La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Coin de l’œil

La Dame en Noir : brumes et mélancolie

Pour son premier rôle post-Harry Potter, Daniel Radcliffe enfile le costume très british d’un clerc de notaire dépressif aux prises avec un fantôme vengeur, dans un film qui renoue avec la tradition de l’épouvante gothique. Aux commandes, un jeune réalisateur qui puise son inspiration dans les leçons des grands anciens, sous la bannière de la Hammer ressuscitée.



Daniel Radcliffe, "La Dame en Noir" © Nick Wall.
Daniel Radcliffe, "La Dame en Noir" © Nick Wall.
À chacun sa mode vintage. Tandis que les amateurs de lundis au soleil iront voir Jérémie Renier, drapé de paillettes, s’égosiller en clone de "Cloclo", les nostalgiques du Brady, du Colorado et autres Mexico iront tremper leur madeleine de Proust dans les marais embrumés de "La Dame en Noir", où Daniel Radcliffe, enfin débarrassé des encombrants binocles d’Harry Potter, perd son pucelage cinématographique dans un film d’épouvante en costumes on ne peut plus old fashion.

Car c’est toute une époque que convoque le film de James Watkins.

Celle de la Hammer film, évidemment, légendaire compagnie de production britannique spécialisée dans l’horreur gothique, qui fait ici son grand retour après plus de trois décennies d’abstinence forcée - et quelques récentes tentatives pas franchement convaincantes ("La locataire" et "Laisse-moi entrer", notamment). Mais pas seulement. Au fond, plus encore qu’aux scénarios débordant d’action de la Hammer, ce film fiévreux renvoie aux grandes heures du cinéma d’épouvante italien, celui de Mario Bava, Antonio Margheriti et Ricardo Freda, dans lequel des spectres revanchards hantaient de sombres demeures dévorées par les toiles d’araignées, et terrorisaient de plantureuses actrices déambulant en déshabillé vaporeux.

"La Dame en Noir" © Nick Wall.
"La Dame en Noir" © Nick Wall.
Pas de fausses joies, jeunes filles. Dans "The Woman in Black", Daniel Radcliffe ne se balade pas en nuisette transparente. Au contraire, dans la peau d’Arthur Kipps, jeune clerc de notaire londonien rongé par la dépression - sa femme est morte en donnant naissance à leur fils -, il incarne toute la rigueur victorienne et n’a pas vraiment l’humeur badine. Envoyé en province régler la succession d’une cliente décédée, ça ne va pas s’arranger. Confronté à l’hostilité de villageois qui font tout pour le faire déguerpir, et alors que sa présence semble entraîner la mort violente de plusieurs enfants, il va peu à peu découvrir le secret tapis dans les corridors ténébreux du manoir de la "Dame en noir" et dans les marécages qui l’entourent.

Nature éternellement automnale noyée de brume, décors torturés et claustrophobiques, silhouettes fantomatiques, personnages englués dans un désespoir aussi épais que la boue dans laquelle ils pataugent… L’ambiance qui imprègne chaque seconde de cette Dame en noir n’appelle pas à l’euphorie. Et c’est avec la même mélancolie que James Watkins aborde sa mise-en-scène, refusant toute concession à une "modernité" qui confond trop souvent agitation avec efficacité.

"La Dame en Noir" © Nick Wall.
"La Dame en Noir" © Nick Wall.
Ici, pas de spectre défiguré se jetant en hurlant vers l’objectif, pas de jumping scares intempestifs destinés à faire sursauter le spectateur à intervalles réguliers, pas de caméra filant à toute allure ou frappée par la danse de Saint-Guy, mais des apparitions le plus souvent furtives, dans le reflet d’un miroir, l’ombre d’un couloir ou le fouillis d’un jardin anglais en friche, et une réalisation adoptant le tempo d’un scénario qui prend le temps de dévoiler son jeu.

Loin des standards en vogue à Hollywood, Watkins nous plonge dans un univers à la fois très romantique - dans le sens pictural du terme - et très oppressant, où l’épouvante gothique se teinte d’une tristesse à couper à la hache. Un peu à la manière de certaines productions espagnoles du genre - "L’orphelinat", de Juan Antonio Bayona, ou "Les autres" d’Alejandro Amenàbar -, "The Woman in Black" distille une angoisse qui prend davantage sa source dans l’empathie que l’on peut éprouver envers les personnages que dans les recettes d’un cinéma d’horreur qui a désormais tout essayé.

"La Dame en Noir" © Nick Wall.
"La Dame en Noir" © Nick Wall.
Comment séduire un public gavé de "Saw VI" et de monstres numériques surgissant de l’écran en 3D ? James Watkins fait le pari du retour aux "fondamentaux" purs et durs, soutenu avec conviction par un Daniel Radcliffe bien décidé à entamer une carrière loin des salles de classe de Poudlard. Certains pourront trouver l’initiative désuète, voire parfaitement incongrue. Mais tous ceux à qui l’hystérie compulsive des "Sherlock Holmes" de Guy Ritchie, par exemple, aura flanqué migraines ophtalmiques et nausées, préfèreront sans aucun doute cette vision plus traditionnelle de l’époque post-victorienne. Et ils s’accorderont à penser que, après son excellent survival "Eden Lake", James Watkins est décidément un réalisateur à suivre.

"La Dame en Noir" © Nick Wall.
"La Dame en Noir" © Nick Wall.
● The Woman in Black
Réalisation : James Watkins.
Scénario : Jane Goldman.
D’après le roman homonyme de Susan Hill.
Disponible aux éditions de l’Archipel.
Directeur de la photographie : Tim Maurice-Jones.
Avec : Daniel Radcliffe, Ciaràn Hinds, Janet McTeer, Liz White, Shaun Dooley.
En salles à partir du 14 mars 2012.

Gérard Biard
Mardi 13 Mars 2012

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024