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Théâtre

Un vaudeville cauchemardesque où se révèlent la fragilité du vernis social et la noirceur de l'homme

"L’affaire de la rue de Lourcine", Théâtre 13 / Seine, Paris

Quelle affaire que cette affaire-là ! Un crime crapuleux a eu lieu rue de Lourcine et les probables auteurs s'agitent... Les faits divers stimulent, on le sait, l'imagination. Eugène Labiche avec "L’affaire de la rue de Lourcine" atteint un paroxysme d'exploitation journalistique et, dans l'univers du théâtre, une forme de chef-d'œuvre.



©  Julie Rodenbour.
© Julie Rodenbour.
La pièce, comme un miroir tendu au public, dénoue en effet les chemins de la lâcheté, de la couardise, de la méchanceté, de la bêtise de deux bourgeois établis et posés. Suite à une soirée trop arrosée et trop festive au regard de la bienséance, leur mémoire est troublée, embuée, suffisamment trouée pour que le soupçon de s'être rendus criminels affleure le lendemain matin et, par amalgame d'indices concordants, taraude leur conscience. L'idée du crime commis s'incruste, dicte des actes insensés, violents. Le socle de respectabilité s'effrite.

Pour effacer le crime, apparaît en solution raisonnable à tous leurs problèmes l'idée d'un nouveau et ultime crime.

L'auteur ne fait aucun cadeau à ses personnages. À chaque avancée dans le récit, à chaque respiration, il tend sur le plateau un nouvel indice qui conduit au renforcement des certitudes. Assurément, Labiche est maître du rythme, du suspens, du thriller. Dans sa virtuosité, l'auteur donne la clef de l'énigme d'entrée de jeu au spectateur…

©  Julie Rodenbour.
© Julie Rodenbour.
La proposition scénique de Yann Dacosta redonne sa dimension musicale à l'œuvre, sa dimension de vaudeville, et situe l'action dans un décor et des costumes du vingtième siècle au luxe un peu tapageur de nouveaux riches.

Jouant ouvertement des mises à distances, la comédie est dès lors irrésistible. Le spectateur embarqué rit et rit jusqu'à ce point de fêlure où se perçoit la logique d'enfermement qui est celui du mensonge qui s'organise. Face à ce vaudeville cauchemardesque, le spectateur peut se figer dans un possible effroi. Il est celui d'une farce réussie qui donne à voir les effets d'une bien belle frousse.

L'affaire de la rue de Lourcine agit sur les consciences comme un révélateur (au sens photographique) de l'état de la société. La fragilité du vernis social et la noirceur de l'homme.

"L’affaire de la rue de Lourcine"

Texte : Eugène Labiche.
Mise en scène : Yann Dacosta.
Assistante à la mise en scène : Laëtitia Botella.
Avec : Jean-Pascal Abribat, Pierre Delmotte, Hélène Francisci, Benjamin Guillard, Guillaume Marquet.
Musiciens : Pauline Denize et Pablo Elcoq.
Compositeur : Pablo Elcoq.
Costumes : Morgane Mangard.
Créateur Lumière : Thierry Vareille.
Scénographie/accessoires : Fabien Persil et William Defresne.
Créateur son : Johan Allanic.
Mise en danse : Frédérique Unger.
À partir de 8 ans.
Durée : 1 h 15.

Du 6 janvier au 15 février 2015.
Mardi, jeudi et samedi à 19 h 30, mercredi et vendredi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30.
Théâtre 13 / Seine, rue du Chevaleret, Paris 13e, 01 45 88 62 22.
>> theatre13.com

Jean Grapin
Lundi 12 Janvier 2015

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© Grégory Juppin.
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