La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

18e Rencontres de la Forme courte : une mise en bouche du Festival Trente Trente

Si, en ce janvier singulier, les circonstances ont finalement eu raison - quel vilain mot - des Rencontres annuelles de Jean-Luc Terrade, ce n'est que partie remise… Avant que le public, désormais addict, ne puisse découvrir la programmation reportée à l'été, cinq sorties de résidence et interviews live sont proposées. L'occasion inespérée, en ces temps de disette artistique, de donner à la scène contemporaine une lisibilité à nulle autre pareille tant les disciplines artistiques convoquées et l'originalité sans concessions des artistes invités font de cet événement un rendez-vous unique "en son genre"… transcendant tous les genres.



"Dans le Mille" de Kevin Jean © Alice Marrey.
"Dans le Mille" de Kevin Jean © Alice Marrey.
"Dans le mille" de Kevin Jean. Accompagné(e) de deux performeur(e)s, Soa de Muse et Calixto Neto, le chorégraphe-interprète (dé)livre des figures reproduisant les postures de séduction habituellement attribuées au genre féminin. Ce faisant, vêtu(e)s de haut en voile transparent, de brassières courtes ou de mini short libérant généreusement les globes de leur anatomie, ils-elles parcourent la géographie des codes féminins figés en s'affranchissant des contraintes auxquelles leur sexe de naissance "devrait" les assigner. Rien de provocateur dans cette manière de s'approprier les figures en vogue dans les clubs de striptease, peep-show, lap dance. Mais tout au contraire l'affirmation d'une liberté recouvrée mettant à mal les stéréotypes hérités. Et si cela générait malaise chez le regardeur, il en serait seul propriétaire.

En effet, les artistes en position frontale, nous incluent avec grâce dans un univers faisant fi du prêt-à-porter genré. La masculinité héritée des stigmates d'un patriarcat toujours vivace se délite pour laisser place à la douceur de caresses désirables, de prise en compte de l'autre en tant qu'être désirant. S'émancipant en toute tranquillité de l'Ordre inscrit dans les replis de l'inconscient par des siècles de domination machiste, les barrières des sexes empêchant l'Homme d'être fragile et doux sont "trans-gressées" avec bonheur. Ainsi enrichi, c'est à une expansion de soi que l'on assiste au travers de cette déconstruction-construction.

Dans un second tableau - de ce qui est annoncé comme une étape de travail -, les corps masculin(e)s travaillé(e)s par les vibrations érotiques des bassins soutenus par les portées d'une musique répétitive se donnent à voir dans leur vérité première, débarrassée de la gangue des préjugés sexistes. En jouant avec les stéréotypes de séduction de postures féminines poussées jusqu'à leur paroxysme, la masculinité bousculée s'affranchit du carcan la privant d'une part essentielle d'elle-même pour faire advenir l'homme multidimensionnel… L'Homme est une Femme comme une autre… Ecce Homo. À suivre…

"MONsTRER" de Thomas Laroppe et Biño Sauitzvy © Pierre Planchenault.
"MONsTRER" de Thomas Laroppe et Biño Sauitzvy © Pierre Planchenault.
"MONsTRER" de Thomas Laroppe & Biño Sauitzvy immerge dans l'univers d'Antonin Artaud pour en moduler ses échos singuliers dans une partition écrite de chair et d'os. Sur le fond sonore d'un enregistrement datant de 1948 où Artaud le Mômo déclame, avec les écholalies qui caractérisent son phrasé, sa conférence incendiaire ("Pour en finir avec le jugement de Dieu"), les deux performeurs chorégraphes se livrent à des arabesques hautement maîtrisées pour délivrer le corps de la gravité qui l'assujettit.

Lorsque les cris (in)articulés de l'inventeur du "Théâtre de la cruauté", plaçant la douleur liée à la souffrance d'exister au cœur de sa création, prennent ainsi corps au travers des figures chorégraphiées au millimètre, on est littéralement saisi de part en part. En effet, ce qui résonne alors en nous, à cor et à cri, n'est rien d'autre que l'expérience sensible d'une révélation hors normes. Et encore n'est-ce là que les prémices d'un projet que les deux complices comptent développer dans une version plus longue.

Dans sa recherche à jamais inaboutie de l'être débarrassé de ce qui l'asservit, le corps - ce lieu désespérément bancal - doit être mis à nu "pour lui gratter cet animalcule qui le démange mortellement, dieu, et avec dieu, ses organes". Et Artaud de poursuivre : "Alors vous lui réapprendrez à danser à l'envers, et cet envers sera son véritable endroit".

Et c'est justement à cet "endroit" précis que se situe la prestation corporelle de haut vol, conjuguant maîtrise exemplaire des équilibres les plus improbables et puissance fragile d'un corpus échappant aux lois de la gravité. Les deux corps mis à nu fusionnent en basculant d'avant en arrière dans la même entité vulnérable, prenant appui l'un sur l'autre dans une complicité exploratrice ayant pour effet de démultiplier l'être en soi. Pour exister, se laisser aller à être, prendre soin de "dilater" le corps pour qu'advienne l'homme sans entrave.

Et c'est à cette expérience fondatrice que l'on est convié, celle d'un être hybride, sorte de monstre qui naît devant nos yeux, se métamorphose à l'envi pour se montrer en toute liberté, nu, fragile et puissant. Cette créature à quatre bras et quatre jambes dont le regard insuffle la volonté d'exister est une invitation à refuser toute soumission établie par un ordre extérieur. Quand les mots prennent corps, ils dansent effrontément.

"Dans le mille"

"Dans le Mille" de Kevin Jean © Alice Marrey.
"Dans le Mille" de Kevin Jean © Alice Marrey.
Danse.
Conception et chorégraphie : Kevin Jean.
interprétation : Kevin Jean, Soa de Muse, Calixto Neto.
dramaturgie : Céline Cartillier.
scénographie : Bia Kaysel.
création lumières : Anthony Merlaud.
création costumes : Salomé Brussieux.
Durée : 35 minutes.

Étape de travail présentée aux professionnels dans le cadre d'une sortie de résidence, le vendredi 22 janvier à 17 h, à L'Atelier des Marches, Le Bouscat (33).

Interview live sur la page facebook réalisée le 21 janvier à 13 h 30 par Stéphanie Pichon.
>> Écouter

Tournée (sous les réserves sanitaires d'usage)
Première le 22 mars 2021 : Le Gymnase, CDCN, Roubaix (59).
27 mars 2021 : Le Dancing, CDCN, Dijon (21).
25 mai 2021 : Festival June Events, Atelier de Paris, Paris.
7 et 8 octobre 2021 : Le Carreau du Temple, Paris.
20 novembre 2021 : Festival Born To Be Alive, Le Manège, Reims (51).

"MONsTRER"

"MONsTRER" de Thomas Laroppe et Biño Sauitzvy © Pierre Planchenault.
"MONsTRER" de Thomas Laroppe et Biño Sauitzvy © Pierre Planchenault.
Performance.
Création et performance : Thomas Laroppe et Biño Sauitzv.
Durée : 30 minutes.

Présentée aux professionnels dans le cadre d'une sortie de résidence, le mercredi 27 janvier à 15 h, à L'Atelier des Marches, Le Bouscat (33).

Spectacle reporté à la "Saison chaude" de "Trente Trente", 2 et 3 juillet 2021 à l'Atelier des Marches, Le Bouscat (33).

>> trentetrente.com

Yves Kafka
Mercredi 3 Février 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024