La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Qui Ne Dit Mot"… une expérience immersive totale, totalement ludique, une archi totale expérience du Consentement

Animal social, ainsi parfois définit-on l'être humain, deux termes qui associés donnent vaguement l'idée de liens, fluctuants ou rigides, entre les individus de cette espèce. Des individus à la fois indépendants, capables de solitude et pourtant très interdépendants entre eux. C'est en allant questionner les réflexes sociaux qui nous façonnent que la compagnie Wao invente pour le public un spectacle à la fois troublant et dynamique qui pose, par une série de jeux de rôles offerts à tous, l'occasion de tester ses limites, ses sensibilités, ses ressorts sociaux intimes.



© Lisa Delolme.
© Lisa Delolme.
Nous voilà, public, un groupe qui varie entre dix et quarante personnes qui ne se connaissent pas, debout face à cinq personnages étranges. Vêtus de noir, portant un large couvre-chef qui occulte leurs yeux, ceux-ci vont être les maîtres du jeu durant le temps de la représentation. Un jeu dont les règles nous sont expliquées à la fois verbalement et chorégraphiquement, règles dont la principale est de rester muet jusqu'à la fin. Premier palier de : Qui ne dit mot…

Et puis commence la danse, la course, la quête, la joute, la compétition, le jeu dont nous faisons intégralement partie. Car il s'agit d'une immersion totale. De spectateurs, spectatrices, nous devenons actrices, acteurs et sans pour cela jouer la comédie, nous allons devenir joueuses et joueurs pour une série d'énigmes où le groupe, les groupes, les individus vont être sans cesse confrontés à la participation, à la compréhension du jeu proposé d'abord, puis au choix d'y participer ou non. Sans un mot eux-mêmes, les cinq danseurs, maîtres des jeux, par des gestuelles, des mises en places spatiales, des déplacements ou des chorégraphies, indiquent les règles. Mimétisme, esprit de compétition, cohésion de mini-groupes rivaux, toutes sortes de comportements sont ainsi convoqués, titillés, provoqués.

© Freddy Ayen.
© Freddy Ayen.
Si tout cela semble gratuit dans le descriptif que j'en fais, il n'en est pourtant rien et même si dans le temps et l'espace de la représentation, le ludique reste roi, toutes sortes de sentiments parcourent les esprits et les corps des participants. Car, en participant, c'est bien de consentement qu'il s'agit. L'ingéniosité de cette recherche mise en place par la compagnie Wao réside dans l'aspect "presque" inhumain des cinq meneurs de ce jeu étrange et perturbant.

À aucun moment, nous ne voyons leurs yeux. Leurs gestes, parfois très mécanisés, toujours très chorégraphiés, les distinguent et leur donnent un côté autoritaire, une sévérité que nos pauvres carcasses reconnaissent de façon quasi-inconsciente. Et ce sont de temps en temps des dilemmes provoqués par ces attitudes intransigeantes, qui se nouent dans nos esprits, nos ventres, provoquant par contraste une solidarité pleine de compassion avec les autres spectateurs.

Le but avoué de "Qui Ne Dit Mot" est d'aller fouiller très profondément cette idée de Consentement mise au jour depuis quelques années suite à l'affaire Weinstein et au mouvement Metoo. Ici, rien de dogmatique (aucune parole n'est prononcée), mais une mise en acte des comportements, des sensations, des émotions. Du coup, le dispositif, tout ludique qu'il soit, permet de mettre au jour les parfois étranges réactions provoquées soit par le jeu et l'esprit de la gagne, soit par l'appartenance, même très éphémère, à un groupe face à un autre groupe. Mais également des mouvements de compassion, ou non, dans certaines situations proposées.

Avec ce spectacle, la compagnie Wao propose une expérience riche, ludique, collégiale, capable d'illuminer les parts d'ombres qui dominent de temps en temps nos comportements face au groupe, aux individus et finalement à la société. Un moment très intense et vivant.
◙ Bruno Fougniès

Vu au Conservatoire d'Ivry-sur-Seine le 9 novembre 2024.

"Qui Ne Dit Mot"

© M. Campistron.
© M. Campistron.
Quintête - expérience immersive tout public - Création en cours.
Chorégraphes, metteurs-en-scène et interprètes : Lisa Delolme, Claire Bouillot, Angélique Verger, Maxim Campistron, Jeanne Lullier.
Vidéaste : Freddy Ayen.
Décors et Accessoires : Angélique Verger.
Par la Compagnie Wao.
Durée : 1 h.
À partir de 13 ans.

6 juin 2025.
Dans le cadre du "Spectacle des Artistes de la Glacière".
Mairie du 13e, 1, place d'Italie, Paris 13e.
Entrée libre sans réservation (soirée partagée entre six compagnies).

Été 2026 : Qui Ne Dit Mot, la performance, Champigny-sur-Marne (94).

Bruno Fougniès
Mercredi 14 Mai 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024