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Concerts

Tempêtes d’amour au Festival de Sablé

Le Festival de Sablé-sur-Sarthe vient de se terminer. Avec un succès indéniable de fréquentation grâce à sa programmation de très grande qualité, ses événements originaux (tels les "Déjeuners sur l’herbe" en musique) et son académie internationale de référence (avec le contre-ténor Andreas Scholl pour cette édition). Parmi tant de beaux concerts à l’affiche, celui de la mezzo Anna Reinhold avec Thomas Dunford ainsi que celui de Nathalie Stutzmann avec la soprano Emoke Baràth ont particulièrement marqué les esprits. À voir et à revoir sur le site Culturebox de France Télévisions.



© Festival de Sablé.
© Festival de Sablé.
La jeune et dynamique directrice du festival, Alice Orange, a encore fait mouche pour sa sixième année à la tête d’un des meilleurs festivals baroques français. Mettant au centre de sa programmation la question du genre - ses paradoxes, ses transgressions, sa belle confusion - chanteurs, musiciens et ensembles spécialistes du jeu sur instruments anciens se sont succédé tels les désormais renommés Il Pomo d’Oro, Pygmalion, Clematis ou encore Pulcinella. Le Festival de Sablé nous offrant alors un voyage dans le temps et en Europe, du Seicento au Siècle des Lumières, de Londres à Venise, de Naples à Lisbonne, de Paris à Florence et Mantoue.

Parmi les beaux moments du festival, on a pu apprécier le bien nommé ensemble Vox Luminis de Lionel Meunier associé pour la circonstance aux Muffati pour un concert "Lisbonne tremble" - qu’on aurait pu, étant donné la tragique actualité, rebaptiser "L’Italie tremble". Belle découverte que cette opératique Messe en fa majeur du compositeur portugais Francesco Antonio de Almeida (probablement disparu lors du fameux tremblement de terre de 1755) accolée à la fameuse Ode au Tonnerre ("Die Donnerode" 1756) de G. P. Telemann, composée vraisemblablement à l’occasion de ce séisme qui fit des dizaines de milliers de morts au XVIIIe siècle - deux œuvres écrites selon l’école italienne en vogue.

© Festival de Sablé.
© Festival de Sablé.
La jeune soprano hongroise Emöke Baràth (qui fera ses débuts à Glyndebourne en 2017) a brillé aux côtés de la contralto Nathalie Stutzmann - évidemment à la tête de son ensemble Orfeo 55 - dans des extraits d’opéras haendeliens pour un concert joliment scénarisé. Pour ce superbe opéra imaginaire "Il Duello amoroso" nourri d’airs et de duos de "Partenope", "Radamisto", "Alcina", "Serse", "Giulio Cesare" (et d’autres moins connus), les arcanes de la passion amoureuse, ses coups de foudre, ses querelles, ses douleurs ne pouvaient guère mieux être incarnées.

La direction de Nathalie Stutzmann rendant autant justice aux précieuses couleurs instrumentales du compositeur que son chant à l’écriture vocale du maître naturalisé britannique en 1726.

De l’amour et de son "labirinto"* il était aussi question dans le très beau concert de la mezzo Anna Reinhold, accompagnée par le luthiste Thomas Dunford. Comment ne pas tomber sous le charme (au sens fort) de l’art très maîtrisé (entre abandon et passion) de la jeune chanteuse dans un programme presque entièrement consacré à la cantatrice et compositrice Barbara Strozzi ?

© Festival de Sablé.
© Festival de Sablé.
Cette dernière, fille tardivement reconnue du poète Giulio Strozzi et élève de Francesco Cavalli, fut l’une des très rares artistes féminines reconnues au XVIIe siècle. Dans un duo d’une parfaite complicité avec Thomas Dunford (excellant dans des Toccatas de J. H. Kasperger en interludes), Anna Reinhold a su nous envoûter par sa grâce et son incarnation habitée de figures féminines tragiques ou divines. Un enchantement prolongé dans un air donné en rappel du rare Honoré d’Ambruys "Le doux silence de nos bois". Moment magique encore, suspendu, céruléen.

* Leur CD "Labirinto d’Amore" est sorti en 2014.

Festival de Sablé-sur-Sarthe
A eu lieu du 24 au 28 août 2016.


>> Site du festival

Concerts accessibles en replay sur Culturebox :
>> culturebox.francetvinfo.fr

Christine Ducq
Mardi 6 Septembre 2016

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Concerts | Lyrique







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
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"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024