estelle Meyer, Grégoire Letouvet et Pierre Demange.
Arrangements musicaux : Grégoire Letouvet et Pierre Demange.
Scénographie : James Brandilly.
Chorégraphie : Sonia Al Khadir.
Piano, clavier : Grégoire Letouvet en alternance avec Thibault Gomez.
Batterie, percussions : Pierre Demange en alternance avec Maxime Mary.
Régie son et direction technique : Thibault Lescure en alternance avec Guillaume Duguet.
Création et régie lumière : Pauline Guyonnet, régie en alternance avec Fanny Jarlot.
Création costumes : Colombe Lauriot Prévost.
Collaboration, accompagnement et développement : Carole Chichin.
Création mars 2023, Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine.
Durée estimée 1 h 45.
À partir de 12 ans.
Production La Familia.

© Emmanuelle Jacobson-Roques.
© Emmanuelle Jacobson-Roques.
Du 18 au 23 septembre 2023.
Du lundi au vendredi à 20 h, samedi à 17 h 30.
Dates supplémentaires : lundi 25 et mercredi 27 septembre à 20 h.
Les Plateaux Sauvages, Paris, 01 83 75 55 70.
>> lesplateauxsauvages.fr

Tournée
13 et 14 février 2024 : Théâtre des Îlets - CDN, Montluçon (03).
8 mars 2024 : Théâtre Berthelot, Montreuil (93).
10 mars 2024 : Le Pavillon, Romainville (93).
15 mars 2024 : La Ferme de Bel Ébat, Guyancourt (78).
19 mars 2024 : Théâtre Le Rive Gauche, Saint-Étienne-du-Rouvray (76).
26 mars 2024 : L'Atmosphère, Marcoussis (91).
28 mars 2024 : Le Grand R, La Roche-sur-Yon (85).
16 avril 2024 : Scène Nationale 61, Alençon (61).

Gil Chauveau
Samedi 16 Septembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | À l'affiche ter


Brèves & Com


Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023