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Sous le charme de la "Wagnermania" de l'Orchestre national d'Île-de-France

Le 22 janvier, deux nouveaux enregistrements sont parus en sortie digitale pour fêter l'arrivée, la saison dernière, du nouveau directeur musical et chef principal, Case Scaglione, à la tête de l'ONDIF. Inaugurant un nouveau chapitre de l'histoire de l'orchestre, le chef américain appose sa griffe et ouvre de nouvelles perspectives avec, d'une part, la 3e symphonie de Beethoven (l'Eroica) et, de l'autre, un enregistrement d'extraits d'opéras wagnériens avec Michelle de Young et Simon O'Neill. Nous parlerons ici de ce dernier.



En cette période de traversée du désert pour les artistes comme pour les mélomanes, la sortie de ce "Wagnermania", présentant des extraits du "Tristan", de "La Walkyrie" et de "Parsifal", représente un vrai oasis où étancher sa soif d'émotions fortes. Rien d'étonnant à qui connaît la belle mission de l'Orchestre national d'Île-de-France : apporter rien moins que quatre siècles de musique à un vaste public en région Île-de-France - jusqu'aux confins du territoire francilien.

En 2019, Case Scaglione prenait les rênes de l'orchestre et avait choisi ce même programme wagnérien pour son concert inaugural à la Philharmonie (où l'ONDIF est en résidence). Un choix jugé par le jeune chef américain "le plus audacieux et le plus fort" pour initier leur histoire commune que celui de Wagner - dont l'œuvre est à l'origine de sa vocation. Dans son nouveau grand studio d'enregistrement, l'orchestre a magnifiquement gravé ce programme destiné à de nouveaux usages d'écoute (streaming et téléchargement), en poursuivant sa collaboration avec le label #NoMadMusic. Ce choix du tout numérique semble définitif, ce qu'on peut regretter.

Quarante minutes (environ) de bonheur, d'abord, avec la troisième scène de l'acte II de "Parsifal", l'ultime "Festival scénique sacré" (ou "solennel") du compositeur. Alors qu'il vient d'échapper aux sortilèges des Filles-Fleurs, le "Chaste Fol" subit d'abord l'attraction de la plus dangereuse des séductrices, Kundry, manipulée par le magicien Klingsor ; mais le baiser de la Tentatrice le réveille en lui révélant l'atroce douleur subie par Amfortas, le roi des Chevaliers du Graal. C'est le chemin de la rédemption du royaume du Graal. Le Heldentenor Simon O' Neill impressionne dès son entrée ("Dies alles hab'ich nun geträumt") en grand wagnérien qu'il est. L'émission souple et la diction précise de ce vrai liedersänger ne sont pas les moindres atouts d'une belle voix, très à l'aise dans tous les registres, entre lyrisme douloureux ("Wehe ! Wehe ! Was tat ich ?") et extase mystique ("Vergeh ! unseliges Weibl").

Le ténor néo-zélandais affronte la forte Kundry de Michelle de Young, au luxueux grain sombre de voix. Son récit des souffrances et de la mort de Herzeleid, la mère de Parsifal, est un beau moment dramatique - même si plus tard la stridence de certains aigus va au-delà de l'état de démence du personnage. L'orchestre et son chef sculptent une pâte sonore fluide d'une éloquence bouleversante avec un sens du drame qui épouse les climats mouvants de la scène, sans omettre d'accompagner avec beaucoup de subtilité les chanteurs. Belle intervention du Klingsor de Pierre-Yves Pruvot, que nous avions fort applaudi dans ce même rôle au Capitole de Toulouse en janvier 2020.

La capacité de la direction de Case Scaglione à soigner les nuances de dynamiques, la clarté et les relations des différentes voix de l'orchestre, des pupitres comme des instrumentistes (tous magnifiques), se vérifie dans le Prélude de "Tristan und Isolde". Bien qu'il nous soit donné ici de n'entendre que des extraits des oeuvres, on sent que l'inspiration du chef se nourrit d'une noble vision formelle générale de celles-ci. Soignant autant les détails dans le "Liebestod" qu'un développement musical déjà fondé sur le fameux "art de la transition" wagnérien dans le Prélude, l'ONDIF offre la profondeur émotionnelle attendue dans la densité du tissu instrumental et le choix idéal de tempi dans les flux et reflux d'une extase toujours différée.

Le "Liebestod" de la mezzo américaine convainc beaucoup moins. Avec une voix qui ne semble pas toujours en place dès la montée dans des aigus plutôt acides ("Immer Lichter, Wie er leuchtet"), un vibrato gênant dans les passages donc un peu forcés de registres, une absence de lumière et de moelleux dans le timbre, Michelle de Young ne parvient pas vraiment à insuffler l'exaltation espérée de cette transfiguration - même si le Fa dièse du "Höchste Lust" est bien tenu. L'émotion adviendra quand même à la réécoute grâce à l'attention de l'orchestre.

Heureusement, la troisième scène du premier acte de "Walküre", mettant en scène la reconnaissance et l'aveu d'amour mutuel des jumeaux Sieglinde et Siegmund, vient effacer ces quelques préventions. Le Siegmund de Simon O'Neill se révèle des plus séduisants avec un sens de la déclamation orfèvre dès "Ein Schwert verhiess mir der Vater", une vaillance héroïque irréprochable (impressionnant "Wälse ! Wälse !"), et une tendresse jouissive aussi dans l'aveu d'amour ("Winterstürme wichen"). Il forme avec la belle Sieglinde de Michelle de Young (dont la raucité sensuelle ici et la ligne de chant plaisent davantage) un duo fascinant, qu'accompagne et commente avec grand talent l'orchestre, remarquable de riche expressivité.

Nous attendrons donc avec une grande impatience la réouverture des salles de concert afin de suivre l'aventure passionnante de l'ONDIF avec Case Scaglione - une passion et une ambition qui s'entendent très nettement ici. En attendant le ONDIF Live permet d'écouter l'orchestre en concert sur son site.

Case Scaglione © ONDIF/Christophe Urbain.
Case Scaglione © ONDIF/Christophe Urbain.
● ONDIF "Wagnermania".
Michelle de Young, Simon O'Neill, Pierre-Yves Pruvot.
Orchestre national d'Île-de-France.
Case Scaglione, direction.
Label : NoMadMusic.
Sortie : 22 janvier 2021.

Disponible sur NoMadMusic depuis le site de l'orchestre.
>> orchestre-ile.com

Prochain concert de l'orchestre sur ONDIF Live :
"Légendes slaves" (Dvoràk, Tchaïkovski).
Samedi 6 février 2021 à 19 h (clés d'écoute à 18 h 30).

Christine Ducq
Mardi 26 Janvier 2021

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