La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Chronic(s) 2" Arrêts sur images… 20 ans de hip-hop et la vie devant soi

Vingt ans après "Chronic(s)", Hamid Ben Mahi récidive en créant, avec le même complice Michel Schweitzer, "Chronic(s) 2". Une forme faisant écho à la précédente et dont le fil rouge est, toujours et encore, de faire résonner, par le médium de la voix et du corps associé, la question virale de l'identité. Qui est-on quand les origines prennent racine de l'autre côté de la Méditerranée ? Quelle place le pays d'accueil assigne-t-il à "l'exilé", fût-il de l'intérieur ? Comment le regard porté par celui qui est né du bon côté de la rive peut enfermer dans des stéréotypes, stigmatiser, voire mortifier ?



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Hamid Ben Mahi, danseur et chorégraphe né en périphérie de Bordeaux, occupe une place singulière sur la scène du hip-hop qu'il fut l'un des premiers à promouvoir dans l'Hexagone, notamment lors de son invitation à Avignon. "Faut qu'on en parle !" représenté en 2006 dans le cadre du Festival IN à la Chapelle des Pénitents Blancs racontait déjà, en mouvements et en mots, son histoire à plus d'un titre "exemplaire". Celle d'un fils d'immigrés algériens venu, comme beaucoup de ses semblables, trouver en France une terre promise.

Auparavant, en 2002, il y avait eu l'inaugural "Chronic(s)", un autre solo chorégraphié et parlé où il avait mis en jeu ce qui depuis ne cesse de l'obséder : donner au hip-hop une dimension sociétale ne rangeant pas cette danse chargée d'Histoire - elle est née à New York dans le Bronx bouillonnant de créativité libertaire des seventies - au rang d'accessoire décoratif des périphéries urbaines. Refusant l'alibi d'un hip-hop exotique dont nombre de politiques bien-pensantes de la ville font, à peu de frais, leur fonds de commerce en surfant sans scrupules sur l'argent du "beur", il n'a de cesse de développer des actions concrètes au plus près des jeunes de quartiers gagnés par cette culture artistique exigeante.

© Jean Charles Couty.
© Jean Charles Couty.
Sur le plateau de danse, pour tenter de mesurer les effets du temps écoulé, dans cet intervalle de vingt années proche de la durée d'une génération, un dispositif tombant des cintres offre le sablier. Des diapositives projetées rythment le temps du récit - "Paysage 2001", "Paysage 2020" - en même temps qu'elles donnent à voir quelques clichés des temps successifs, dont la mémoire vive chevillée au corps s'empare pour recomposer le trajet les reliant. Corps et voix alternent pour ne faire plus qu'un, happés par le même "objectif" : dire et redire, au travers du lien tissé avec les autres, la quête de soi ; une quête intimiste autant que généraliste.

Visages et paysages… Entre la première image projetée en fond de scène, tête de jeunes Indiens, et la dernière lui succédant, visage d'un Indien d'âge mûr (qu'un fondu enchaîné confondra avec l'auteur), la parure de plumes multicolores arborée avec fierté n'aura rien perdu de son éclat. Seules les épreuves affrontées par "les Apaches" de toutes plumes - ceux qui sont différents - burineront les traits et marqueront les paysages d'époques successives.

Parallèlement des interrogations se font entendre comme une introspection à visage découvert. "C'est quoi danser ? Laisser une trace dans l'espace… Chercher un état du corps, une musique intérieure…". Et joignant le geste et la parole, le corps se tord, bondit, décrit des arabesques pour écrire sa marque dans l'espace avant de se lover au sol. La chorégraphie est délivrée avec son commentaire en direct… "Apprendre à tomber, rouleau pour contrôler la descente, tenir l'équilibre, chandelle, demi-pointe talon, talon demi-pointe".

Et puis, suivant le cours des assauts de la mémoire, c'est l'image d'un intérieur algérien - celui du cocon familial d'antan - qui est "projetée", avec ses accueillantes banquettes invitant au repos et au partage, à l'abri des bruits du dehors. Dès lors, le corps se fait porte-parole des danses orientales de son enfance, virevoltant sur lui-même jusqu'au vertige, alors que l'extérieur bruit de musiques américaines trépidantes. L'homme est ainsi fait d'influences apparemment aux antipodes, se conjuguant pour trouver en lui leur point de convergence. Métissage des cultures, métissage des peuples. Ecce homo et ses "choré-graphies".

Ce serait cependant pure naïveté de penser que ce processus d'intégration répond à un ordre naturel. Il ne va aucunement de soi… Combien a-t-il dû essuyer d'"interpellations" déformant son nom ou encore l'affublant d'un prénom arabe n'étant pas le sien, comme si tous les Maghrébins s'appelaient Ali ou Mohamed, sans que l'on se donne la peine de les "distinguer". Ou bien des remarques peu amènes le cantonnant à un statut de danseur, sachant danser certes, mais invité à s'abstenir de parole. Autant de micro-blessures à panser.

L'homme, le danseur et le chorégraphe, mus par la même énergie traversant les époques, ne forment qu'un. C'est de cette authenticité - scénarisée avec l'appui de Michel Schweitzer - que se nourrit ici le dialogue "identitaire". Cette rétrospective prospective fonctionne comme une mise en abyme de la personnalité d'Hamid Ben Mahi, son auteur et acteur, dont les marques de fabrique - générosité et bienveillance - font partie intégrante de son ADN. Alors si l'homme retient ses coups, évitant soigneusement - trop soigneusement parfois - de décocher des uppercuts violents, il ne cède en rien à sa farouche volonté de faire du hip-hop une danse engagée… auprès des jeunes des banlieues riches en humanité.

"Chronic(s) 2"

© Jean Charles Couty.
© Jean Charles Couty.
Direction artistique, conception : Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer.
Chorégraphie et mise en scène : Hamid Ben Mahi et Michel Schweizer.
Interprétation : Hamid Ben Mahi.
Création lumière : Antoine Auger.
Environnement sonore : Nicolas Barillot et Sébastien Lamy.
Photographies : Pierre Wetzel, Jean Alussi, L'œil de Ken et Nicolas Moulin.
Par la Compagnie Hors Série.
Durée 1 heure.

Vu lors de la présentation professionnelle du jeudi 18 mars à 16 h 30 à la Manufacture CDCN de Bordeaux.

Prochaines dates (sous réserve de la situation sanitaire)
11 mai 2021 : La Ferme de Bel Ébat, Guyancourt (78).
23, 24 et 25 juin 2021 : La Manufacture CDCN, Bordeaux (33).

Yves Kafka
Mardi 30 Mars 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024