La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Théâtre

"Salle des Fêtes" Des territoires aux terroirs, Baptiste Amann arpente la nature humaine

Après le choc de sa trilogie "Des Territoires", dont les trois volets furent présentés en un seul bloc de sept heures à Avignon lors du Festival In de 2021, le metteur en scène se tourne vers un autre habitat. Abandonnant le pavillon de banlieue où vivait la fratrie de ses créations précédentes, il dirige sa recherche d'humanités dans une salle des fêtes, lieu protéiforme où se retrouvent les habitants d'un village. Toujours convaincu que seul ce qui fait communauté peut servir de viatique à la traversée de l'existence.



© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Si, dans "La vie mode d'emploi", Georges Perec avait imaginé l'existence des habitants d'un bâtiment haussmannien dont il aurait retiré la façade à un instant T, Baptiste Amann nous immerge dans la réalité auto-fictionnelle d'une communauté villageoise réunie à l'occasion de quatre événements rythmant les quatre saisons d'une année. Au fil de ces rendez-vous, ce sont les aspirations de chacun qui se confrontent à la réalité - la leur et celle des autres - révélant, au sens argentique d'une pellicule que l'on développe, des aspérités insoupçonnées.

Tout commence à l'automne avec l'exaltation d'un couple de jeunes femmes s'établissant à la campagne. Avec le montant de la vente de l'appartement parisien de l'une d'elles, écrivaine - appartement acquis grâce au roman relatant la maladie psychiatrique du frère qui les accompagne dans leur transhumance rurale -, elles viennent de s'installer dans une usine désaffectée flanquée de ses anciennes écluses toujours en service. Organisée par le jeune maire survient la réunion du conseil consultatif concernant la loi engagement et proximité, l'occasion de faire connaissance avec leur nouvelle communauté.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
L'enthousiasme réel suscité par la rénovation du lieu à l'abandon se heurte aux réalités du terrain résistant aux rêves de ces néo-rurales. Ainsi en va-t-il des "rêves qui s'éteignent à la manière des braises d'un feu de cheminée"… Déconvenue cruelle relative à la gestion des ouvrages d'eau leur revenant. Comment faire face aux dégâts des inondations causées par leurs négligences involontaires ? Et le voisin maraîcher, comment va-t-il pouvoir faire face à ses pertes ? Sa colère redouble lorsque les solutions envisagées font montre d'une "solidarité pour aider les deux belles", lui étant décidément le paria local abandonné à son sort.

La salle des fêtes a rangé les chaises de la réunion municipale pour s'orner d'un sapin enluminé. Une corde avec un nœud à son extrémité pend derrière l'estrade. Le maire quant à lui s'entraîne à répéter comiquement son discours de présentation des vœux avant de se lancer dans une improvisation de "La Cerisaie"… afin de redonner le moral à l'agriculteur ruiné. Le frère musicien souffle dans un coquillage et se livre à des exubérances loufoques. Dans le même lieu et le même temps, un microcosme de l'humanité joyeuse et tragique s'ébroue. Avec, toujours présents dans le monde selon Baptiste Amann, des élans d'amours salvateurs.

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Succède le printemps et la salle des fêtes se prépare à accueillir le loto annuel. Sur la façade des préparatifs ludiques s'invitent les lézardes des blessures non "pensées". De l'Antillais à l'enfance mal aimée, au conflit violent entre le père et la fille, l'écho démultiplié des conflits irrésolus s'invite dans les préparatifs d'un rite populaire voué à la détente partagée. Les blessures intimes non parlées se drapent dans des postures "spectaculaires". Avec, là encore, un horizon d'espoir lorsque les mots pour dire le chagrin sont libérés.

Quant à l'été et la préparation de son joyeux bal du 14 juillet, il pousse les portes de la salle des fêtes et nous entraîne jusqu'au refuge haut perché de celui dont la raison a affaire avec les pulsions d'un psychisme "intranquille". Et, là encore, c'est la seule force de la fraternité vécue qui sera de nature à mettre un baume sur les plaies de l'écorché vif.

Sous le vernis des petits bonheurs d'une convivialité recherchée apparaissent les bleus de l'âme, le jeu des rapprochements et ruptures rendant perceptible le mouvement incessant de la vie. Ainsi, au travers des fictions incarnées par les attachants personnages de théâtre habitant la scène de cette "Salle des Fêtes" semblable dans son décor à beaucoup d'autres, c'est toute l'humaine condition qui se met à exister. Et Baptiste Amann, fidèle à ses valeurs - artistiques et humaines confondues -, s'en fait le chantre sensible dans une mise en jeu captivante composée de "tableaux vivants" plus vrais que nature.

Vu le mardi 11 octobre à 20 h, au TnBA de Bordeaux.

"Salle des Fêtes"

© Pierre Planchenault.
© Pierre Planchenault.
Création 2022.
Texte : Baptiste Amann.
Mise en scène : Baptiste Amann.
Collaboration artistique : Amélie Enon.
Avec : Olivier Brunhes, Alexandra Castellon, Julien Geffroy, Suzanne Jeanjean, Lisa Kramarz, Caroline Menon-Bertheux, Rémi Mesnard, Yohann Pisiou, Samuel Réhault, Marion Verstraeten.
Création lumière : Florent Jacob.
Création sonore : Léon Blomme.
Plateau et régie scène : Philippe Couturier.
Scénographie : Florent Jacob.
Construction décor : Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne - CDN.
Costumes : Suzanne Aubert, Estelle Couturier-Chatellain.
Création du hibou : Estelle Couturier-Chatellain.
Production : L'Annexe
À partir de 14 ans.
Durée : 2 h 30.

A été représenté du mardi 11 au samedi 15 octobre 2022.

Tournée
18 et 19 octobre 2022 : Le Metà - CDN, Poitiers (86)
11 au 13 janvier 2023 : La Comédie, Béthune (62).
17 au 29 janvier 2023 : Théâtre Ouvert - CNDC, Paris 20e.
2 au 11 février 2023 : Théâtre Public de Montreuil - CDN, Montreuil (93).
23 et 24 mars 2023 : Le ZEF - scène nationale, Marseille (13).
4 au 7 avril 2023 : La Comédie, Saint-Étienne (42).
25 au 29 avril 2023 : La Comédie, Saint-Étienne (42).
En décentralisation dans le cadre de La Comédie itinérante.
5 mai 2023 : L'Odyssée - scène conventionnée de Périgueux (24).

Yves Kafka
Lundi 17 Octobre 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023







À découvrir

"Othello" Iago et Othello… le vice et la vertu, deux maux qui vont très bien ensemble

Réécrit dans sa version française par Jean-Michel Déprats, le texte de William Shakespeare devient ici matière contemporaine explorant à l'envi les arcanes des comportements humains. Quant à la mise en jeu proposée par Jean-François Sivadier, elle restitue - "à la lettre" près - l'esprit de cette pièce crépusculaire livrant le Maure de Venise à la perfidie poussée jusqu'à son point d'incandescence de l'intrigant Iago, incarné par un Nicolas Bouchaud à la hauteur de sa réputation donnant la réplique à un magnifique Adama Diop débordant de vitalité.

© Jean-Louis Fernandez.
Un décor sombre pouvant faire penser à d'immenses mâchoires mobiles propres à avaler les personnages crée la fantasmagorie de cette intrigue lumineuse. En effet, très vite, on s'aperçoit que l'enjeu de cet affrontement "à mots couverts" ne se trouve pas dans quelque menace guerrière menaçant Chypre que le Maure de Venise, en tant que général des armées, serait censé défendre… Ceci n'est que "pré-texte". L'intérêt se noue ailleurs, autour des agissements de Iago, ce maître ès-fourberies qui n'aura de cesse de détruire méthodiquement tous celles et ceux qui lui vouent (pourtant) une fidélité sans faille…

L'humour (parfois grinçant) n'est pour autant jamais absent… Ainsi lors du tableau inaugural, lorsque le Maure de Venise confie comment il s'est joué des aprioris du vieux sénateur vénitien, père de Desdémone, en lui livrant comment en sa qualité d'ancien esclave il fut racheté, allant jusqu'à s'approprier le nom d'"anthropophage" dans le même temps que sa belle "dévorait" ses paroles… Ou lorsque Iago, croisant les jambes dans un fauteuil, lunettes en main, joue avec une ironie mordante le psychanalyste du malheureux Cassio, déchu par ses soins de son poste, allongé devant lui et hurlant sa peine de s'être bagarré en état d'ébriété avec le gouverneur… Ou encore, lorsque le noble bouffon Roderigo, est ridiculisé à plates coutures par Iago tirant maléfiquement les ficelles, comme si le prétendant éconduit de Desdémone n'était plus qu'une vulgaire marionnette entre ses mains expertes.

Yves Kafka
03/03/2023
Spectacle à la Une

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
07/04/2023
Spectacle à la Une

Dans "Nos jardins Histoire(s) de France #2", la parole elle aussi pousse, bourgeonne et donne des fruits

"Nos Jardins", ce sont les jardins ouvriers, ces petits lopins de terre que certaines communes ont commencé à mettre à disposition des administrés à la fin du XIXe siècle. Le but était de fournir ainsi aux concitoyens les plus pauvres un petit bout de terre où cultiver légumes, tubercules et fruits de manière à soulager les finances de ces ménages, mais aussi de profiter des joies de la nature. "Nos Jardins", ce sont également les jardins d'agrément que les nobles, les rois puis les bourgeois firent construire autour de leurs châteaux par des jardiniers dont certains, comme André Le Nôtre, devinrent extrêmement réputés. Ce spectacle englobe ces deux visions de la terre pour développer un débat militant, social et historique.

Photo de répétition © Cie du Double.
L'argument de la pièce raconte la prochaine destruction d'un jardin ouvrier pour implanter à sa place un centre commercial. On est ici en prise directe avec l'actualité. Il y a un an, la destruction d'une partie des jardins ouvriers d'Aubervilliers pour construire des infrastructures accueillant les JO 2024 avait soulevé la colère d'une partie des habitants et l'action de défenseurs des jardins. Le jugement de relaxe de ces derniers ne date que de quelques semaines. Un sujet brûlant donc, à l'heure où chaque mètre carré de béton à la surface du globe le prive d'une goutte de vie.

Trois personnages sont impliqués dans cette tragédie sociale : deux lycéennes et un lycéen. Les deux premières forment le noyau dur de cette résistance à la destruction, le dernier est tout dévoué au modernisme, féru de mode et sans doute de fast-food, il se moque bien des légumes qui poussent sans aucune beauté à ses yeux. L'auteur Amine Adjina met ainsi en place les germes d'un débat qui va opposer les deux camps.

Bruno Fougniès
23/12/2022