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Danse

Shochiku Grand Kabuki… l'art au summum de l'esthétique

Chaillot présente, pour la deuxième fois en quatorze ans, le kabuki. Entre amour, passion, meurtres, moines, dame de compagnie et dieu, c'est tout un art qui se dévoile autour de deux pièces alliant théâtre, danse, musique et chant autour de Nakamura Shichinosuke II et Nakamura Shido II, des légendes vivantes.



© DR.
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"Ka" pour le chant, "bu" pour la danse et "ki" pour le jeu et la mise en scène. C'est un univers artistique avec sa gestuelle, son esprit, ses personnages, sa culture et ses codes. Le kabuki, dont la naissance remonte au XVIIe siècle de l'ère Edo (~1600 - ~1868), a aussi sa spécificité, le rôle des femmes est joué par des acteurs masculins appelés onnagata.

Le spectacle s'articule autour de deux pièces, "Iromoyo Chotto Karimane Kasane" avec Yoemon, un samouraï sans maître et son amante Kasane qui vivent un amour illégitime. Et "Narukami (1)" (1742), l'une des dix-huit pièces les plus emblématiques du kabuki, qui décrit la confrontation entre un moine cupide et la princesse Kumonotaema (2).

L'incarnation de la princesse par Nakamura Shichinosuke est très gracieuse dans ses attitudes, presque immobiles, comme si le corps parlait avec les silences. Les répliques humoristiques des moines donnent à l'entame de la pièce un aspect comique pour ensuite basculer dans l'aragoto, un style dynamique, rude et combatif, composé de kata.

Cet art recèle d'une dizaine de styles dans ses différentes composantes de jeu, de danse et de mise en scène, comme le shosagoto (style dansé) ne comportant aucune intrigue dramatique, l'aragoto, avec ses scènes de bravoure et le wagoto avec ses histoires sentimentales.

Les répliques demeurent très importantes car presque "rares". Du moins, le silence et les pauses les habillent. Elles ne s'enchaînent pas comme lieu d'une conversation. Ce qui est dit est poétique mais comme pensé avec son poids des mots. Les attitudes, les gestes, les propos font partie d'un imaginaire qui n'a aucune assise dans le réel. Nous sommes ainsi projetés dans un monde avec un roi, une princesse, un dieu de la pluie et des personnages comme sortis d'un conte. L'élocution des acteurs, leurs déplacements, les situations, tout découle d'un monde presque irréel avec répliques et gestes nourris par un contexte pictural où tout est signe.

La scénographie est en effet composée d'éléments de couleur essentiellement verte pour symboliser la nature. Les feuilles, les arbres, l'herbe, le pont, la rivière sont dessinés pour montrer que tout est création imaginaire. Les personnages sont toujours dans un rapport fusionnel avec le conte.

Il y a des gestes, des danses pour exprimer des sentiments comme celle qu'a le roi pour exprimer sa colère dans "Narukami" ou Kasane dans "Iromoyo Chotto Karimane Kasane" qui met son voile sur son épaule pour symboliser la présence d'un évêque. Celles-ci viennent ponctuer le jeu à des moments précis de tension. La gestique a ainsi une signification très précise.

Les visages sont maquillés de blanc avec, pour les moines, le crâne recouvert d'une matière verte pour symboliser les cheveux. Les trois joueurs de shamisen (3), agenouillés sur leurs zabutons (4), ainsi que les trois récitants sont situés côté jardin. Côté cour, cachées derrière un décor, des percussions se font entendre à chaque mouvement de vent. L'amour, les émotions et les éléments de la nature sont ainsi joués et chantés.

L'allure, presque lente, et le silence qui habitent les propos donnent un sentiment de solennité avec un jeu toujours très appuyé dans le comportement. Les voix sont fortes, nimbées d'un dosage émotionnel qui fait taire le naturel. Tout est théâtralisé même si la légèreté, dans l'élégance des formes et des allures, donne aux deux pièces un rituel presque processionnel lors de l'apparition des personnages. La pause, appelée "mie" dans laquelle le personnage est en représentation, est l'ultime moment où une action arrive à son summum.

C'est une peinture avec ses couleurs, ses personnages, sa musique et son chant. Le jeu, les costumes, la scénographie, tout participe à une atmosphère autant de légèreté que de gravité, un rituel où la solennité embrasse à pleine bouche l'imaginaire.

(1) Écrit par Tsuuchi Hanjuro, Yasuda Abun et Nakata Mansuke.
(2) Signifie "lumière entre les nuages".
(3) Luth traditionnel à cordes pincées, à long manche et à la touche lisse.
(4) Coussin traditionnel japonais.

"Iromoyô Chotto Karimane Kasane"

Ensemble musical Kiyomoto
Acteurs : Nakamura Shichinosuke, Nakamura Icho, Nakamura Shiichi, Nakamura Shido.

Ensemble Kiyomoto
Récitants : Kiyomoto Kiyomidayu, Kiyomoto Ichitayu, Kiyomoto Kuniedayu, Kiyomoto Eikichi, Kiyomoto Yoshijuro, Kiyomoto Shiichiro.

"Nakurami"

Acteurs : Nakamura Shido, Nakamura Kannojo, Nakamura Sanzaemon, Nakamura Mitsuki, Nakamura Nakanosuke, Nakamura Nakashiro, Nakamura Nakasuke, Nakamura Nakaya, Nakamura Nakaji, Onoe Takamatsu, Onoe Matsumushi, Kataoka Matsushiro, Kataoka Matsutaro, Ichikawa Kiraku, Dobashi Keiichi, Nakamura Shichinosuke
Assistants : Nakamura Choshi, Sawamura Kunihisa.

Ensemble musical Ozatsuma
Récitants Ozatsuma : Kineya Sanyoshiro, Tobaya Sannosuke, Yoshimura Shotaro
Shamisen : Kineya Gokichiro, Tobaya Kazuki.

Durée : 2 h 40 (entracte compris).

Du 13 au 19 septembre 2018.
Mardi, mercredi, vendredi à 20 h 30, jeudi à 19 h 30, samedi à 20 h 30 et 15 h 30, dimanche à 15 h 30.
Théâtre national de Chaillot, Salle Jean Vilar, 01 53 65 30 00.
>> theatre-chaillot.fr

Safidin Alouache
Mardi 18 Septembre 2018

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© Betül Balkan.
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© Philippe Hanula.
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