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Théâtre

"1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes" : une leçon d’intense plaisir (+ Interview de Jacques Gamblin)

Jusqu'à présent, nous en avons très peu parlé. Et pourtant, c’est un comédien qu’on aime particulièrement. Rares d’ailleurs ceux qui ne s’inclinent pas devant son talent d'auteur et d'acteur. Certainement parce qu’au cinéma comme au théâtre, Jacques Gamblin est là où on ne l’attend pas. Avec son dernier spectacle qu’il écrit, co-dirige, joue et co-produit (rien que ça !), c’est dans une salle de sport qu’il (nous) entraîne (en compagnie de) Bastien Lefèvre. L'un en tant que coach, l'autre en tant qu'athlète. La leçon est intense !



© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Toujours sur une corde raide, Jacques Gamblin réussit à réunir encore une fois deux entités antinomiques, deux arts paradoxaux : la danse et le théâtre. Paradoxaux, car en danse, le sens vient après ; au théâtre, on cherche l’histoire avant tout le reste. Entre un Bastien Lefèvre confiant que le sens va arriver et un Jacques Gamblin inquiet qu’il n’arrive pas, c’est sur ce fil, dans cette "recherche infinie de l’équilibre et de la confiance" que ce spectacle se co-construit, sur scène comme dans sa mise en scène.

Avec Gamblin, il s’agit toujours de petites histoires, celles de fragments de vie regardés à la loupe et qui racontent une aventure humaine. Son auteur aime qu’une histoire soit racontée sans qu’on sache comment elle s’est racontée. "C’est mon truc", confie t-il après le spectacle. C’était déjà le cas dans "Tout est normal mon cœur scintille", son spectacle précédent. Ici, les conseils de l’entraîneur exultent et rebondissent, marquent le tempo de charybde en scylla, entrecoupés de quelques adages, des moments de poésie tout en suspension. À couper le souffle. Et articulés par l’enchevêtrement de ces deux corps désarticulés.

Comment donc trouver la brèche, transmettre et arriver à apprendre, apprendre à s’échapper aussi de la petite histoire (souvent une question de survie) pour qu'elle devienne universelle ? Dans une scénographie au décorum sobre et confiné d’une salle de sport, deux corps superbement sculptés (et revêtus de survêtements noirs et orange pétant, on aime le contraste) font du sport, ou plutôt l'évoquent de manière "dynamique" sans pour autant toucher à aucun sport. Universalité transcendée encore un peu plus grâce à l’absurde que côtoie Gamblin dans chacun de ses spectacles et qui peut aussi devenir ici un bel éloge de la folie. Tous les moyens sont bons dans ce voyage où corps et mots se cherchent et se disputent. Ils vont en tout cas chercher en chacun de nous un peu de cette fragilité, de cette rage, de cette colère, de cette sueur "de soi" qui fait notre humanité. Cette difficulté à être et à devenir. Tellement.

"1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes"

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Sous la direction de Catherine Gamblin-Lefèvre, le danseur Bastien Lefèvre (c’est donc aussi dans la vie comme sur scène une belle histoire de famille et de transmission) possédait déjà, dans "Tout est normal mon cœur scintille", cette beauté évanescente et spectrale. Dans ce duo, il révèle cette recherche perpétuelle du geste précis, une endurance époustouflante dans laquelle le corps repousse sans cesse les limites de l’acceptable. Le spectacle est intense et exigeant. Intense en émotion, exigeant physiquement puisqu’il nécessite trois heures d’échauffement pour les comédiens avant chaque représentation.

Quant au spectateur qui traverse ces "1 heure 23 minutes 14 secondes et 7 centièmes" (ou presque !) de spectacle, certaines phrases sont une gifle : "Ce n’est plus l’heure des pourquoi, c’est l’heure des parce que". D’ailleurs, "tu as le droit d’aller mal, mais tu n’as pas le droit de ne rien faire pour aller mieux"… car "Il ne faut pas vouloir trop et travailler à ne pas vouloir". Dans cette séance de répétition, les corps sont en suspension, les mots en extension. Les deux s’enchevêtrent, se transmettent et travaillent à être, dans une réciprocité troublante.

"1 heure 23’ 14’’ et 7 centièmes"

© Giovanni Cittadini Cesi.
© Giovanni Cittadini Cesi.
Textes : Jacques Gamblin.
De et avec : Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre.
Chorégraphie et sélection musicale : Bastien Lefèvre.
Assistante à la mise en scène : Domitille Bioret.
Assistante à la chorégraphie : Catherine Gamblin-Lefèvre.
Scénographie : Alain Burkath.
Lumières : Laurent Béal.
Costumes : Marilyne Lafay.
Staff d'entrainement : Anne Bourgeois et Yannick Hugron.
Son : Marc de Frutos.
Durée : 1 h 20.

Du 13 février au 18 mars 2018.
Du 13 au 25 février, mardi au dimanche à 18 h 30 ; 28 février au 18 mars, mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Relâche : les 18, 19 et 20 février.
Du 28 février au 18 mars, relâche lundi et mardi, plus le 11 mars.
Théâtre du Rond-Point, Salle Renaud-Barrault, Paris 8e, 01 44 95 98 00.
>> theatredurondpoint.fr

Interview


Sheila Louinet
Vendredi 16 Février 2018

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

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© Pics.
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Brigitte Corrigou
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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
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"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

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Brigitte Corrigou
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Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023