La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

Un rêve au présent, un transport de réalité, comme arts de la métamorphose

"Eden Teatro", Athénée théâtre Louis-Jouvet, Paris

Un pianiste, un violoncelliste, un pianiste à bretelles qui s'installent dans la fosse à orchestre, petite lumière chaleureuse, un rideau de fer qui monte et "cliquetaille", un présentateur bien mis qui appelle sur scène différents personnages. C'est l'Eden Teatro de Naples des années vingt qu'Alfredo Arias ressuscite avec le soutien de la troupe du "Teatro stabile di Napoli". Un hommage à Raffaele Viviani, grand homme de théâtre italien.



© Marco Ghidelli.
© Marco Ghidelli.
Il y a là "Tatangelo", tête d'affiche et ange gardien, "Carmen Zuccona", plus que simplette, "las tinas sirenas", ces siamoises de baignoires, "Léa Cardillo, au gazouillis de chardonneret, "Ester Légery", aux gambett' et perlett' distinguett', "Lulù Buonmercato", qui ne vaut pas cher, et les factotums, le videur. Ainsi que "le duc Malvino", de bon conseil, autre visage de Madame Righelli. Celle dont le mari, Gennaro, vide les salles de théâtre en siphonnant les comédiens pour ce cinéma parlant en train de naitre (nuovo paradiso).

Ce petit monde connaît bien des vicissitudes, on l'a compris, mais l'éden résiste. Les personnages ont bien blanchi sous les cintres ou débutent gauchement. Ce sont des enfants perdus de Naples, ces "scugnizzi" qui n'ont d'autres survies que la scène. Un petit tour, une chanson… Avec ou sans public. l'Eden Teatro est un chemin de croix, un enfer joyeux et miséreux, mesquin et tout en grandeur. L'Eden est un chemin de foi. Celui d'un petit peuple démuni plongé dans la nécessité de jouer, sommé de trouver l'expressivité et le chant pur en dépit de l'absence de tout, dans l'espérance de l'extase artistique. Comme au pied d'une madone.

© Marco Ghidelli.
© Marco Ghidelli.
Dans ce spectacle mis en scène par Alfredo Arias, tout en sobriété et rigueur, tout en vraie-fausse fragilité, les enfants perdus de la planète napolitaine, gommeuses et gommeux, servis par des comédiens qui époustouflent, montrent un engagement total pour l'art.

Un art qui transcende les apparences et révèle, sous le rire, pour le grand bonheur du spectateur, la dimension dramatique.

Tous les comédiens jouent, comme si la salle était réellement vide, comme si un mur les séparait du monde et des modes, comme si la grâce devait leur tomber dessus, comme si le chant pur était l'ultime chance. Dans cet exercice de réalisme, ils offrent ainsi à leurs personnages l'allure d'enfants de Marie-Madeleine s'immergeant dans les tableaux de Degas ou la peau de Mistinguett. À l'évidence Pasolini n'est pas loin.

© Marco Ghidelli.
© Marco Ghidelli.
Baignant dans une atmosphère légèrement sépia, dans une beauté des costumes et des maquillages, "Eden Teatro" dégage un parfum de nostalgie sans regret. C'est un rêve au présent, un transport de réalité. Une essence de théâtre, comme art de la métamorphose. Une bouffée de fraîcheur.

Le public ovationne et repart une rengaine en tête, "La félicita".

"Eden Teatro"

© Marco Ghidelli.
© Marco Ghidelli.
Texte : Raffaele Viviani.
Mise en scène : Alfredo Arias.
Avec : Mariano Rigillo, Gaia Aprea, Gennaro Di Biase, Gianluca Musiu, Anna Teresa Rossini, Ivano Schiavi, Paolo Serra, Enzo Turrin, avec la participation de Mauro Gioia.
Musiciens : Pietro Bentivenga, Giuseppe Burgarella, Erasmo Petringa.
Décor : Chloé Obolensky.
Costumes : Maurizio Millenotti.
Lumière : Cesare Accetta.
Arrangements musicaux : Pasquale Catalano.
Durée : 1 h 30 sans entracte.

Du 24 au 29 mai 2018.
Mardi à 19 h, jeudi, vendredi, samedi à 20 h, dimanche à 16 h.
Athénée théâtre Louis-Jouvet, grande salle, Paris 9e, 01 53 05 19 19.
>> athenee-theatre.com

Jean Grapin
Mardi 29 Mai 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter





Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Le consentement" Monologue intense pour une tentative de récit libératoire

Le livre avait défrayé la chronique à sa sortie en levant le voile sur les relations pédophiles subies par Vanessa Springora, couvertes par un milieu culturel et par une époque permissive où ce délit n'était pas considéré comme tel, même quand celui-ci était connu, car déclaré publiquement par son agresseur sexuel, un écrivain connu. Sébastien Davis nous en montre les ressorts autant intimes qu'extimes où, sous les traits de Ludivine Sagnier, la protagoniste nous en fait le récit.

© Christophe Raynaud de Lage.
Côté cour, Ludivine Sagnier attend à côté de Pierre Belleville le démarrage du spectacle, avant qu'elle n'investisse le plateau. Puis, pleine lumière où V. (Ludivine Sagnier) apparaît habillée en bas de jogging et des baskets avec un haut-le-corps. Elle commence son récit avec le visage fatigué et les traits tirés. En arrière-scène, un voile translucide ferme le plateau où parfois V. plante ses mains en étirant son corps après chaque séquence. Dans ces instants, c'est presque une ombre que l'on devine avec une voix, continuant sa narration, un peu en écho, comme à la fois proche, par le volume sonore, et distante par la modification de timbre qui en est effectuée.

Dans cet entre-deux où le spectacle n'a pas encore débuté, c'est autant la comédienne que l'on voit qu'une inconnue, puisqu'en dehors du plateau et se tenant à l'ombre, comme mise de côté sur une scène pourtant déjà éclairée avec un public pas très attentif de ce qui se passe.

Safidin Alouache
21/03/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024