La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"L'Attentat"… Comprendre, pénétrer l'indicible et intime intériorité de l'être aimé

"L'Attentat", Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine

Au-delà de l'acte innommable, comprendre pourquoi… Pourquoi l'être cher, adoré, élément indissociable de notre vie, a donné la mort… aux autres et à elle-même. Au-delà même du fait religieux extrémiste.



© Hubert Amiel.
© Hubert Amiel.
Adaptant le roman de l'écrivain algérien Yasmina Khadra, Vincent Hennebicq emmène le spectateur dans un voyage, entre fiction et réalité, questionnant la cause palestinienne avec une crudité documentaire et cinématographique, atténué, en petites touches légères, par un onirisme musical délicat, un chant d'une grande élégance (sublime Julie Calbete) et une narration qui délivre et redonne une belle musicalité - légitimité circonstanciée - à la langue arabe.

Dans "L'attentat", Yasmina Khadra nous conte l'histoire bouleversante d'Amine, chirurgien arabe naturalisé Israélien, qui opère sans relâche les victimes survivantes d'un attentat-suicide opéré par une femme dans un restaurant de Tel Aviv. La nuit suivante, on fait appel à lui pour examiner le corps déchiqueté de la kamikaze et il découvre avec horreur qu'il s'agit de Sihem, sa femme tendrement aimée.

La stupeur passée, celui-ci, sans haine et sans désir de vengeance, décide alors de découvrir les raisons, les chemins qui mènent à cet acte extrême, à l'adhésion à ce combat djihadiste désespéré bâti sur la haine et le sang. "Je veux juste comprendre comment la femme de ma vie m'a exclu de la sienne, comment celle que j'aimais comme un fou a été plus sensible au prêche des autres plutôt qu'à mes poèmes".

© Hubert Amiel.
© Hubert Amiel.
Si le roman initial fait 240 pages, l'adaptation effectuée n'en garde qu'une épure d'une douzaine de pages allant à l'essentiel de l'émotionnel, exacerbant à la fois la violence insupportable de l'événement et l'étonnante et puissante volonté de saisir l'incompréhensible d'Amine. Vincent Hennebicq conçoit cette ligne narrative courte, tout en tension, pour mieux l'associer à des apports sensoriels venant de la musique/chant et d'images cinématographiques fortes.

Ces dernières ont été filmées lors d'un voyage bien réel que l'équipe du spectacle a effectué entre Tel Aviv, Jérusalem, Bethléem et Jenine. En appui documentaire du monologue porté par Atta Nasser - à l'interprétation puissante, intense, incarnant un Amine plus vrai que nature -, le film réalisé vient, en second personnage, interpeller les interrogations du médecin et apporter les témoignages et les paroles dédiées de ces Palestiniens d'aujourd'hui vivant au cœur même d'un conflit qui dure encore et toujours, comme une agonie vouée à l'éternité.

© Hubert Amiel.
© Hubert Amiel.
Subtil contrepoint, la musique originale de Fabian Fiorini ajoute relief et densité aux différentes émotions, apportant des aspérités romanesques à l'histoire contée. En formation de cercle orchestral, les quatre musiciens habitent de leur musicalité le plateau, accompagnés de la voix harmonieuse et délicate de la chanteuse Julie Calbete.

Ici pas d'apitoiement, seule la recherche (de réponses) domine. L'absence de prise de position sur le conflit israélo-palestinien, tant de l'auteur que du metteur en scène, conduise à un travail à rebours, comme une enquête sur les origines du mal. La proposition de Vincent Hennebicq, mêlant ses trois passions que sont le cinéma, la musique et le théâtre, pose crûment la question : "comment réagir face à un événement qui nous dépasse ?". Saurons-nous un jour, de manière apaisée, y répondre ?

Création vue au Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

"L'Attentat"

© Hubert Amiel.
© Hubert Amiel.
Spectacle en arabe, français et hébreu surtitré.
D'après "L'Attentat" de Yasmina Khadra (Éditions Julliard).
Texte et mise en scène : Vincent Hennebicq.
Assistant à la mise en scène : Maxime Glaude.
Stagiaire assistante à la mise en scène : Lorena Spindler.
Composition musicale : Fabian Fiorini.
Réalisation et montage du film : Jean-François Ravagnan.
Image : Christophe Rolin.
Scénographie et lumière : Giacinto Caponio & Fabrice Murgia.
Création costumes : Émilie Jonet.
Régie générale : Romain Gueudré.
Interprétation : Atta Nasser.
Chanteuse : Julie Calbete.
Musiciens : Fabian Fiorini (piano), Laurent Blondiau (trompette), Marine Horbaczewski (violoncelle), Célestin Massot (percussions).
Traduction texte : Awni Daibes, Inbal Yomtovian, Eli Cohen.
Traduction vidéo : Patrick Tass, Daphné Seale.
Voix-off : Inbal Yomtovian, Kaat Arnaert.
Coach langues : Naël Daibes.
Régie et création sonore : Benoit Pelé.
Régisseur lumière : Jody De Neef.
Stagiaire lumière : Virgile Morel De Westgaver.
Régisseur vidéo : Matthieu Bourdon.
Régisseur plateau : Christophe Blacha.
Un remerciement particulier aux personnes rencontrées sur la route, ayant participé au tournage et accepté de témoigner pour le spectacle.
Durée : 1 h 20.
Création Studio Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

Jeudi 22 et vendredi 23 novembre 2018 à 20 h.
Théâtre Jean-Vilar, Vitry sur Seine (94), 01 55 53 10 60.
>> theatrejeanvilar.com

5 avril 2019 : Théâtre de Châtillon, Châtillon (92).

© Hubert Amiel.
© Hubert Amiel.

Gil Chauveau
Mercredi 21 Novembre 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024