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Avignon 2025

•Off 2025• "The Last of the Soviets" Comment décérébrer le peuple russe radicalement ? Les dégâts de la désinformation d'État

Ce spectacle radical, d'un humour sans concession et terriblement visuel, se déroule dans les studios de la télévision soviétique. Une émission d'information en direct avec ses deux présentateurs, une femme et un homme, attablés à un grand bureau qui fait face au public. Derrière eux, un vaste écran télé sur lequel apparaîtront les traductions des paroles (le spectacle est en russe et en anglais), mais aussi et surtout des captations faites en direct par les deux interprètes dans un jeu de construction/destruction qu'ils vont mettre en œuvre sur le bureau.



© Slamova.
© Slamova.
Un bureau qui, à son tour, devient une deuxième scène où, filmés en gros plan, une série de manipulations illustrant les propos de la pièce vont se succéder. Froids, comme détaché de la réalité, déconnectés de leurs propres sensations, les deux présentateurs commencent une longue litanie de nouvelles comme dans un véritable journal télévisé, seulement, si certaines de ces "nouvelles" semblent coller à ce qu'on connaît des journaux télévisés, les informations dérivent très vite vers un absurde assumé, des annonces qui semblent provenir d'un cerveau un peu dérangé, des blagues d'un humour très noir, hilarantes de bêtise, d'absurde ou de méchanceté.

Et puis des témoignages fleurissent, des témoignages radioactifs pour une bonne partie puisqu'ils proviennent en majorité des textes de Svetlana Alexievitch, prix Nobel de littérature, dont on connaît les œuvres phares : La Guerre n'a pas un visage de femme, Supplication Tchernobyl, La Fin de l'Homme rouge. C'est cela que tente de nous faire saisir ce spectacle imaginé par Petr Boháč. Peut-être pas sa fin, à l'homme rouge, mais son état, son état à la chute de l'Union soviétique et surtout son état actuel.

Le rire alterne avec la stupeur, les petites scénettes prises à la caméra mettent en jeu, sur des assiettes, des micro-personnages comme des jouets d'enfant, mais aussi de la matière, de la terre, cette terre irradiée, des visages, ces visages rongés par l'atome, des chevelures salies porteuses de traces d'uranium quasi immortelles. Elles sont comme une vision vue du ciel qui accompagne ces anecdotes que, chacun leur tour, les deux interprètes disent.

© Slamova.
© Slamova.
Ce système, qui met en scène une réalité décalée dans laquelle les deux présentateurs, sans rien perdre de leur raideur, de leur froideur, de leur diction mécanique implacable et automatique, ces deux présentateurs perdent vite leur allure impeccable, tirée à quatre épingles, pour devenir maculés de terre, débrayés, s'enfilant des petits shots de vodka et venant en offrir au public. Ils ne semblent pourtant ne pas se rendre compte de leur dégradation, qui fait écho aux dégradations physiques et mentales dues à l'explosion de la centrale de Tchernobyl. Mais pas que.

Toute la pièce lance, avec un humour vache, un cri d'alarme, et l'on se sent traversé par l'effroi lorsque l'on se rend compte que c'est tout le peuple russe, soviétique et postsoviétique (Poutine ne fait pas moins bien que Staline), que tout ce peuple est rongé mentalement par la paranoïa, le masculinisme et l'absence d'espoir soigné à grand coup de vodka. Tout cela à cause d'une entreprise médiatique infernale de construction du mythe de l'homme russe, un miroir déformé qui est entré dans tous les esprits, a gangréné la vérité, la réalité, le jugement.

Ce monde soviétique semble comme le laboratoire fou où expérimenter la manipulation des masses par la désinformation systématique et l'autoritarisme d'État. Peut-être un de ces labos dont cherchent à s'inspirer les milliardaires occidentaux si avides d'achat de médias. La liste de ceux-ci est trop longue pour les nommer tous. Quoi qu'il en soit, The Last of the Soviets montre avec absurdité, humour et dérision, ce que de telles influences peuvent provoquer.
◙ Bruno Fougniès

Petr Boháč, auteur du concept et du projet, a travaillé à partir de plusieurs livres de Svetlana Alexievitch : "La Fin de l'Homme rouge", "La Guerre n'a pas un visage de femme", "La Supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse", "Les cercueils de zinc", textes qui reflètent et commentent plusieurs moments essentiels de l'histoire russe et soviétique.

"The Last of the Soviets"

© Brtnicky.
© Brtnicky.
Conception : Petr Boháč.
Mise en scène : Petr Boháč.
Avec : Inga Zotová-Mikshina et Roman Zotov-Mikshin
Soutien technique : Martin Tvrdý.
Chef de projet : Barbora Repická.
Par la Spitfire Company.
À partir de 15 ans.
Durée : 1 h 40 (trajet navette compris).

•Avignon Off 2025•
Du 6 au 22 juillet 2025.
Tous les jours pairs à 13 h 55. Relâche le 10 juillet.
Théâtre La Manufacture, 2, rue des Écoles, Avignon.
Spectacle au Château de Saint-Chamand : départ navette 13 h 55 - Jeu 14 h 20.
Réservation : 04 90 85 12 71.
>> Billetterie en ligne
>> lamanufacture.org

Bruno Fougniès
Vendredi 11 Juillet 2025

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