La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"La vie de Galilée" Une vie (presque) ordinaire, entre foi et loi

Bertolt Brecht en réécrivant la vie du savant italien confronté à la "justice" de l'inquisition savait de quoi il parlait, lui l'écrivain allemand né en Bavière qui, dans ces années de montée de la peste brune, avait dû s'exiler au Danemark. À trois siècles d'intervalle, les mêmes démons hégémoniques produiraient les mêmes effets, la condamnation à la mort de ceux qui avaient l'outrecuidance de penser autrement. Un siècle encore plus tard, Claudia Stavisky s'empare de l'œuvre brechtienne pour la faire résonner jusqu'à nous en confiant au charismatique Philippe Torreton un rôle taillé à sa mesure.



© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Quel est donc l'inqualifiable crime commis par Galileo Galilei, honorable professeur de mathématiques à Padoue dans la Sérénissime République de Venise, lieu de l'effervescence artistique de ce XVIIe siècle débutant ? Est-ce d'avoir pointé sa lunette astronomique sur les planètes pour "dévoiler" qu'elles n'étaient pas fixées à la voûte de cristal aristotélicienne, mais qu'elles tournaient bel et bien autour du soleil ? Ou est-ce les effets collatéraux de cette découverte, certes irréfutable d'un point de vue scientifique, remettant en cause le dogme de la Terre centre du monde et, par ricochet, celui du dogme d'un Dieu au centre de la création ?

Dans un décor de friches atemporelles (deux immenses portes s'ouvrant et se refermant sur Padoue, Venise, Florence, Rome…) créant ainsi un lien avec le monde contemporain, Galilée va vivre devant nous. On le suit pas à pas dans sa vie quotidienne occupée par ses recherches, dans un thriller haletant construit selon le rythme des séries (dates et lieux annoncés sur un panneau défilant) dont on connaît d'avance la fin sans que l'intérêt n'en soit nullement altéré.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Adepte inconditionnel d'une recherche scientifique se refusant toute facilité, il reprendra son élève et disciple, le fils de sa servante, pour lui inculquer une rigueur sans concession. En effet, il ne s'agira pas de vouloir vérifier ce que l'on croit être, mais de tenter de prouver ce qui va à l'encontre de ce que l'on suppose être, afin d'écarter tout aveuglement, serait-il cognitif. Tenter de prouver l'immobilité de la terre et, quand on aura échoué - et alors seulement - se demander si la terre ne tourne pas autour du soleil.

Refusant de quitter Florence envahie par la peste, refusant d'abdiquer sa foi… en la science, la Sainte Église n'aura de cesse de lui opposer que "L'Homme est un joyau de Dieu", qu'il est au centre de la Terre, elle-même au centre de l'univers, et que prétendre l'inverse n'est que pure hérésie. Et pour clore tout débat, lui sera rappelé qu'il ressemble fort à celui que l'Église a brûlé vif, dix ans auparavant, pour avoir défendu la théorie nébuleuse de Copernic…

Cependant, contre vents et croyances religieuses, l'homme de science ne cessera de "croire" en l'homme et sa raison, pariant pour la séduction attachée à la preuve. Force est de constater que cette "croyance" n'a pas plus lieu d'être que celle animant les adorateurs de Dieu… puisque les hautes autorités scientifiques iront jusqu'à refuser de jeter un œil dans sa lunette afin de ne pas risquer remettre en cause le système de Ptolémée, sauveur du géocentrisme étayant l'existence d'un Dieu créateur de la Terre placée au centre de l'univers.

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
Petite histoire individuelle (on "accompagne" Galilée dans les différents lieux qu'il habite successivement, entouré des personnes qui lui sont chères) rejoignant la grande histoire des idées, la dramaturgie ouvre à des horizons dépassant le conflit croyances et science. Ainsi de la dernière partie - celle qui suit son abjuration face aux "instruments" auxquels la Sainte- Inquisition s'apprêtait à recourir pour imposer sa foi en un Dieu Créateur -, riche de questionnements sur le mode de résistance à opposer à toute dictature…

Au soir de sa vie, avec un naturel extatique, Galilée (incarné de manière confondante par un très grand Philippe Torreton à la tête d'une troupe dans son sillage) se plaît en effet à ironiser sur la force coercitive d'autorités religieuses ayant voulu le réduire au silence éternel, lui qui, de la résidence surveillée où il est cantonné, continue incognito de rédiger ses "Discori" destinés à être passés sous le manteau pour être diffusés au-delà des frontières. Le monde, pour se sauver des dictatures religieuses ou politiques, y compris les plus implacables, a-t-il besoin de héros sacrificiels… ou d'esprits bien vivants déjouant les pouvoirs établis ?

Vu le vendredi 26 novembre 2021 au TnBA - Grande Salle Vitez.

"La Vie de Galilée"

© Simon Gosselin.
© Simon Gosselin.
D'après Bertolt Brecht.
Traduction : Éloi Recoing (chez L'Arche Éditeur).
Mise en scène : Claudia Stavisky, assistée d'Alexandre Paradis.
Avec : Philippe Torreton, Gabin Bastard, Alexandre Carrière, Guy-Pierre Couleau, Matthias Distefano, Michel Hermon, Benjamin Jungers, Fabienne Lucchetti, Nils Ohlund, Martin Sève, Marie Torreton.
Scénographie et costumes : Lili Kendaka, assistée de Malika Chauveau.
Lumière : Franck Thévenon.
Son : Jean-Louis Imbert.
Création vidéo : Michaël Dusautoy.
Maquillage et coiffure : Catherine Bloquère, Kim Ducreux.
Construction du décor : société Albaka.
Accessoires : Fabien Barbot, Sandrine Jas, Marion Pellarini.
Responsable couture et habillage : Bruno Torres.
Réalisation des costumes : Grain de taille, Atelier BMV et l'atelier des Célestins.
Patineuse : Marjory Salles.
Réalisation des masques : Patricia Gatepaille.
Casting enfants : Maguy Aimé.
Directeur des productions et conseiller artistique : Emmanuel Serafini.
Régisseur général : Laurent Patissier.
Régisseurs plateau : Mattia Lercari, Fabien Barbot.
Régisseur son/vidéo : Pierre Xucla.
Régisseur lumière : Jérôme Simonet.
Chef habilleuse : Jessica Chomet.
Production Célestins - Théâtre de Lyon.
Durée : 2 h 45.


A été représenté au TnBA, Grande salle Vitez (Bordeaux), du 23 au 27 novembre 2021.

Tournée 2021
Du 3 au 5 décembre 2021 : Théâtre-Sénart - Scène nationale, Lieusaint (77).
Du 10 au 12 décembre 2021 : Bonlieu - Scène nationale, Annecy (74).
16 et 17 décembre 2021 : Théâtre des Salins, Martigues (13).

Yves Kafka
Vendredi 3 Décembre 2021

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024