La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le Grand Guignol ou retrouver son âme de voyeur... de l'horreur

"Grand Guignol", Théâtre 13/Jardin, Paris

En ces temps de docu-fictions et de robinets médiatiques, Isabelle Siou et Frédéric Jessua ont la bonne idée de monter trois pièces appartenant au répertoire du Grand Guignol. "L’amant de la Morte", "Le Baiser de Sang" et "Les détraquées". De quoi composer une authentique soirée théâtrale et des plus réjouissantes…



© Sophie Pincemaille.
© Sophie Pincemaille.
Les pièces en deux actes lestement troussées s’enchainent, allant crescendo. Dans le fermé du rideau qui les relie apparaît à l’avant-scène le personnage commentateur lecteur diseur de didascalie, diseur de destin. Il entretient la perplexité. Et si de l’épouvante à l’épouvantail il n’y a qu’un pas, le coup de théâtre propre à chaque pièce, dans sa concision et sa fulgurance, surgit bien là où on l’attend : au final. Et le temps se fige, le temps d’un suspend. Pour le bonheur du spectateur qui rit de ce qui fait peur et se surprend, devant le faux qui fait vrai, à croire en vrai et frissonne… Quitte à rire bruyamment avant ou après…

L’effet théâtre joue à plein. Et même si le verbe est un peu ampoulé, l’ensemble résonne familièrement.
Il est vrai que la mise en scène se refuse à toute outrance. Le décor, les costumes installent le sentiment de vieux chromos des familles : désuet et stylisé. Bien présent à la mémoire.

© Maline Cresson.
© Maline Cresson.
Les acteurs n’hésitent pas à jouer dos au public et à se fondre dans ce décor simplifié. Le récit donnant toutes les clefs, le dispositif exploite de fait habilement la capacité du spectateur à être un voyeur intégré à l’action. Et la scène se remplit ainsi du fantôme et des avatars de la morte amoureuse, avec sa succession de meurtres dans les ravages de l’érotomanie et de la drogue. Très respectueux des couleurs pastel de l’entre-deux guerres, le spectacle rend compte d’une époque travaillée de fantasmes liés à l’émancipation des mœurs, la montée des faits divers, les scandales politico-financiers, et les douleurs fantômes des gueules cassées. Le jeu fait ainsi apparaître dans ce genre mineur qu’est le grand guignol le substrat qui soutient le Théâtre d’Ibsen ou de Feydeau, et accroche une vision du monde qui est l’envers de celui de Guitry. Il est celui des cauchemars de Jean Lorrain, de Louis Ferdinand Céline ou d’Antonin Artaud.

Passionnant !

"Grand Guignol"

Le Grand Guignol ou retrouver son âme de voyeur... de l'horreur
Trois pièces courtes de Maurice Renard, Jean Aragny et Francis Neilson, Olaf et Palau.
Mise en scène : Frédéric Jessua et Isabelle Siou.
"L’amant de la Morte" de Maurice Renard (1925), mise en scène : Frédéric Jessua.
"Le Baiser de Sang" de Jean Aragny et Francis Neilson (1929), mise en scène : Isabelle Siou.
"Les Détraquées" d’Olaf et Palau (1921), mise en scène : Frédéric Jessua.
Scénographie : Frédéric Jessua.
Avec : Élise Chièze, Julien Buchy, Jonathan Hume, Jonathan Frajenberg, Joseph Fourez, Aurélien Osinski, Frédéric Jessua, Clémentine Marmey, Stéphanie Papanian, Isabelle Siou, Dominique Massat, Justine Bachelet, Claire Guionie.
Décor : Isabelle Siou & Frédéric Jessua.
Costumes : Victoria Vignaux.
Lumière : Florent Barnaud.
Maquillages et effets spéciaux : Élodie Martin & Laura Ozier.
Accessoiriste : Thomas Turner.
Musique originale, son & ambiances sonores : Xavier Ruiz.
Durée : 2 h sans entracte.

Du 19 mars au 28 avril 2013.
Mardi, jeudi et samedi à 19 h 30, mercredi et vendredi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30.
Théâtre 13/Jardin, Paris 13e, 01 45 88 62 22.
>> theatre13.com

Jean Grapin
Mardi 26 Mars 2013

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024