La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"La Jeune Fille et la Mort"… Du Schubert sous la torture

"La Jeune Fille et la Mort", Manufacture des Abbesses, Paris

La pièce d'Ariel Dorfman a pour contexte la torture sous la dictature chilienne* (1970-1993). Elle met en lumière ce lourd passé qui a frappé des dizaines de milliers de personnes et dont le devoir de mémoire reste encore aujourd’hui problématique.



© Pierre Merle.
© Pierre Merle.
"La Jeune Fille et la Mort" (La muerte y la doncella) (1991), de l’auteur contemporain argentino-chilien Ariel Dorfman, retrace, sur fond de dictature, l’histoire de Paulina Solas (France Renard) qui a été torturée et violée. Son passé remonte brusquement à la surface quand elle pense reconnaître son bourreau, Roberto Miranda (Philippe Pierrard), chez elle un soir alors que ce dernier a aidé son mari Gerardo Escobar (Luc Baboulène) lors d’une crevaison sur la route.

L’œuvre est forte dans sa dramaturgie où l’intensité des situations arrive par à-coups comme si le cycle des sentiments n’était pas régulier mais rythmé par de petites ruptures, tel celui d’une vie bousculée. La pièce est dès les premiers instants en tension. Les comédiens sont superbes de vérité, où l’émotion mêlée de colère donne le la densité du jeu, où chaque geste, chaque mot peut faire détonation.

France Renard incarne avec beaucoup de talent Paulina Solas, personnage en proie à une souffrance physique et morale. La colère, la combativité et l’esprit de revanche sont joués avec subtilité et force. La comédienne est très bien entourée de Philippe Pierrard et Luc Baboulène qui campent des rôles eux aussi écartelés entre différents états d’âme où se mêlent la surprise, l’effroi ou la colère. Les répliques sont trempées dans du sang, le jeu est baigné de douleur, de torture psychologique avec des personnages déboussolés.

© Pierre Merle.
© Pierre Merle.
La femme est tiraillée par un passé qui remonte au présent, le mari promis à un bel avenir politique est bloqué par une situation présente et le "bourreau", savourant sa vie présente, est bousculé par un passé, réel ou faux, qui lui rejaillit en pleine face. C’est dans ces différents écarts que l’âme humaine se cherche avec un sens psychologique de la pièce fort bien aiguisé où l’auteur, au travers de la très belle mise en scène de Massimiliano Verardi, arrive à articuler ces différents moments où une vie peut basculer sur un mot ou un geste.

La mise en scène est efficace, portée par un jeu de grande qualité dans une scénographie où les couleurs sombres tranchent avec la robe rouge de la comédienne. Le quatuor à cordes de Schubert (1797-1829) intitulé "La jeune fille et la mort" (1824) est en fond sonore et apporte de la quiétude, une poésie. Mais c’est autour de cette musique qu’était torturée Paulina Solas.

Il faut un sacré talent théâtral pour marier Pinochet et Schubert.

* Il est estimé à près de 38 000, le nombre de personnes qui ont été torturées sous Pinochet et plus de 3 200 tuées ou portées disparues sans compter les centaines de milliers de proscrits, d’exilés ou de relegados (citoyens déplacés autoritairement dans une autre région que la leur).

"La jeune fille et la mort"

© Pierre Merle.
© Pierre Merle.
Texte : Ariel Dorfman.
Mise en scène : Massimiliano Verardi.
Avec : Luc Baboulène, Philippe Pierrard et France Renard.
Voix de Fabrice Drouelle (France Inter).
Décor : Florence Aillerie.
Création lumière et son : Philippe Piazza et Philippe Legendre.
Durée : 1 h 30.
Par Les Théâtr'Ailes.

© Pierre Merle.
© Pierre Merle.
Du 22 février au 19 mars 2017.
Mercredi au samedi à 21 h, dimanche à 17 h.
Manufacture des abbesses, Paris 18e, 01 42 33 42 03.
>> manufacturedesabbesses.com

Safidin Alouache
Vendredi 3 Mars 2017

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024