La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"One shot"… Délice de danses urbaines !

Dans une superbe représentation où l'ombre tutélaire d'Osmane Sy reste encore très présente, le chorégraphe français a créé, dans ce spectacle, un mariage de danses urbaines qui offre un kaléidoscope de gestiques où la personnalité de chaque artiste devient surtout l'aiguillon de sa propre expressivité.



© Timothée Lejolivet.
© Timothée Lejolivet.
Place à huit femmes qui investissent la scène avec un DJ déjà présent (Sam One DJ ou DJ SP Sunny) côté jardin. Elles s'immiscent sur scène soit en groupe, soit séparément avec une gestuelle fluide ou massive, avec, pour celle-ci, des corps plus ancrés au sol. Durant toute la représentation, c'est un ensemble de tableaux qui est proposé avec, pour chacun, son style, son pinceau, son crayon, sa patte, sa plume, comme une partition avec ses différentes notes qui ont leur propre portée et qui composent une mélodie. Celle-ci ressemble à une symphonie tant la composition chorégraphique est d'une grande richesse stylistique… intégrant le wacking, le popping, la house dance et le hip-hop.

On glisse souvent dans des tempos musicaux aussi variés que celles des danses urbaines adoptées sur scène avec leurs allures glissées, fluides ou alors plus tranchées dans l'étirement des membres inférieurs et supérieurs. Difficile de lister tous les solos dont la qualité est indéniable. Aussi, nous n'en choisirons qu'un, celui de Cintia Golitin, superbe dans son popping où les bras s'étirent, s'allongent, son torse descendant et s'enroulant presque, ses membres inférieurs se repliant puis remontant. Tel un serpent, elle devient très élastique avec l'appui de ses bras qui s'étirent et s'allongent.

© Timothée Lejolivet.
© Timothée Lejolivet.
Plus loin, les jambes des artistes descendent, s'allongent, se replient selon les chorégraphies. Celles-ci sont multiples dans leurs gestuelles avec lesquelles le poids du corps peut osciller dans des latitudes qui allient souvent force et fluidité. Les déplacements sont effectués sur toute la longueur de la scène, allant un moment jusqu'à la table du DJ. Elles investissent ainsi un champ qui est une non-zone, une frontière vide entre danse et musique pour créer un lien direct entre ces deux arts.

Dans cette immixtion, on se retrouve symboliquement dans une fusion artistique. Il y a de bout en bout de la représentation un enchevêtrement chorégraphique entre le wacking, le popping, la house dance et le hip-hop. Bien qu'urbaines, leurs styles sont très différents. Ceux-ci construisent dans leurs tempos, leur rythme et dans leur fluidité différents tableaux qui se lient dans un espace-temps les uns aux autres, dégageant une cohérence plurielle entre eux. À prendre chacun d'eux, on se retrouve face à la mise en exergue de solos comme pièces d'un puzzle. Tout est différent, mais tout se relie.

Les danseuses se mettent parfois côté cour sur une partie légèrement surélevée. Les jambes sont élancées, oscillant, selon les tableaux, entre tension et souplesse leur permettant de descendre, pour certaines, leur taille presque au niveau des genoux.

© Timothée Lejolivet.
© Timothée Lejolivet.
Le spectacle finit avec de la house dance où toutes les interprètes s'avancent en groupe en rythmant leurs déplacements vers l'avant-scène sur des appuis bien marqués de la plante des pieds, les jambes tapant le sol de façon énergique.

Comment ne pas penser à Ousmane Sy, alias Babson, mort prématurément en 2020 d'une crise cardiaque à Anthony (92) ? Parti beaucoup trop jeune, il laisse derrière lui une approche épurée comme aussi pour sa création "Basic" (2016), la grille de lecture à avoir est avant tout personnelle à chaque interprète. La gestique du corps engendre en effet l'allure des mouvements, car elle donne son tempo.

Le chorégraphe français, figure de proue du hip-hop, avait livré avec sa troisième et dernière pièce "One shot" un style où la transfiguration des gestuelles fait écho à la personnalité de chaque artiste. Les passages solos groupe sacrent une union tout en préservant la gestique de chacune. Ainsi ce mariage heureux dans ces différentes configurations fait résonner cette différence qu'une danse n'est pas que sujet d'une grammaire, mais surtout l'expressivité de chaque interprète. Faire cohésion ensemble tout en étant différent.

"One shot"

© Timothée Lejolivet.
© Timothée Lejolivet.
Chorégraphie : Ousmane Sy.
Assistante chorégraphe : Odile Lacides.
Création lumières : Xavier Lescat.
Son et arrangements : Adrien Kanter.
Costumes : Laure Maheo.
Regards complices : Kenny Cammarota, Valentina Dragotta, Audrey Minko.
Avec 8 danseuses parmi : Audrey Batchily, Allauné Blegbo, Cynthia Casimir, Marina De Remedios, Valentina Dragotta, Chris Fargeot, Johanna Faye, Nadia Gabrieli Kalati, Cintia Golitin, Linda Hayford, Odile Lacides, Audrey Minko, Anaïs Mpanda, Mounia Nassangar, Stéphanie Paruta.
DJ (en alternance) : Sam One DJ, DJ SP Sunny.
Durée : 1 h.

Ce spectacle s'est déroulé du 23 au 25 novembre 2023.
Grande Halle de la Villette
>> Programmation La Villette

Safidin Alouache
Mercredi 6 Décembre 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024