La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Rencontres" Exploration de tous les champs des possibles générés par les échanges et leur implication dans nos existences

Cette pièce chorégraphique a pour thème celui des rencontres. Il s'agit d'explorer le champ des possibles que ces dernières suscitent, la manière dont elles tracent le chemin de notre existence et façonnent l'être que nous sommes. Les rencontres sont les fils du tissage structurant les liens qui nous relient les uns et les unes aux autres. Elles nous révèlent à nous-mêmes en nous donnant l'occasion de nous ouvrir au monde et, surtout, aux autres. Une rencontre peut surgir du hasard, mais encore faut-il saisir l'instant qui nous l'offre et savoir sortir de soi pour accueillir l'autre sous sa différence.



© Ann Ray.
© Ann Ray.
Julien Lestel fait partie de la nouvelle génération de chorégraphes français reconnus. Formé à l'École de Danse de l'Opéra national de Paris et au Conservatoire national supérieur où il obtient un Premier prix, Julien Lestel travaille ensuite avec Rudolf Noureev qui lui propose de danser Cendrillon au Théâtre San Carlo de Naples, puis il intègre les Ballets de Monte-Carlo, de l'Opéra de Paris, de Zürich, puis le Ballet national de Marseille où il sera danseur principal, ville où est toujours implantée sa compagnie qu'il crée en 2007.

"Passionné par mon art et désireux de m'investir davantage dans un travail de recherche chorégraphique, je souhaitais voler de mes propres ailes", précise Julien Lestel.

Dès les premiers instants de la pièce chorégraphique, alors qu'une ronde de corps masculins et féminins entrelacés s'offre à nos yeux, sur le devant de la scène, c'est une impression presque organique qui nous embarque. On est loin des silhouettes standardisées et uniformes de l'Opéra, où rien ne dépasse et où tout est taillé au cordeau, jusque dans la confection du chignon des jeunes femmes ou le collant et la tenue impeccables des jeunes hommes.

© Ann Ray.
© Ann Ray.
Ici, les tenues des danseurs et danseuses sont des vêtements de ville amples et colorés qui rapprochent incontestablement du public le thème illustré. De cette ronde première, le symbole grégaire de notre humanité se révèle aussitôt. Ronde pouvant rappeler les arbres avec leurs racines dans le sol, mais avec leurs frondaisons bien hautes vers le ciel.

En effet, que sommes-nous sans l'Autre ? C'est ce que questionnent d'emblée les premiers gestes et lueurs du spectacle. Puis cette ronde se défait, faisant place rapidement à des duos sensuels et charnels d'une grande intensité. Duos tantôt féminins, tantôt masculins, d'où se dégagent de superbes élans charnels : Ingrid Le Breton se déploie avec grâce aux côtés de Mara Whittigton, et Thimothée Rouby virevolte avec une joie affichée aux côtés de Maxence Chippaux. Les quatre interprètes développent une technique parfaite, presque hypnotique.

Ensuite, parallèlement à la rondeur du début, Julien Lestel a su savamment agencer une autre partition infiniment ingénieuse pour ne jamais quitter son thème : celui des entrées et sorties en coulisses, apparitions, disparitions, croisements, évitements. Les pas chorégraphiés sont d'une infinie justesse, proche des allures d'automates, les jambes des danseurs et danseuses remarquablement travaillées et que les jeans ou pantalons de jogging ne dissimulent guère !

© Ann Ray.
© Ann Ray.
Des lignes droites, douces et répétitives, à l'image de nos lignes de vie sur lesquelles, parfois, nous ne nous engageons pas pour des raisons bien diverses.
C'est, à notre avis, l'effet le plus spectaculaire du spectacle, tant du point de vue de la mise en scène que du message transmis.

Les corps, tout en sensualité, lianes, courbes et contre-courbes, s'entrelacent sensuellement et mettent aussi en avant la nécessité de l'Amour dans nos rencontres, tout au long de notre vie.
La musique du compositeur italien Ezio Bozzo, mort en 2016, confère à l'ensemble une harmonie sensible à laquelle le public adhère aussitôt.

De toute évidence, "rencontre" il y a eu entre ce chorégraphe et ce compositeur, malheureusement disparu trop tôt. Y a-t-il hommage à ce dernier de la part de Julien Lestel ? Tout porte à le croire. Et peu importe, à vrai dire, car le résultat est là.

Enfin, la dynamique de la rencontre chorégraphiée – encore une fois, ingénieuse et infiniment artistique de Julien Lestel – est à son paroxysme lorsque les notes de Chet Baker concluent le spectacle que, pour notre part, nous aurions bien aimé ne pas voir s'achever… Une heure de suspension trop courte, mais dont les échos ne nous lâcheront pas de si tôt.

"Rencontres"

© Ann Ray.
© Ann Ray.
Création 2023 - Ballet Julien Lestel.
Chorégraphie : Julien Lestel.
Assistant chorégraphie Gilles Porte.
Avec les danseuses et danseurs : Éva Bégué, Titouan Bongini, Alexandra Cardinale, Florent Cazeneuve, Maxence Chippaux, Jean-Baptiste de Gimel, Ingrid Le Breton, Inès Pagotto, LouisPlazer, Gilles Porte, Mara Whittington.
Musiques : Ezio Bosso et Chet Baker.
Durée : 1 h.

Spectacle programmé une seule fois en représentation exceptionnelle le 1ᵉʳ février à la Salle Pleyel.

Tournée
10 février 2024 : Casino Barrière, Bordeaux (33).
17 mars 2024 : Palais des Congrès, Le Touquet-Paris-Plage (62).
28 avril 2024 : Casino Barrière, Toulouse (31).
26 octobre 2024 : Palais des Congrès Atlantia, La Baule (44).
1er avril 2025 : Théâtre Juliobona, Lillebonne (76).

Parallèlement à "Rencontres", le Ballet Julien Lestel présente aussi d'autres pièces chorégraphiques dans toute la France : "Rodin", "Puccini", "Libre", "Carmen", "Misatango-Boléro" et "Misantango-Le Sacre".

Brigitte Corrigou
Lundi 12 Février 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À découvrir

"Rimbaud Cavalcades !" Voyage cycliste au cœur du poétique pays d'Arthur

"Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées…", Arthur Rimbaud.
Quel plaisir de boucler une année 2022 en voyageant au XIXe siècle ! Après Albert Einstein, je me retrouve face à Arthur Rimbaud. Qu'il était beau ! Le comédien qui lui colle à la peau s'appelle Romain Puyuelo et le moins que je puisse écrire, c'est qu'il a réchauffé corps et cœur au théâtre de l'Essaïon pour mon plus grand bonheur !

© François Vila.
Rimbaud ! Je me souviens encore de ses poèmes, en particulier "Ma bohème" dont l'intro est citée plus haut, que nous apprenions à l'école et que j'avais déclamé en chantant (et tirant sur mon pull) devant la classe et le maître d'école.

Beauté ! Comment imaginer qu'un jeune homme de 17 ans à peine puisse écrire de si sublimes poèmes ? Relire Rimbaud, se plonger dans sa bio et venir découvrir ce seul en scène. Voilà qui fera un très beau de cadeau de Noël !

C'est de saison et ça se passe donc à l'Essaïon. Le comédien prend corps et nous invite au voyage pendant plus d'une heure. "Il s'en va, seul, les poings sur son guidon à défaut de ne pas avoir de cheval …". Et il raconte l'histoire d'un homme "brûlé" par un métier qui ne le passionne plus et qui, soudain, décide de tout quitter. Appart, boulot, pour suivre les traces de ce poète incroyablement doué que fut Arthur Rimbaud.

Isabelle Lauriou
25/03/2024
Spectacle à la Une

"Mon Petit Grand Frère" Récit salvateur d'un enfant traumatisé au bénéfice du devenir apaisé de l'adulte qu'il est devenu

Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
9 mars 1971, un petit bonhomme, dans les premiers pas de sa vie, goûte aux derniers instants du ravissement juvénile de voir sa maman souriante, heureuse. Mais, dans peu de temps, la fenêtre du bonheur va se refermer. Le drame n'est pas loin et le bonheur fait ses valises. À ce moment-là, personne ne le sait encore, mais les affres du destin se sont mis en marche, et plus rien ne sera comme avant.

En préambule du malheur à venir, le texte, traversant en permanence le pont entre narration réaliste et phrasé poétique, nous conduit à la découverte du quotidien plein de joie et de tendresse du pitchoun qu'est Miguel-Ange. Jeux d'enfants faits de marelle, de dinette, de billes, et de couchers sur la musique de Nounours et de "bonne nuit les petits". L'enfant est affectueux. "Je suis un garçon raisonnable. Je fais attention à ma maman. Je suis un bon garçon." Le bonheur est simple, mais joyeux et empli de tendresse.

Puis, entre dans la narration la disparition du grand frère de trois ans son aîné. La mort n'ayant, on le sait, aucune morale et aucun scrupule à commettre ses actes, antinaturelles lorsqu'il s'agit d'ôter la vie à un bambin. L'accident est acté et deux gamins dans le bassin sont décédés, ceux-ci n'ayant pu être ramenés à la vie. Là, se révèle l'avant et l'après. Le bonheur s'est enfui et rien ne sera plus comme avant.

Gil Chauveau
05/04/2024
Spectacle à la Une

"Un prince"… Seul en scène riche et pluriel !

Dans une mise en scène de Marie-Christine Orry et un texte d'Émilie Frèche, Sami Bouajila incarne, dans un monologue, avec superbe et talent, un personnage dont on ignore à peu près tout, dans un prisme qui brasse différents espaces-temps.

© Olivier Werner.
Lumière sur un monticule qui recouvre en grande partie le plateau, puis le protagoniste du spectacle apparaît fébrilement, titubant un peu et en dépliant maladroitement, à dessein, son petit tabouret de camping. Le corps est chancelant, presque fragile, puis sa voix se fait entendre pour commencer un monologue qui a autant des allures de récit que de narration.

Dans ce monologue dans lequel alternent passé et présent, souvenirs et réalité, Sami Bouajila déploie une gamme d'émotions très étendue allant d'une voix tâtonnante, hésitante pour ensuite se retrouver dans un beau costume, dans une autre scène, sous un autre éclairage, le buste droit, les jambes bien plantées au sol, avec un volume sonore fort et bien dosé. La voix et le corps sont les deux piliers qui donnent tout le volume théâtral au caractère. L'évidence même pour tout comédien, sauf qu'avec Sami Bouajila, cette évidence est poussée à la perfection.

Toute la puissance créative du comédien déborde de sincérité et de vérité avec ces deux éléments. Nul besoin d'une couronne ou d'un crucifix pour interpréter un roi ou Jésus, il nous le montre en utilisant un large spectre vocal et corporel pour incarner son propre personnage. Son rapport à l'espace est dans un périmètre de jeu réduit sur toute la longueur de l'avant-scène.

Safidin Alouache
12/03/2024