La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Vessel… Beau et animal !

Avec pour thème de départ "L'image" (1959) de Beckett (1906-1989), mise en scène par Arthur Nauzyciel en 2013, Damien Jalet s'est aidé du sculpteur japonais Kohei Nawa pour proposer une création qui mêle humanité et animalité, éléments aquatiques et terreux dans une chorégraphie à la fois très physique et fragile.



© Yoshikazu Inoue.
© Yoshikazu Inoue.
C'est un ballet de corps, de troncs enlacés par les membres supérieurs, le visage disparaissant dans ceux-ci, autour d'un matériau blanc posé tel un coquillage. La scénographie de Kohei Nawa est superbe, presque picturale, comme la peinture d'un ensemble de fœtus disposé par petites touches sur la scène. Les déplacements sont comme ceux de grenouilles avec des jambes qui se plient et se déplient, le tout lentement. La position des différents danseurs est toujours sous contrainte, le chorégraphe Damien Jalet ayant composé sa création autour d'une rigueur presque mathématique.

Plusieurs interprètes sont répartis dans l'espace, soit en solo, soit en couple, soit en groupe, enlacés comme des êtres à naître, ni tout à fait bébé, ni tout à fait fœtus. Les déplacements se font par glissades sur le dos ou le ventre. Tous les trajets sont effectués tronc en avant. Les danseurs sont dans une animalité expressive. Après être enfouie puis cachée par une peinture blanche qui dégouline par morceaux, la tête se laisse deviner, appréhender pour n'apparaître jamais complètement.

© Yoshikazu Inoue.
© Yoshikazu Inoue.
Ce qui tenait lieu de figures animales, ressemblant presque à des grenouilles par leurs déplacements, finit par être celui d'une personne, sans sexe réellement déterminé. Masculinité et féminité ne font pas question car ils peuvent être interchangeables. L'anima et l'animus cohabitent dans des mouvements très physiques mais aux déplacements mesurés. L'expression musculaire est essentiellement dorsale, montrant dans leur évolution scénique, au travers de l'eau et du solide des planches, une expressivité autant intime qu'extime de leur organicité. Les interprètes sont à la fois proches, lointains, imbriqués, séparés mais toujours dans un espace-temps calfeutré comme si ces deux composantes étaient liées.

Il y a de la légèreté, presque de la délicatesse dans les mouvements où force et tension sont aussi liées. Les premières ont pour support les membres inférieurs, les secondes, les membres supérieurs. Les dernières s'appuient sur quelque chose de ténu, comme un prolongement, un dépassement d'une vérité qui va plus loin que son expression, d'une gestique qui n'a pas pour seule apparence ce qu'elle exprime, mais aussi ce qui lui échappe. Au travers du cheminement, les corps se déshabillent de ce qui les contraint et au travers de l'animal, toujours dans une expressivité forte, l'humain apparaît presque fragile et esseulé. C'est très beau dans une représentation où la danse s'exprime au travers d'une corporalité musculaire qui oublie toute origine sexuelle.

"Vessel"

© Yoshikazu Inoue.
© Yoshikazu Inoue.
Chorégraphie : Damien Jalet.
Scénographie, sculptures : Kohei Nawa.
Avec : Aimilios Arapoglou, Nobuyoshi Asai, Nicola Leahey, Ruri Mitoh, Jun Morii, Mirai Moriyama, Naoko Tozawa.
Musique : Marihiko Hara, Ryûichi Sakamoto.
Lumières : Yukiko Yoshimoto.
Durée : 1 h.
Production Sandwich Inc./Théâtre national de Bretagne.

Du 6 au 13 mars 2020.
Mardi, jeudi et samedi à 19 h 45, mercredi à 21 h, vendredi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30.
Théâtre national de Chaillot, Salle Jean Vilar, 01 53 65 31 00.
>> theatre-chaillot.fr

© Yoshikazu Inoue.
© Yoshikazu Inoue.

Safidin Alouache
Jeudi 12 Mars 2020

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024