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Théâtre

"Iphigénie en Tauride"… Naissance d'une lumière qui a l'éclat de l'évidence

"Iphigénie en Tauride", Théâtre des Abbesses, Paris

"Iphigénie en Tauride" de Goethe, inspiré d'Euripide, est une œuvre de jeunesse peu connue en France. Le poète y fait le portrait d'une femme exceptionnelle. La voir à Paris, sous les traits de Cécile Garcia Fogel, mise en scène par Jean-Pierre Vincent, est un bonheur de spectateur.



© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
La femme s'appelle Iphigénie. Elle appartient à la lignée épouvantable des Atrides qui depuis le grand ancêtre Tantale sème la zizanie chez les dieux et commet en famille crimes sur crimes. Sauvée du sacrifice que son père Agamemnon a commis pour conduire la guerre de Troie, elle ignore tout des soubresauts et des malheurs qui ont suivi la prise de la ville.

Encore choquée par un exil brutal, calme à défaut d'être sereine, elle vit, respectée en Tauride* peuplée de Scythes barbares. Parce qu'elle a été épargnée, Iphigénie vit dans l'étonnement et ne s'appuie, pour survivre, que sur sa droiture entêtée.

Par sa présence, son influence, les étrangers parvenant en Tauride ne sont plus condamnés à mort mais recueillis, comme elle, dans les lois de l'hospitalité. Le roi, sous le charme, veut l'épouser et essuyant un refus, homme de colère, rétablit la loi ancienne. Il suffit de l'apparition de deux étrangers, deux Grecs, frères d'Iphigénie pour que se noue la tragédie. Conflit de devoir, cas de conscience. Colère. Passion. Ubris. Abattement. Combat. Les hommes montrent leurs limites.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Iphigénie, incapable de ruser, par la seule force de son être, sait trouver dans les mots et les attitudes, le chemin étroit de la liberté et de la fidélité. Elle concilie les contraires, libère tous les protagonistes de leurs cauchemars. Son frère, le roi, les Grecs présents. Sort tout le monde de la fatalité, ouvre une page nouvelle de l'Histoire. Le texte de Goethe haletant mène à l'harmonie.

Le décor de Jean-Paul Chambas est simple, presque archaïque. À jardin, un rocher. Un récif ? Un pyroclaste ? Marque d'une lisière ? D'une rive hostile ? Au lointain, une chaise bleue propose son assise en paille au regard du spectateur. L'horizon a la matité de la mer, la fluidité des champs. À cour, un autel en marbre blanc entouré par un petit hémicycle. Le sol est veiné, comme dilué. La silhouette d'un arbre noire comme un carton découpé enveloppe la scène.

C'est dans ce cadre de toile peinte, propre à reporter une rêverie de Caspar David Friedrich, que Cécile Garcia Fogel sert Iphigénie et Vincent Dissez, Oreste. Ils occupent l'espace comme des solitudes sculptées qu'un pinceau de lumière vient métamorphoser. Seuls éléments, dans cette fixité physique, dans la tension des corps et du langage à peine hors de l'obscurité, le flux et le reflux des peurs et des rages contrariés par le besoin de paix.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Les paroles de Goethe tanguent dans les mouvements de la sensibilité, de la peur, de la joie, jusqu'à l'incandescence d'un idéal délicat et ferme de Raison et de Paix mêlées porté jusqu'à nous par le temps et sa mouvance. Marquée sur scène par la récurrence discrète de pleins jours et de nuits de pleine lune, la liquidité des nuages et des ombres, l'apparition des couleurs.

Avec Iphigénie, le spectateur assiste à la naissance d'une lumière qui a l'éclat de l'évidence. Celle qui nimbe Iphigénie, Oreste, rescapés de la tragédie, derniers rejetons de la famille des Atrides, qui trouvent les chemins de liberté.

* Actuelle Crimée.

"Iphigénie en Tauride"

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Texte : Goethe.
Mise en scène : Jean-Pierre Vincent,
assisté de Frédérique Plain et Léa Chanceaulme.
Traduction : Bernard Chartreux, Eberhard Spreng.
Dramaturgie : Bernard Chartreux.
Avec : Cécile Garcia Fogel, Vincent Dissez, Pierre François Garel, Thierry Paret, Alain Rimoux.
Décor : Jean-Paul Chambas.
Collaboratrice décor : Carole Metzner.
Costumes : Patrice Cauchetier.
Maquillage : Suzanne Pisteur.
Conception lumières : Benjamin Nesme.
Son : Benjamin Furbacco.
Durée : 1 h 50.

© Jean-Louis Fernandez.
© Jean-Louis Fernandez.
Du 23 novembre au 10 décembre 2016.
Mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 h.
Théâtre de la Ville, Paris 18e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Jean Grapin
Mercredi 30 Novembre 2016

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