La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

Tânia Carvalho et le ballet national de Marseille… Toute une poétique en poésie

Dans une trilogie artistique, la chorégraphe portugaise, Tânia Carvalho, marie danses classique et contemporaine dans des rythmes où le mouvement devient parfois presque statuaire. Le silence et la musique accompagnent les gestiques tout en beauté donnant souvent l'impression d'avoir des peintures humaines.



"One Of Four Periods In Time © Théo Giacometti.
"One Of Four Periods In Time © Théo Giacometti.
Sans bruit, juste un souffle pour être porté vers la scène, une danseuse entre, le tronc courbé vers le sol, le regard en biais côté cour et les jambes bien ancrées. Tânia Carvalho, de par sa formation, fait un mariage de danses classique et contemporaine où les équilibres sont à la frontière de la tension et d'un temps qui s'écoule doucement. Les chorégraphies se partagent entre danses de groupe et solos. Très souvent ceux-ci composent ceux-là où chacun est dans son pré carré. Peu, voire pas de contact entre eux. Plusieurs centimètres les séparent ou, au-delà de la distance, ce sont aussi des gestuelles qui les mettent dans un rapport à l'espace où le corps s'exprime de toute son étendue avec une dynamique du mouvement qui semble toujours accompagnée de secondes. Comme si tout prenait son temps.

Espace, temps, musique et silence sont les quatre axes de ce spectacle. Tânia Carvalho s'en nourrit pour faire du danseur un élément aussi esseulé qu'accompagné, se suffisant à lui-même, mais prenant tout son envol grâce à ses partenaires. Ainsi, le regard du spectateur doit balayer tous les artistes pour avoir une vue d'ensemble du spectacle, chacun ayant très souvent leur propre gestuelle. De ces axes, les corps en ressortent comme un ornement artistique dans des figures où l'esthétisme, dans sa plus simple et pourtant élaborée expression, en est moteur.

© Thierry Hauswald.
© Thierry Hauswald.
Une des chorégraphies montre trois lots de six danseurs se synchronisant les membres supérieurs en appui des troncs et des jambes qui donnent à voir une poétique très belle du mouvement. On croirait un ensemble de dominos qui se touchent les uns aux autres. C'est la rare fois où les interprètes ont un contact entre eux dans une disposition scénique où les trois groupes créent une relation géométrique en forme de triangle, avec deux d'entre eux qui se mettent en avant-scène quand l'autre reste en arrière-scène.

Parfois, une danseuse est dans une autre dynamique, à l'arrêt pour reprendre ensuite dans une autre gestique. Cette césure dans le même groupe installe une individualité de chacun qui devient garant de l'ensemble. Parce que l'un est différent des autres que tout devient scéniquement cohérent avec un regard du public qui doit se décentrer pour capter ce qui fait différence. Ce décentrement oculaire, nous le retrouvons aussi dans ces tableaux où l'ensemble devient un feu d'artifice avec chaque artiste dans sa propre gestique. Là, les interprètes adoptent des gestuelles de différentes allures autant classiques que contemporaines.

© Thierry Hauswald.
© Thierry Hauswald.
Il y a aussi un solo où l'une d'elles va, seule, sur les planches, les deux jambes repliées et bien en appui au sol avec la taille abaissée et un tronc plutôt droit. L'esthétisme est, pour cette seule fois, absent mais ce qui interpelle est le silence et cet équilibre tout en tension qui habillent une pose presque immobile.

Ce qui saute aux yeux est la beauté des tableaux qui fait parfois penser à une peinture avec des attitudes, des postures où chacun semble moulé dans une fixité presque statuaire. L'arrêt, les départs, les mouvements très souvent lents donnent à voir une poétique gestuelle qui dessine des trajectoires dans l'espace comme pour figurer leur beauté qui accompagne les déplacements à chaque fois. Celle-ci s'affiche avec élégance dans chaque gestique dévoilant l'élégance des allures avec une fixité qui bouge parfois pour finir par affirmer un itinéraire jamais rapide, mais toujours pensé et réfléchi.

© Thierry Hauswald.
© Thierry Hauswald.
Les costumes sont très variés et unisexes, hommes et femmes étant habillés et maquillés de la même manière. Les visages sont aussi théâtraux avec des bouches grandes ouvertes laissant voir les dentitions, ressemblant à des rires un peu tendus, comme des marionnettes aux expressions figées. Le maquillage dessine une marque rouge ou noire à un œil pour certains et pour d'autres, il est étalé sur tout le visage avec les lèvres bien dessinées.

Selon le nombre d'interprètes, il y a une certaine résonance faisant écho à ce qui se passe sur scène, parfois accompagné de calme ou de musique, corporelle et sonore. Le rapport à l'espace est en effet différent selon la présence des uns et des autres et, par ricochet, à leur disposition. De même que musicalement, le silence orne le corps de sa présence. Ainsi, il devient objet d'art et d'attention pour lequel Tânia Carvalho en dessine une dynamique artistique où, dans ses arrêts et ses déplacements, il est en exposition.

Spectacle ayant eu lieu du 19 au 22 mai 2022 à la Grande Halle de la Villette.

"Tânia Carvalho et le ballet national de Marseille"

© Thierry Hauswald.
© Thierry Hauswald.
Un spectacle proposé par Théâtre de la Ville hors les murs.
Chorégraphie : Tânia Carvalho.
Avec les danseurs et danseuses du Ballet national de Marseille : Sarah Abicht, Daniel Alwell, Nina Laura Auerbach, Isaia Badaoui, Alida Bergakker, Martha Eckl, Riley Fitgerald, Myrto Georgiadi, Nathan Gombert, Ibai Jimenez Gorostizu Orkaiztegi, Nonoka Kato, Yoshiko KINOSHITA, Angel Martinez Hernandez, Jonatan Myhre Jorgensen, Hanna-May Porlon, Aya Sato, Noam Segal, Elena Valls Garcia, Nahimana Vandenbussche, Antoine Vander Linden.

"Xylographie"
Chorégraphie Tânia Carvalho.
Musique : Tânia Carvalho, Ulrich Estreich.
Création lumières : Zeca Iglesias.
Création costumes : Aleksandar Protic.
Durée : 20 minutes.

"As If I Could Stay There For Ever"
Chorégraphie, costumes et musique : Tânia Carvalho.
Durée : 10 minutes.

"One Of Four Periods In Time (Ellipsis)"
Chorégraphie et costumes : Tânia Carvalho.
Musique : Vasco Mendonça.
Interprété par Drumming GP : Miquel Bernai, Pedro Oliveira, João Cunha et Rui Rodriguez. Lumières : Éric Wurtz.
Répétitrice et répétiteur : Valentina Pace & Thierry Hauswald.
Costumes : Nicole Murru.
Durée : 21 minutes.

Safidin Alouache
Jeudi 26 Mai 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024