La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Festivals

Festival Country Rendez-vous : la trentaine radieuse

Né il y a trois décennies de l'initiative d'une bande de passionnés dans le village de Dore l'Église, en Haute-Loire, déplacé de quelques kilomètres à Craponne-sur-Arzon pour cause de succès grandissant, le festival Country Rendez-vous célèbre le meilleur, et parfois le plus décoiffant, de la musique populaire américaine. Compte-rendu du trentième anniversaire, fêté les 28, 29 et 30 juillet dernier.



Emmylous Harris, Craponne 2017 © DR.
Emmylous Harris, Craponne 2017 © DR.
On pourrait bien sûr ne parler que de l'événement qui a marqué la trentième édition du Festival Country Rendez-vous de Craponne-sur-Arzon : le concert exclusif qu'Emmylou Harris a donné le samedi 29 juillet, devant une foule ravie et enthousiaste, et qui a valu à la star, pour la première fois de sa carrière - et sans doute la dernière -, de "faire la une" de La Montagne et du Progrès. Mais ce serait ne pas rendre justice à une manifestation qui a fait de l'éclectisme musical sa marque de fabrique. Ce que le public dense venu fêter cet anniversaire a pu constater, au fil d'une programmation qui comptait pas moins de 13 concerts sur le week-end, pour un prix défiant toute concurrence : 85 euros les trois jours.

Car l'équipe de passionnés qui tient les rênes artistiques et logistiques du festival de Craponne n'a pas oublié que la Country, musique populaire d'un peuple multiple, puise ses sources et ses sons au cœur des innombrables pays qui ont façonné - et façonnent toujours - l'Amérique, et qu'elle se renouvelle en permanence, au fil des décennies, des évolutions sociétales et, naturellement, des inspirations et aspirations de ses musiciens et auteurs.

Emmylous Harris, Craponne 2017 © DR.
Emmylous Harris, Craponne 2017 © DR.
Elle est née de l'Irlande, de l'Italie, de l'Espagne, de l'Europe centrale, de l'Afrique, de l'Amérique latine, d'Hawaï, et on ne compte plus les genres qu'elle a croisé, ni les sous-genres qu'elle a engendrés : Americana, Honky Tonk, Bluegrass, Western swing, Hillbilly, Gospel, Outlaws, Nashville sound, Rock sudiste, Country-rock, musique Cajun, Country punk... La liste n'est pas close et ne demande qu'à s'allonger, parfois très loin des clichés qui collent à la peau d'une musique trop systématiquement associée - en France en tout cas - à un folklore ringard et à des idées politiques pas fréquentables.

À Craponne, donc, on vient d'abord pour écouter et découvrir de la musique. On peut y acheter des bottes et des chapeaux, certes, on y croise des cow-boys en tenue de gala, évidemment, mais le plancher pour les line-dancers est placé derrière la tour de régie, pas devant la scène. Tant pis pour eux, car il s'y passe des choses intéressantes, sur la scène. Des étonnantes, aussi. Comme ce groupe finlandais aussi déjanté que réjouissant, Steve 'n' Seagulls (en français : Steve et ses mouettes. Mais on ne peut pas exclure le jeu de mot-référence à Steven Seagall...) : cinq vikings aux prénoms qui sentent la saga nordique - Remmel, Puikkonen, Pukki, Hiltunen, Herman - et au look difficilement descriptible - le mieux est que vous alliez jeter un œil sur leur site stevenseagulls.com et sur leurs clips.

Steve 'n' Seagulls © DR.
Steve 'n' Seagulls © DR.
Faux bourrins mais vrais virtuoses, armés de banjo, mandoline, accordéon, flûte ou balalaïka, ils réinterprètent, avec un jeu de scène déconnant et plein d'humour, des classiques de la pop et du rock, voire du hard-rock - leur reprise, en version originale s'il vous plaît, d'Antisocial de Trust, a laissé le public hilare de bonheur -, débordant d'une énergie joyeuse et communicative.

En comparaison, les Français énervés du groupe de rock celtique en kilt Celkilt - plus facile à écrire qu'à prononcer… -, qui ont clos à coups de riffs bruyants-brouillons la soirée du samedi, paraissaient presque anodins… D'autant que, question rock, on peut préférer le rockabilly endiablé des Sonic Cats, trio de bananes françaises reprenant avec une santé qui donne envie de taper du pied les grands standards des Stray Cats ou d'Eddie Cochran, et qui ont, eux, ouvert la journée du dimanche. Et question groupe français, on peut aussi préférer celui formé pour l'occasion par Gildas Arzel - oui, celui qui a écrit pour Johnny, Céline Dion ou Roch Voisine… -, qui, à la croisée des genres mais avec un souci d'authenticité bluffant, a démontré avec brio que ce n'est pas parce qu'on est né en Alsace qu'on n'a pas l'esprit de l'Ouest.

Celkilt © Jean-Michel Louarn.
Celkilt © Jean-Michel Louarn.
Mais, justement, direz-vous, la musique country "au lait cru", dans tout ça, que devient-elle ? Eh bien, elle a tenu toute sa place, sous toutes ses formes. À commencer par le bluegrass, particulièrement bien soigné cette année, notamment avec le groupe français Bluegrass 43 - dont l'un des piliers, le banjoïste Jean-Marc Delon, fait également partie de la commission artistique du festival -, qui soufflait lui ses quarante bougies de scène.

L'occasion de faire monter sur le plateau une ribambelle de copains musiciens - mais pros jusqu'au bout des ongles - qui ont transformé le show en bœuf festif au goût de trop peu. Même remarque pour les américains de Jeff Skroggins & Colorado, très impressionnant quintette d'instrumentistes-chanteurs qui, pour leur première venue en France, ont livré une prestation pleine de grâce et d'élégance qui ne laisse espérer qu'une chose : leur prompt retour.

Les accros au Sud profond ont été eux aussi servis copieusement, que ce soit via les morceaux au swinguant parfum de bayou de The Savoy Family Cajun Band, qui perpétuent la tradition du clan familial de musiciens - en version steak d'alligator cuisiné à l'accordéon et aux violons -, soit via le blues-rock texan de Bleu Edmondson. Quant aux purs et durs, qui ne jurent que par la pedal-steel, la prestation 100 % honky-tonk de Jake Penrod était faite pour eux, tout comme la voix punchy de l'irlandaise Niamh Lynn, toute en classicisme, qui a fait partager à un public conquis son amour de Patsy Cline, Tammy Wynnette ou Loretta Lynn.

Bluegrass 43 © DR.
Bluegrass 43 © DR.
Et puisque nous en sommes aux voix féminines, revenons là où nous avons commencé : Emmylou Harris, qui a fait escale à Craponne, en exclusivité, dans le cadre d'une tournée européenne placée sous le signe des harmonies vocales féminines. En formation acoustique intimiste, accompagnée par Mary Ann Kennedy et Pam Rose - pour ceux qui portaient déjà veste à frange et Stetson dans les années quatre-vingt, ex-membres du groupe féminin Calamity Jane -, elle a couronné l'événement par un concert somptueux, enveloppant le public dans un voile délicat de mélodies et d'harmonies. Le petit nuage sur lequel elle nous a laissés fût d'ailleurs - presque - le seul qui a survolé les sept hectares du site du festival, qui a bénéficié, pour une fois, d'une météo radieuse.

Festival Country Rendez-vous
A eu lieu du 28 au 30 juillet 2017,
à Craponne-sur-Arzon (43).
>> festivaldecraponne.com

Gérard Biard
Lundi 14 Août 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024