La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Cent millions qui tombent"… et une piécette plus tard, le vaudeville bat la campagne

Le Collectif les Bâtards Dorés est connu pour son remarquable "Méduse" présenté à La Manufacture Atlantique de Bordeaux, avant de connaître les honneurs du Festival In d'Avignon en 2018. Là, changement de décor… Il ne s'agit plus du naufrage tragique immortalisé par le peintre Géricault, mais de celui ressassé en boucle par les bourgeois du siècle précédent qui s'esbaudissaient en retrouvant dans le théâtre de Feydeau leurs piètres "aventures" conjugales. Que viennent donc faire dans cette galère vaudevillesque les impétueux et talentueux jeunes acteurs des Bâtards ?



© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
Plus généralement, d'où vient la frénésie contemporaine de monter Feydeau, cet auteur de boulevard dont la renommée tient "ni à ses idées (puisqu'il n'en a pas), ni aux histoires de ses personnages (qui sont sottes)" ? Ionesco, déjà, délivrait le secret de la fascination qu'il exerce, en poursuivant : "C'est cette folie, c'est ce mécanisme apparemment réglé mais qui se dérègle par sa progression et son accélération même".

Là, réside assurément la clé du mystère attractif de l'auteur de "Cent millions qui tombent". Suivant les lois de cette mécanique impeccablement rodée, le décor du salon bourgeois d'un kitsch à faire se pâmer les tenants d'une tradition immuable va connaître une métamorphose granguignolesque conduisant les tapisseries d'un rose suranné à se pulvériser sous les coups de folie des protagonistes. Plutôt que d'emprunter les portes - claquant et reclaquant à grand bruit - lorsque l'hystérie les submerge, notamment à l'annonce de la somme fabuleuse dont va hériter le valet, les personnages "explosent" les frêles cloisons s'effondrant comme des châteaux de cartes. Ainsi, autour de l'argent roi, se font et défont les amours bourgeoises.

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
Tout commence comme un spectacle de cabaret populaire où un homme en liquette lance à la foule, d'une voix de fausset, une adresse enjouée, alors que la tête des trois autres protagonistes surgit des plis des lourds rideaux de velours rouge. Plus ringard - joyeusement assumé - tu meurs… Et, à un rythme que rien ne viendra plus perturber, se succèdent les facéties, volontairement surjouées, liées aux quiproquos de la situation triangulaire femme - amant - mari. L'intérêt de ces situations usées jusqu'à la corde, c'est qu'elles offrent l'occasion de jeux en cascade révélant le plaisir des acteurs s'en saisissant pour les pousser à outrance…

… jusqu'à des scènes "culottées" dignes parfois des Chiens de Navarre où la cocotte en titre embrasse l'arrière-train du Monsieur déboutonné, fouette ses deux hémisphères fessiers, avant d'aller déposer chastement un baiser sur le museau de sa tête de phacochère, trophée qui lui sied à ravir. Le premier intermède - on est au cabaret - offre quant à lui un medley hilarant de chansons hétéroclites. Et le second donnera dans l'inanité de devinettes absolument nulles, à des "blagues" degré zéro dites avec la fraîcheur du second degré, le tout ponctué de pets du meilleur effet. Pures provocations adressées au public du théâtre bourgeois, lesquelles, en forçant le trait du texte original, ne font que projeter la vulgarité des récipiendaires : le bourgeois ne serait-il qu'un gros porc (qui s'ignore) ?

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
Jusque-là tout va (très) bien… On se dit que les Bâtards, tout Dorés qu'ils soient - héritiers de "bonnes familles" - en ont sous le pied et leur formidable énergie corrosive nous ravit… Là où ça se gâte (un peu), c'est lorsque, arguant de l'inachèvement de la pièce initiale, ils se piquent de "philosophie" en voulant y greffer les enseignements d'un film de science-fiction "Il est difficile d'être un dieu" d'Alexeï Guerman où une communauté moyenâgeuse n'ayant jamais connu les Lumières régirait selon ses normes obsolètes les rapports humains.

Alors, pour montrer combien l'homme reproduit à l'infini les mêmes comportements éculés dictés par le sempiternel désir de sexe et d'argent tentant - en pure perte - de masquer le vide de l'existence à remplir, les spectateurs médusés par une rupture spatio-temporelle relevant du pur arbitraire assistent à une reprise de l'action transposée dans un temps lent où la langue est l'ancien français (traduit en surimpression), le protagoniste un guerrier en armure fouraillant les entrailles de sa belle infidèle avant de s'en pourlécher les babines… Cerise sur le gâteau, l'éclairage aux bougies médiévales se mâtine ensuite de rayons lasers introduisant la concomitance d'époques disparates réunies ici par l'effet de la répétition du même.

La dissension de la réception par la salle de cette audace dramaturgique née d'une cogitation collective, où chacun est tour à tour acteur et metteur en scène, semble se doubler d'une dissension d'approches sur le plateau… Certes, ce serait aller contre l'ADN de ce Collectif que de regretter l'absence d'un œil extérieur capable de fédérer ses énergies bouillonnantes… Et pourtant, on serait prêt à le penser afin que la "perte de sens" prenne tout simplement sens.

"Cent millions qui tombent"

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
D'après l'œuvre de Georges Feydeau.
Texte, conception et mise en scène : Collectif Les Bâtards Dorés.
Avec : Romain Grard, Lisa Hours, Ferdinand Niquet-Rioux, Jules Sagot, Manuel Severi.
Son : John Kaced.
Lumière et scénographie : Lucien Valle.
Costumes : Marion Moinet.
Régie générale : Constantin Guisembert.
Durée : 2 h.
Production Collectif Les Bâtards Dorés.

Créé du 24 au 31 janvier 2020 au Théâtre de la Cité - CDN Toulouse Occitanie.
A été présenté du 18 au 22 février 2020 au TnBA, Grande salle Vitez, Bordeaux.

Tournée

© Oscar Chevillard.
© Oscar Chevillard.
28 février 2020 : Théâtre de Chelles, Chelles (77).
27 mars 2020 : Théâtre de l'Arsenal, Val-de-Reuil (27).

Yves Kafka
Mercredi 26 Février 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024