La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Cirque & Rue

"Secret"… c'est à répéter, c'est renversant !

Dans une scénographie très précise, Johann Le Guillerm défie l'espace et les volumes pour porter l'équilibre jusqu'à la brèche. En maître du temps, il déploie un savoir-faire autant artistique que mathématique pour proposer des figures dans toute leur beauté géométrique.



© Philippe Cibille.
© Philippe Cibille.
Un secret est (ou devrait être) toujours entouré de silences sous le sceau de la confidence. C'est exactement l'atmosphère du spectacle que nous propose Johann Le Guillerm. Chez lui, une maîtrise totale est effectuée autour de composants tels que du bois, des fils, du métal au travers de roues, de planches et de cordes, d'instruments et de véhicules des plus originaux. Deux moutures ont été créées, la première en 2003 avec "Secret (temps 1)", la deuxième en 2012 avec "Secret (temps 2)".

Le spectacle est découpé en tableaux. Johann Le Guillerm entre avec ses éléments à construire ou déjà montés tel cet empilement de planches plaquées les unes contre les autres, qui sont utilisées comme des effets de dominos ; ou bien cet étrange bicycle sur lequel l'artiste se tient en jouant d'équilibre. Le temps et la mesure sont les principaux maîtres d'œuvre du spectacle avec une maîtrise géométrique des figures et de l'espace.

© Philippe Cibille.
© Philippe Cibille.
Tout est théâtral, précis et millimétré. Aucun geste, attitude ou regard n'est anodin. Le Guillerm joue de poésie dans des constructions volumétriques où les déséquilibres taquinent les équilibres. Toujours sur la brèche, il monte une pièce après une autre, la regardant, jaugeant de sa progression et de sa cohérence avec l'ensemble, l'insérant autour d'une corde, puis d'une autre pour nouer le tout, chevauchant les uns aux autres des éléments disparates qu'il rehausse parfois. Ce sont toujours amoncellements de matériaux pour donner lieu à une construction en équilibre ou, à dessein, en semi-équilibre.

L'artiste tord du métal malléable pour élaborer un cercle ouvert et le faire glisser, le mouvoir sur la scène. C'est un travail d'apprivoisement des éléments pour en faire des complices. Des cathédrales d'équilibres sont bâtis sous nos yeux. Johan Le Guillerm les pousse, les étire jusqu'à la limite du déséquilibre. Tout est affaire d'adresse gestuelle, de calculs, de coups d'œil pour mesurer et décider sur l'instant. Rien ne peut être laissé au hasard. Ni erreur, ni approximation ne sont possibles, sauf à sacrifier le spectacle.

© Philippe Cibille.
© Philippe Cibille.
Le jeu est très théâtral dans le regard, la gestique. Il n'y a aucune parole, à peine des bruitages vocaux venant échancrer ce silence comme pour faire exister verbalement la concentration de l'interprète. C'est aussi une affaire de chutes. Johann Le Guillerm laisse tomber une, voire plusieurs planches au sol. Celles-ci font entendre une lourde sonorité qui vient briser le silence, créant une rupture sonore.

Faire tomber après avoir construit, rebâtir après avoir fait chuter, c'est dans ce va-et-vient perpétuel, jamais le même, que s'inscrit un renouvellement scénique qui démarre un nouveau tableau avec une nouvelle construction. Il joue aussi de finesse en remplissant de cailloux blancs et noirs un mini gouvernail qui gère une construction cyclique qui, à un clap sonore de l'artiste placé à distance, rentre dans les coulisses par lui-même. Avec une précision renversante. C'est bluffant.

"Secret (temps 2)"

© Philippe Cibille.
© Philippe Cibille.
Conception, mise en piste, interprétation : Johann Le Guillerm.
Interprétation musicale : Alexandre Piques.
Régie lumières : Lionel Usandivaras.
Régie piste : Franck Bonnot, Julie Lesas, Anaëlle Husein, Sharif Khalil.
Conception lumières : Hervé Gary.
Création musicale : Thomas Belhom.
Régie générale : Adrien Maheux.
Construction machinerie, lumières : Silvain Ohl, Maryse Jaffrain.
Création costumes : Corinne Baudelot.
Réalisation costumes : Anaïs Abel.
Réalisation des chaussures : Antoine Bolé.
Études de faisabilité des sculptures de cirque : Sylvain Beguin.
Réalisation des sculptures de cirque : Silvain Ohl, Maryse Jaffrain, Lucas de Staël, Jean Christophe Dumont, Jean-Marc Delanoye, Georges Matichard.
Durée : 1 h 30.
Production Cirque Ici - Johann Le Guillerm.

© Philippe Cibille.
© Philippe Cibille.
Du 24 septembre au 20 octobre 2019.
Du mardi au vendredi à 20 h, samedi à 19 h, dimanche à 16 h.
Espace Chapiteau, La Villette, Paris 19e, 01 40 03 75 75.
>> lavillette.com

Safidin Alouache
Lundi 14 Octobre 2019

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024