La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le scoop ? Un thriller à tiroirs dans le grand cirque médiatique...

"Le Scoop", Théâtre Tristan Bernard, Paris

Qu'y a-t-il de commun entre un Grand Reporter de légende, une star du JT et un jeune journaliste débutant ? Est-ce l’envie de témoigner ? La recherche du scoop ? Ou seulement l’envie de garder sa place ? C’est bien souvent les trois à la fois, guidés par un seul principe : "Mieux vaut être le premier à se tromper plutôt qu’être le deuxième à dire la vérité"… Dans cette recherche effrénée de l’exclusivité, trois générations de journalistes s’affrontent dans un combat où admirations, jalousies et règlements de compte personnels composent un véritable scénario à rebondissements.



© Claire Besse.
© Claire Besse.
Eh bien, je peux dire que, avec "Le Scoop", ma rentrée théâtrale 2012/2013 démarre sous les meilleurs auspices. En effet, pendant une heure et demie, j’ai été captivé et tenu en haleine par cette pièce remarquablement écrite et tout aussi remarquablement interprétée.

Déjà, lorsque le nom de Philippe Magnan apparaît au générique d’un spectacle, je suis assuré de découvrir une pièce d’une extrême qualité. J’ai toujours été emballé par chacune de ses prestations. Il n’y avait donc aucune raison pour que cela change. Et, effectivement, une fois encore, ce formidable comédien nous offre une composition de très haute tenue. Il est fait pour ce rôle autant que ce rôle est construit pour lui. Il s’y révèle si naturel, si authentique, qu’on en oublie l’acteur.

"Le Scoop" est une pièce très complète contenant plusieurs niveaux de lecture, ce qui la rend à la fois dense et riche. C’est d’abord une analyse en profondeur du métier de journaliste et de la façon qu’a chacun de le pratiquer. Ah cette fameuse "déontologie", mise à toutes les sauces ! Bouclier dérisoire, parapluie hypocrite, valeur totalement abstraite que l’on brandit quand on cherche à se dédouaner ou à se hausser du col… Journaliste moi-même, je me suis senti d’autant plus concerné et intéressé. Des types comme Pierre, comme Dupire et comme Grégory, j’en ai rencontrés. Et encore, je n’ai sévi que dans les sphères de l’audiovisuel, du spectacle et du showbiz. J’imagine que ces archétypes sont bien plus exacerbés dans les milieux de la politique, et chez les grands reporters…

Ensuite, il y a une grande finesse dans le traitement psychologique des cinq protagonistes de ce thriller, car c’en est un ; et un bon ! Chacun agit et réagit avec sa mentalité propre, et même pas toujours propre. Chacun d’entre eux est guidé par ses objectifs ou tenu par son sens moral. L’âme humaine est, par essence, complexe. Ici, nous avons cinq profils, cinq caractères, cinq comportements complètement différents et parfaitement dessinés. Donc cinq beaux rôles.

Le scoop ? Un thriller à tiroirs dans le grand cirque médiatique...
Pierre (Philippe Magnan) campe à merveille un ancien correspondant de guerre qui a bourlingué à travers le monde en y couvrant les principaux conflits de la deuxième moitié du XXe siècle. C'est un vieux lion désabusé et misanthrope, dupe de rien. Il est porteur de lourds secrets qu’il tient à garder précieusement enfouis dans sa mémoire. Il est redoutablement intelligent, se complaît à jouer les bougons. Il semble revenu de tout et, pourtant, ainsi que le lui fait remarquer son épouse, il a toujours en lui cette étincelle qui s’appelle la faculté d’émerveillement ou d’indignation. Pierre est le personnage central de la pièce. Il détient la Vérité que les deux autres hommes croient connaître et qu’ils veulent lui faire dire. Situation qui ouvre à une palpitante partie de poker menteur.

Claire (Frédérique Tirmont) est l’épouse de Pierre. C’est une ex-photo-reporter de guerre. Elle aussi elle sait beaucoup de choses. Mais elle est une femme. Moins encombrée par son égo que les deux mâles dominants qui se combattent à distance, elle fait preuve d’une grande sagesse et d’une grande tolérance. Elle a un rôle-clé dans cette histoire.

Le rival de Pierre, Dupire, est tout entier sous l’emprise de sa jalousie. Il est prêt à utiliser tous les moyens pour arriver à ses fins et faire enfin éclater la (sa ?) fameuse vérité. Frédéric Van Den Driessche apporte à ce personnage cynique et sans scrupules son pouvoir de séduction. Il possède le charme et la pugnacité des grands manipulateurs.

Et puis il y a le petit jeune, Grégory. C’est lui qui mène l’enquête avec autant de fougue que de maladresse. Son comportement vis-à-vis de Pierre, tour-à-tour conciliant et vindicatif nous trouble. Quel jeu joue-t-il ? Quelles sont ses intérêts dans cette histoire ? J’ai été emballé par le jeu simple et naturel et par la formidable présence de Guillaume Durieux. Il est impeccable.

Quant à Julie (Aurore Soucieux), si son rôle est plus ténu, il a son importance car elle est en quelque sorte notre regard à nous. Découvrant l’évolution de l’intrigue et des comportements en même temps qu’elle, on se pose les mêmes questions. Comme Claire, mais en plus jeune, elle est idéaliste et honnête. Les deux femmes, plus humaines, sont bien moins retorses. Et, quelque part, plus courageuses aussi…

"Le Scoop" est une remarquable pièce à tiroirs, un puzzle qui se reconstruit peu à peu devant nous. On est véritablement tenu en haleine jusqu’à son dénouement… Tous publics, il ne fait nul doute qu’elle sera un des plus gros succès de cette rentrée. Elle le mérite. Il suffit de voir par quel tonnerre d’applaudissements les saluts sont accueillis à la fin pour en être convaincu.

"Le Scoop"

Texte et mise en scène : Marc Fayet.
Assistante à la mise en scène : Lila Redouane.
Avec Philippe Magnan (Pierre), Frédérique Tirmont (Claire), Frédéric Van Den Driessche (Dupire), Guillaume Durieux (Grégory), Aurore Soudieux (Julie).
Décors : Édouard Laug.
Costumes : Brigitte Faur-Perdigou.
Lumières : Laurent Béal.
Musique : Jérôme Destours et Christophe Brunet.

Depuis le 23 août 2012.
Du mardi au samedi à 21 h, plus matinée le samedi à 18 h.
Théâtre Tristan Bernard, Paris 8e, 01 45 22 08 40.
>> theatretristanbernard.fr

Gilbert Jouin
Jeudi 13 Septembre 2012

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024