La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2025

•Off 2025• "Sous les Paupières" Un grand moment de théâtre, sensoriel et organique, à la caisse de résonance fulgurante

Une petite fille s'est inventée sous ses paupières une "vie monde", un refuge, dans lesquels elle a grandi pour devenir une adulte empêchée, durablement marquée par les secrets des générations précédentes, par l'école, l'humiliation, les injonctions, ou encore la honte. Pourtant épargnée par les drames, elle est toujours au bord de vivre, de mourir, de jouir. Mais, un jour, il a fallu se réveiller…



© Antoine Vincens de Tapol.
© Antoine Vincens de Tapol.
"Aujourd'hui, j'ai fait ma mue. Je ne me gratte plus. Pendant longtemps, je ne fermais pas les yeux pour dormir, je fermais les yeux pour vivre", précise, de manière profonde et sensible, Lou Chauvin, autrice, comédienne et metteuse en scène, qui propose, avec ce spectacle, son premier seule en scène.

Sur l'affiche, quelque chose de profond se dégage d'emblée de ce corps de femme vêtue d'un justaucorps brillant aux couleurs métalliques audacieuses, rappelant ceux des gymnastes athlètes invétérées. De son regard noisette et perçant, aussi, créant une connexion immédiate qui invite le spectateur à venir entendre ce qu'elle a à lui dire.

Une sorte d'impression multiple nous frappe, à la fois dérangeante et impérieuse.
Elle est posée là, comme dans une posture de modèle vivant, sensuelle et digne sans être forcée, attendant que le public la croque avec justesse en toute introspection. Elle attend, intensément, calme, comme pour mieux bondir, surgir et hurler son trop-plein de non-dits.

© Antoine Vincens de Tapol.
© Antoine Vincens de Tapol.
Et si notre critique s'arrêtait là ? Dans une impression en filigrane d'avoir presque déjà tout vu, ou tout dit ! Que nenni. Il fallait malgré tout voir le spectacle, il fallait conforter nos impressions premières, sinon, ce n'est pas du jeu !

À 39 ans, Lou Chauvain envisageait encore récemment – moins d'un an en arrière – de ne plus continuer à donner vie à ses envies. Une "liste de ses envies" sans doute trop vertigineuse. Mais c'était sans compter sur la présence fidèle de son journal intime et d'une réelle introspection, car la comédienne est parvenue à pallier ces passages à vide, haut la main, et le cheminement s'est opéré.

Mais Lou Chauvain n'en est pas à ses premières planches, loin de là. Lauréate du Prix Sylvia Montfort en 2010 pour son parcours d'interprète au CNSAD, c'est une comédienne polyvalente issue d'un parcours rigoureux marqué par une expression à la fois intime, charnelle et audacieuse. La danse, la musique, le théâtre, le chant, autant de disciplines qui l'ont forgée et façonnée, jusqu'à ce premier seule-en-scène largement autobiographique.

Au départ, le propos peut paraître fragmenté et quelque peu éclaté, voire abstrait. Comme un trop-plein, une profusion. C'est d'emblée dense et multiforme, dans une intention, peut-être, de dérouter volontairement le spectateur, empêché de tirer sur un fil narratif clair et défini.

Être dérouté par un propos théâtral "en live", et même après – surtout après ! –, n'est-ce pas le gage que quelque chose d'organique s'est passé, engendrant une vérité forte, bardée d'authenticité et d'émancipation ?

Certains moments du spectacle peuvent interpeller, entre propos tantôt graves ou plus drôles, inventivité scénique et écriture charnelle, ou encore ton émancipateur. Mais le théâtre, n'est-ce pas aussi cela ? L'introspection au centre de la dramaturgie est souvent périlleuse, qui cherche à explorer la vie intérieure, les souvenirs, les émotions, les failles, la quête identitaire ou existentielle. Georges Perec n'a-t-il pas dit que "l'intime est ce qu'il y a en moi de plus que moi".

C'est avec une grande originalité que Lou Chauvain parvient à explorer de manière scénique le flux de conscience qui a été le sien une bonne partie de sa vie, mêlé à des fragments de mémoire multiples et nombreux. Dans ce seule-en-scène, à nos yeux bouleversants, juste comme on les aime, la comédienne parvient admirablement à incarner une réflexion de Sarah Berbedette qui nous a toujours interpellée : "L'acteur ne joue plus un rôle, il se joue de lui-même, dans le vertige de la représentation".

© Antoine Vincens de Tapol.
© Antoine Vincens de Tapol.
Son jeu crée une fulgurante immersion sensorielle chez le spectateur, organique, tout à fleur de peau, et, appuyé par le parti pris d'angles dramaturgiques éclatés entre stand-up, confession, chant, plateau épuré où seuls quelques accessoires apparaissent, changements de lumière soignée de Laurent Bénard qui suit ses variations émotionnelles, il emporte littéralement le spectateur.

Il est probable que ce soit lors des silences et du vide de l'espace que soient convoqués encore davantage cet intime aux allures probablement universelles. "On le sent quand ça va arriver. On a beau être gosse, on n'est pas con ! On pressent le grand secret des adultes."

"Je suis le feu qui se mouille de mes larmes intérieures, peut-être." L'écriture virtuose de Lou Chauvain, d'une poésie sans commune mesure, est comme un cadastre du banal où chaque phrase cartographie une intériorité sans l'expliquer ! Juste pour la vivre ! À fond !

"Sous les Paupières » est un spectacle vertigineux et le festival Off d'Avignon existe aussi pour que de telles productions puissent avoir lieu.

Si jamais votre chemin de vie vous fait côtoyer un cabinet de psy, allez assister à ce spectacle de Lou Chauvain. Il vous fera à coup sûr économiser au moins une séance de consultation, voire bien davantage !
◙ Brigitte Corrigou

"Sous les Paupières"

© Antoine Vincens de Tapol.
© Antoine Vincens de Tapol.
Texte : Lou Chauvain.
Mise en scène et interprétation : Lou Chauvain.
Musique : Pascal Sangla.
Collaboration artistique : Joséphine De Meaux.
Dramaturgie : Mériam Korichi.
Lumières : Laurent Bénard.
Son : Pierre Routin.
Costumes : Camille Ait Allouache.
Espace : François Gauthier-Lafaye.
Production : CentQuatre Paris.
Tout public à partir de 14 ans.
Durée : 1 h 10.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 24 juillet 2025.
Tous les jours à 15 h 40 sauf le 11 et 18 juillet.
Théâtre du Train bleu (Ttb), Salle 2, 40, Rue Paul Saïn, Avignon.
>> Billetterie en ligne
>> theatredutrainbleu.fr

Tournée
Du 12 au 21 février 2026 : Centquatre-Paris, dans le cadre du Festival Les Singuliers(es), Paris.
18 et 21 mars 2026 : Théâtre d'Angoulême - Scène Nationale, Angoulême (16).

Brigitte Corrigou
Mardi 8 Juillet 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025