La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

La machine de Turing… Sexe et secret d'État

La pièce de Benoît Solès, dans une mise en scène qui mêle narration et temps présent, met en lumière la vie d'un savant dont l'Histoire avait oublié les faits d'armes ayant permis d'accélérer la victoire des alliés durant la Seconde Guerre mondiale.



© Émilie Brouchon.
© Émilie Brouchon.
Alan Turing (1912-1954) est peu connu du grand public. Il fut le quasi-inventeur de l'informatique en y créant ses prémisses avec la machine de Turing (1936) et joua un rôle majeur durant la Seconde Guerre mondiale dans le domaine de la cryptanalyse.

Héros oublié du peuple des ombres, pour reprendre l'expression de Malraux (1901-1976) en hommage à la résistance lors de son discours (19 décembre 1964) d'intronisation au Panthéon de Jean Moulin (1899-1943), il réussit à déchiffrer les messages nazis envoyés par la machine Enigma. L'Histoire n'a que rarement de la gratitude, le Pouvoir jamais. Traîné devant les tribunaux anglais pour affaires de mœurs car homosexuel, il fut condamné en 1952 et préféra la castration chimique pour éviter la prison.

Sur les planches, deux protagonistes se font face dans une relation basée sur la tension et la suspicion. On s'embrasse aussi dans des débats amoureux. Il y a trois moments forts, ceux du récit, du trouble et de l'émotion, dans lesquels les protagonistes ont une nature, un profil différent selon les situations.

© Émilie Brouchon.
© Émilie Brouchon.
La mise en scène de Tristan Petitgirard laisse apparaître, en avant-scène, le positionnement narratif du principal protagoniste. Alan Turing (Benoît Solès) est vu au travers de deux échelles de temps, l'une au présent et l'autre au passé, basculant de l'une à l'autre via des ruptures de jeu, comme si les événements devenaient révolus et que le mode récitatif s'ancrait au milieu de ceux-ci, faisant ainsi du savant l'orateur de son propre destin. Amaury de Crayencourt incarne différents personnages allant d'un amoureux passager à celui accablant Turing au tribunal, jusqu'à celui d'un représentant de police. Il est autant la loi que la victime blanchie.

Les événements deviennent historiques via la narration. L'émotion est ainsi autre car Turing est le propre conteur de ceux-ci, passant ainsi d'un être vivant à celui d'une légende inscrite dans l'Histoire. Le "je" prend les commandes, le "il" n'intervient presque jamais. Nous le découvrons avec sa difficulté d'expression, sa timidité, ses maladresses, ses tics corporels dévoilant un être en proie à une fragilité mais assumant son identité sexuelle. Il n'avait jamais caché son orientation sexuelle à une époque où l'homosexualité était considérée comme perversion et passible de lourdes condamnations.

© Émilie Brouchon.
© Émilie Brouchon.
Nombre d'historiens pensent que Turing aurait fait abréger de deux années la Seconde Guerre mondiale. Difficile de spéculer là-dessus mais il a sans doute sauvé des centaines de milliers voire des millions de vies. Les dossiers ont été déclassifiés et son rôle considérable est connu depuis seulement une vingtaine d'années. Le 24 décembre 2013, la reine Elisabeth II signe un acte royal de clémence déclarant sa condamnation "injuste et discriminatoire" et son visage ornera en 2022 les billets anglais de 50 £. Juste récompense d'un homme qui a bousculé ce grand conflit mondial et ensuite la vie de chacun d'entre nous.

"La machine de Turing"

© Fabienne Rappeneau.
© Fabienne Rappeneau.
Pièce de Benoît Soles, inspirée par la pièce "Breaking the code", de Hugh Withemore, basée sur "Alan Turing The Enigma" d'Andrew Hodges.
Mise en scène : Tristan Petitgirard.
Assistante mise en scène : Anne Plantey.
Avec : Benoît Soles ou Matyas Simon, Amaury de Crayencour ou Éric Pucheu.
Décor : Olivier Prost.
Costumes : Virginie H.
Lumières : Denis Schlepp.
Musique : Romain Trouillet.
Vidéo : Mathias Delfau.
Durée du spectacle : 1 h 30.

Jusqu'au 4 janvier 2020.
Du mardi au samedi à 21 h.
Théâtre Michel, Paris 8e, 01 42 65 35 02.
>> theatre-michel.fr

Safidin Alouache
Vendredi 9 Août 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024