La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Solo"… Intime et irréel

Decouflé, seul en scène, propose un morceau d'intimité tant artistique que personnel où l'artiste montre des portraits de sa vie et investit les contours corporels, souvent cachés, de la danse par le biais de mimes et de musique.



© Anita Gioia.
© Anita Gioia.
Cela commence par une projection d'ombres chinoises. Puis cela s'enchaîne avec une chorégraphie d'orteils et de doigts, les mains sautant, en appui léger et aérien, au-dessus des pieds quand ceux-ci tapotent le plateau comme une série de notes au piano, le tout filmé par une petite caméra en avant-scène. Bouts des membres supérieurs et inférieurs sont partis pour une alliance corporelle et spatiale durant tout le spectacle.

Celui-ci est très intime. Montrer le bout de ses pieds, c'est lever un voile sur ce qui est souvent caché, car plaqués au sol ou enserrés dans des chaussures. Le chorégraphe-danseur se présente par un simple "Je suis Philippe Decouflé" en disant ouvertement son choix de création : "J'avais envie de montrer mes pieds" en montrant la plante de l'un d'eux. C'est ainsi au-delà d'un morceau autobiographique du créateur, celle d'une mise en lumière des coulisses d'un artiste, de ce qui le porte, au sens propre et figuré, en montrant les ressorts d'une discipline, ceux podaux souvent ignorés, et de ce qui fait la force d'un individu, de ce qui le construit.

Le chorégraphe-danseur se met, assis à sa chaise, à table en ouvrant un dossier pour montrer des photos personnelles. C'est faire du solo, et de celui-ci en particulier, une mise à nu. Ce rapport direct au public est aussi le témoignage d'une histoire qui est montrée au travers de sa famille, de ce qui l'a construit et le construit avec des photos de son grand-père, de son père, de sa mère, de lui, bébé et enfant, de son frère, de sa femme, de ses enfants et de sa fiancée.

© A. Groeschel.
© A. Groeschel.
Decouflé a gardé, à cinquante-sept ans, une grâce et une adresse certaines. Ses mains se joignent et se disjoignent, la voix, off, du chorégraphe se mêlant parfois à la représentation. Il se déshabille, le torse souvent à découvert durant le spectacle, au travers d'images, décomposées en séquences cinématographiques.

Les membres supérieurs sont aussi l'aiguillon emportant le corps dans des mouvements ondulés. Cela démarre du tronc pour redescendre jusqu'à la plante des pieds. Dans la danse, classique et contemporaine, jambes, torse et bras sont aux premières loges. Doigts et orteils honorent souvent le champ perdu des oubliés de cet art. En dévoilant cette partie essentielle sans laquelle il n'y a nulle expression, le chorégraphe entend montrer sa partie non visible, cachée.

Decouflé mime, assis en face d'une table, "Le petit bal perdu" (1961) chantée par Bourvil (1917-1970). Avec ses mains, sa tête, le tronc et l'expression du visage, les paroles prennent vie gestuellement. Avec des pointes d'humour, les doigts tapotent la table pour habiller la mélodie, suivi d'un poing la cognant, la tête accompagnant le torse étiré sur la table montrant un désespoir. La musique, côté jardin, est une composante essentielle de la représentation avec Joachim Latarjet jouant de la trompette, de la guitare et de sonorités avec sa bouche.

C'est un jeu de lumières et d'ombres. Corps et images sont les deux axes du spectacle. Faire de celui-ci, réel, un élément irréel qui se multiplie sur une même ligne, telle des rangées qui s'emboîtent ou dans des lieux géométriques en forme d'habitat avec une relation à l'espace toujours déformée. Nous sommes dans un rapport où les dimensions et les formes sont bousculées, jamais réelles, toujours imaginées au travers du regard de Decouflé qui situe le corps à l'intersection d'une représentation construite, celle du danseur, et perçue, celle du spectateur.

Aussi, ce double miroir s'articule autour des membres supérieurs qui donnent à l'interprète des ondulations comme une anticipation de ce qui va se réaliser à l'écran, habité par des effets visuels dans une mise en abyme où la réalité finit par se lier à un imaginaire délimitant une frontière, celle du monde créatif de l'imagination et d'une histoire personnelle.

"Solo"

© Olivier Houeix.
© Olivier Houeix.
Direction artistique : Philippe Decouflé.
Avec : Philippe Decouflé.
Musique : Joachim Latarjet.
Vidéo : Olivier Simola et Laurent Radanovic.
Lumières : Patrice Besombes.
Son : Claire Thiébault.
Accessoires : Pierre-Jean Verbraeken.
Par la Cie DCA - Philippe Decouflé.
Durée : 1 h.

Du 29 mai au 8 juin 2019.
Mardi 4 juin, mercredi 5 juin et vendredi 7 juin à 20 h 30, jeudi 6 juin à 19 h 45, samedi 8 juin à 15 h 30.
Théâtre national de Chaillot, Salle Jean Vilar, Paris 16e, 01 53 65 31 00.
>> theatre-chaillot.fr

Safidin Alouache
Mardi 4 Juin 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter




Numéros Papier

Anciens Numéros de La Revue du Spectacle (10)

Vente des numéros "Collectors" de La Revue du Spectacle.
10 euros l'exemplaire, frais de port compris.






À Découvrir

•Off 2024• "Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
14/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• Lou Casa "Barbara & Brel" À nouveau un souffle singulier et virtuose passe sur l'œuvre de Barbara et de Brel

Ils sont peu nombreux ceux qui ont une réelle vision d'interprétation d'œuvres d'artistes "monuments" tels Brel, Barbara, Brassens, Piaf et bien d'autres. Lou Casa fait partie de ces rares virtuoses qui arrivent à imprimer leur signature sans effacer le filigrane du monstre sacré interprété. Après une relecture lumineuse en 2016 de quelques chansons de Barbara, voici le profond et solaire "Barbara & Brel".

© Betül Balkan.
Comme dans son précédent opus "À ce jour" (consacré à Barbara), Marc Casa est habité par ses choix, donnant un souffle original et unique à chaque titre choisi. Évitant musicalement l'écueil des orchestrations "datées" en optant systématiquement pour des sonorités contemporaines, chaque chanson est synonyme d'une grande richesse et variété instrumentales. Le timbre de la voix est prenant et fait montre à chaque fois d'une émouvante et artistique sincérité.

On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

"Nous mettons en écho des chansons de Barbara et Brel qui ont abordé les mêmes thèmes mais de manières différentes. L'idée est juste d'utiliser leur matière, leur art, tout en gardant une distance, en s'affranchissant de ce qu'ils sont, de ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la culture populaire, dans la culture en général… qui est énorme !"

Gil Chauveau
19/06/2024
Spectacle à la Une

•Off 2024• "Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles…

… face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
26/03/2024