La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Le Pacte des sœurs, une entente familiale à l'origine de deux femmes d'exception

"Le Pacte des sœurs, Marie Curie et Bronia Dluska", en tournée

Marie Curie a-t-elle eu une vie, une famille, une jeunesse avant d'être celle dont la Terre entière se souvient pour avoir changé le cours de l'humanité ? Réponse… Oui ! Et c'est ce que nous raconte le "Pacte des deux sœurs", une mise en lumière de deux personnalités extraordinaires, hors du commun, dont incontestablement Bronia est la moins connue des deux, le travail de Marie et de son mari ayant eu une portée universelle.



© François Régis Salefran.
© François Régis Salefran.
Voilà une pièce qui redonne une humanité sensible et intelligente à l'icône des sciences qu'est Marie Curie. Derrière la figure historique doublement primée et sa célèbre blouse de laborantine, se dévoilent une adolescente naïve, puis une jeune femme détentrice d'une jeunesse, d'une intimité, d'une volonté naissante qui se construira avec le soutien de sa sœur Bronia. De leur exceptionnelle complicité naîtra un "Pacte" qui fera d'elles, chacune à leur manière, deux femmes accomplies et épanouies qui bouleverseront à bien des égards le statut "féminin" de leur époque, servant encore de guide possible aujourd'hui pour le féminisme.

C'est cette entente (et la période s'y rapportant) entre les deux jeunes filles qui nous fait sortir complètement de la vision habituelle de la vie de Marie Curie, du portrait classique de la scientifique dont on occulte l'âge de l'adolescence puis des études. Cette époque met en lumière le lien indéfectible qui unit les deux sœurs et le pacte qu'elles scellent pour aller étudier à la Sorbonne. Il naît d'un même rêve qui les habite depuis l'enfance (parents enseignants) : étudier pour devenir "quelqu'un".

Au cœur de la Pologne sous domination russe, le "Pacte" est signé : Bronia partira la première faire des études de médecine à Paris et, une fois installée, elle fera venir Marie pour que celle-ci puisse étudier à son tour. L'une deviendra la grande et remarquable Marie Curie, l'autre l'une des premières gynécologues femme au monde.

© François Régis Salefran.
© François Régis Salefran.
"Le Pacte des sœurs" est une création réussie et "instructive", grâce notamment à une pertinente adaptation par Isabelle Lauriou du livre de Natacha Henry, très documenté, abordant les aspects familial, social, politique et féministe ; et à une mise en scène talentueuse, toute en subtilité et sensibilité, usant de séquences courtes, en manière de "tempo adagio", donnant un rythme agréable, posé…

Et créant deux espaces au plateau. Dans un premier temps, Marie Sklodowska en Pologne à jardin et Bronia à l'université en France à cour ; puis une fois toutes deux à Paris, Marie Curie et le labo sont côté jardin tandis que la poursuite de la vie de sa sœur (mariage, naissance, retour au pays, etc.) reste à cour.

La musique participe à la rythmique et à la cohésion de l'ensemble, habillant dans la pénombre les changements à vue avec d'étonnantes et légères compositions musicales, scintillantes, mélodiques et rythmiques à la fois, où des vagues d'harmoniques éphémères envahissent l'espace. Mihasane Pan joue pour cela du Hang. Le Hang un instrument de musique acoustique, de la famille des percussions. Pour faire simple, il s'agit est d'un volume lenticulaire creux, composé de deux coupelles métalliques embouties. La partie haute (plus "aiguë") de l'instrument émet une note fondamentale et sept ou huit notes entourant celle-ci. La partie "basse" est une surface lisse dotée d'un trou en son centre.

Les comédiennes sont au diapason malgré une logique assurance à venir… au fil des prochaines représentations. Marie-Hélène Aubert nous propose une Bronia toute en densité et sérieux face aux défis à relever dans une Pologne sous le joug de la Russie, puis dans une France où, même à la Sorbonne, les femmes ne sont pas les bienvenues et sont souvent mal accueillies (parmi les 776 étudiants de la faculté parisienne où elle s'inscrivit, les filles étaient alors moins de 20 en 1891). Et elle distille en toute élégance un personnage incroyablement humain, exprimant parfaitement l'amour qu'avait Bronia pour sa sœur.

Clémentine Stepanoff endosse le rôle de Marie Curie avec retenue au début, ne donnant pas trop d'ampleur à son interprétation, afin ainsi de ne pas tomber dans le piège de la forte personnalité de la chimiste devenue célèbre. De ce fait, elle retranscrit avec délicatesse et légèreté le tempérament plein de jeunesse de Marie avec la pointe de naïveté et de grâce permettant de découvrir la grande scientifique sous un jour nouveau. Si, parfois, les traits de caractère semblent manquer de relief, le jeu de la comédienne s'affine au fur et à mesure de l'avancée temporelle de la pièce. Incontestablement, les deux comédiennes font preuve de beaucoup de complicité et d'une réelle générosité dans leur interprétation.

Ainsi "Le Pacte des sœurs" a permis la réalisation d'une aventure extraordinaire pour deux femmes indépendantes et volontaires, qui devinrent exceptionnelles et singulières, ayant marqué chacune à leur manière l'Histoire. Et c'est ce récit que nous propose avec réussite et talent la Compagnie du Saut de l'Ange.

"Le Pacte des sœurs, Marie Curie et Bronia Dluska"

Adaptation du roman "Marie et Bronia, le Pacte des sœurs" de Natacha Henry (Éditions Albin Michel).
Adaptation et mise en scène : Isabelle Lauriou.
Avec : Marie-Hélène Aubert et Clémentine Stepanoff.
Musique : Mihasane Pan.
Compagnie du Saut de l'Ange.

Créé le 16 mars à la Mairie du IVe.
Le spectacle a été joué le vendredi 27 avril 2018
dans le cadre du Printemps de la Création au Théâtre 14, Paris 14e.

Prochaines dates
20 mars 2019,
à 20 h 30,
Foyer international des étudiantes,
93 Boulevard Saint-Michel,
75005 Paris.
Réservation par retour de mail à l'adresse suivante et paiement par chèque ou sur place :
ciecorpsetames@gmail.com

>> ciedusautdelange.com

Pour mémoire…

© François Régis Salefran.
© François Régis Salefran.
- Marie Sklodowska est née à Varsovie en 1867. La Pologne est alors sous la domination de la Russie.
- Elle décède au sanatorium de Sancellemoz (Haute-Savoie) le 4 juillet 1934.
- Elle arrive à Paris à l'âge de 24 ans (en 1891) pour suivre des cours de mathématiques et de physique.
- Prix Nobel de physique en 1903 et prix Nobel de chimie en 1911. Seule femme, encore aujourd'hui, a avoir reçu deux prix Nobel.
- La découverte du radium est l'œuvre de Pierre et Marie Curie qui l'ont extrait de la pechblende.
- Le pechblende est l'oxyde naturel d'uranium, composé essentiellement d'uraninite (UO2), le plus important minerai d'uranium, dont on extrait le radium.
- 1898 : le polonium, deux ans plus tard le radium... La radioactivité est née.
- Elle passera le restant de sa vie à mettre à profit les effets du radium sur les organismes vivants pour soigner les cancers. La "curiethérapie", pratique qui consiste à implanter des aiguilles contenant du radium pour irradier localement une tumeur, est mise au point. En 1914, l'institut du radium (aujourd'hui institut Curie) est fondé à Paris afin d'associer différentes disciplines scientifiques dans la recherche de nouvelles thérapies.
- En 1995, François Mitterrand salue "la première femme de notre histoire honorée pour ses propres mérites" lors du transfert des cendres de Marie et Pierre Curie au Panthéon.

© François Régis Salefran.
© François Régis Salefran.

Gil Chauveau
Jeudi 3 Mai 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024