La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"A revue"… À revoir pour sa créativité débordante !

L'artiste flamant Benjamin Abel Meirhaeghe, fidèle à son approche très créative bousculant les codes de perception par des extravagances les plus originales, nous invite dans un monde où l'autre, aussi fantomatique que réel, est au carrefour du rêve, de la réalité, de l'imaginaire et du fantasme. Face à des protagonistes aux frontières de ces différents champs d'appréhension, sa création se nourrit de la musique, du chant, du théâtre et d'une forte expression corporelle pour nous emmener ailleurs, dans un espace-temps dans lequel le conscient embrasse goulûment son inconscient.



© Fred Debrock.
© Fred Debrock.
Place a une scène longitudinale avec ses supports métalliques ondulés qui la longent par intermittence autour desquelles plusieurs rangées de spectateurs sont situées les unes en face des autres. Il s'agit de face-à-face durant cette représentation, autant avec des pulsions, des désirs, qu'avec des débordements. Les artistes ont une position ambivalente en étant seuls avec eux-mêmes ou ensemble et occultant le public, ou encore directement face au public.

Dans cette création protéiforme datant de 2020 et qui est sa dernière œuvre actuellement, le performeur et metteur en scène flamant Benjamin Abel Meirhaeghe met le corps en média premier autour d'une approche artistique des plus déroutantes par ses figures, son rythme, sa trame et ses différentes séquences. Il nous convie à un voyage dans le futur où la courbure du temps zigzague jusqu'à l'année 4020 en embarquant avec lui du Mozart, du Vivaldi et du Schubert.

Rien n'est en demi-teinte, ni les costumes, ni l'interprétation, ni les répliques autour de protagonistes maquillés et habillés comme des êtres venant d'une réalité irréelle. Ce qui interpelle est le lieu où tout ceci se déroule entre rêve, réalité, imaginaire, fantasme. En anglais et en français, le texte est lancé par intermittence de bout en bout du plateau, installant, par moments, un rapport à l'autre distant. Et pourtant, même si la pudeur est absente, l'intime est l'humus du spectacle.

© Fred Debrock.
© Fred Debrock.
La musique et le chant, avec, entre autres, la prestation a cappella d'Oriana Mangala, trouvent un allié dans ce seul piano situé à une extrémité des planches et où, à un autre moment, est engagée une douce mélodie. Tous les protagonistes sont vêtus de façon étrange et décalée avec une combinaison fine sur eux quand ils ne sont pas entièrement découverts. Les visages sont maquillés tels des personnages de mime ou de cirque.

Se joue aussi une partie de tennis avec, pour chacun des adversaires, de longues tiges et ses quelques feuilles en lieu et place de la raquette avec laquelle ils se renvoient une balle qui n'existe pas. Le spectacle est très physique tout du long. Ailleurs, des corps sonnent, tintent, bruitent à chaque toucher et effleurement, ce qui apporte une touche très humoristique à la séquence. Plus loin, tout passe dans des caresses sexuelles où le sexe est, pour celui de l'homme, son appendice corporel ou parfois objet plastique avec lequel on joue ou que l'on porte, et pour celui de la femme, un organe accoucheur d'objets ressemblant, par leur rondeur, à des calots ou, par leur forme et leur couleur, à un produit de défécation. Une origine d'un monde étrange où la créatrice ne ressemble en rien à ce qu'elle enfante.

© Fred Debrock.
© Fred Debrock.
Le corps devient jouet d'une expression libre de désirs bruts, d'animalité. Un moment, Maribeth Diggle court, déambule nue sur toute la scène, se lâche en portant ici ou là quelques coups violents au sol avec un instrument sonore. Elle s'exprime en gesticulant et en envahissant tout le plateau, devenant l'expression de désirs refoulés et interdits, car effectuée au-delà de toute convention sociale, les pulsions étant avant tout domestiquées au travers de la culture et de la morale d'une société.

Ce qui étonne dans cette représentation est cette gamme de gestiques qui s'immisce et l'alimente de bout en bout d'éléments au style étonnant. Il n'y a pas de linéarité. Tout est rupture. La musique, le chant lyrique et le théâtre sont les différents relais artistiques qui donnent à cette création une vue fantasmée d'une réalité qui semblent échapper, à dessein, à ses interprètes. Comme un pendant de l'association libre de Freud, nous assistons à une expression libre. Car qu'est-ce qui est réel dans tout ce qui se joue ? Tout se mêle, autant les arts utilisés que le fantasme, le rêve et la réalité. Les frontières n'en sont pas délimitées, ce qui donne un cachet des plus intéressants et déroutants à cette œuvre.

"A revue"

© Fred Debrock.
© Fred Debrock.
Textes : Louise van den Eede.
Création et mise en scène : Benjamin Abel Meirhaeghe.
Avec : Ellen Wils, Maribeth Diggle, Arnout Lems, Hanaka Hayakawa, Dolly Bing Bing, Simon Van Schuylenbergh, Jelle Haen, Bjorn Floreal, Sophia Rodriquez, Oriana Mangala, Adrien De Biasi, Eurudike De Beu, Lionel Couchard.
Artistes visuels : Julian Weber, Sietske van Aerde, Daan Couzijn, Benjamin Abel Meirhaeghe.
Dramaturgie : Louise van den Eede.
Dramaturgie musicale : Katherina Lindekens, Lena Meyskens.
Son : Laurens Mariën, Jasper Segers.
Composition : Laurens Mariën, Jasper Segers.
Piano : Maya Dhondt.
Scénographie : Bart van Merode, Julian Weber.
Lumières : Bart van Merode.
Assistant scénographe : Zaza Dupont.
Costumes : Benjamin Abel Meirhaeghe, Julian Weber, Sietske van Aerde.
Maquillage : Jelle Haen.

Le spectacle s'est joué du 28 au 30 juin 2023 à La Grande Halle de la Villette

Safidin Alouache
Mercredi 5 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024