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Danse

"Portrait"… Feux d'artifices chorégraphiques !

À travers une juxtaposition synchronisée de solos mis en relation et de danses d'ensemble, le chorégraphe français Medhi Kerkouche propose un melting-pot de tempos où tout un univers artistique, autant contemporain que hip-hop, tisse des liens aussi bien dansés que théâtraux dans une histoire où des figures, familiales, se découvrent dans leurs solitudes et dans ce qui les rapprochent.



© Julien Benhamou.
© Julien Benhamou.
Ils sont là sur scène. Toujours ensemble, parfois séparés. Et quand ils le sont pour ce dernier cas de figure, quelque chose les unit toujours. Une relation, une humeur, un toucher. Un contact. Voire plus. Toute une série de mouvements s'offre sur le plateau. Pour l'une, les jambes sont à moitié étendues au sol. Les bras plongent doucement d'un côté comme la corde d'un arc qui se recourbe et qui descend, avec un regard concentré comme à la recherche de sa propre introspection. Pour un autre, le mouvement est plus vif et rapide, quant à côté, il est beaucoup plus haché.

Des tableaux suivent comme celui avec une dame d'un certain âge et où s'agrègent tous les protagonistes qui s'en approchent pour se fondre sur elle, comme le centre d'une attraction. Celui d'une aînée ou d'une mère. Ensuite, elle lance un propos colérique, proche du hurlement. Ailleurs, c'est un genou qui plie au sol, pour repartir, de façon vive dans des mouvements où l'appui sur les planches devient un rebond. On se touche, on s'embrasse, on s'empoigne. Parfois, la gestique ne dure que quelques secondes pour s'arrêter ensuite et repartir vers une autre direction. Comme dans un portrait de famille, tout est réglé et, à sa place, symbolisé par des pauses où les corps, statiques, deviennent, de par leurs attitudes, une forme d'expression, chacun existant par rapport à soi et à l'aide de plusieurs alter egos.

© Julien Benhamou.
© Julien Benhamou.
Dans ces différents tableaux, la gestuelle se décline de façon souple, ondulée, ondulante, vive, anguleuse et brisée. Les relations sont ambivalentes. Les danseurs sont seuls et pourtant, l'autre est là, juste à côté. On ne s'ignore pas, on fait avec sa présence, en le frôlant souvent. Les gestuelles deviennent ainsi des effleurements pour être beaucoup plus vives quand les artistes se centrent sur eux-mêmes. Cette distance à l'autre, aussi proche soit-elle, délimite leurs identités propres en matière d'espace. Ils sont dans leur monde, tout en s'y évadant quand ils se touchent, se caressent et s'embrassent.

Dans la création de Kerkouche, les protagonistes sont en relation directe entre eux dans des chorégraphies, souvent individuelles et propres à chacun, effectuées dans une même configuration, à savoir un espace réduit à la corpulence de l'artiste. Cela donne un ensemble non centré, car chaque regard du public doit s'arrêter à un seul interprète ou en embrasser quelques-uns, voire une multitude. Quelques véritables solos sont aussi de la partie quand s'extirpe du groupe un danseur qui en semble projeté avec une danse, de quelques instants, et dans un rythme en rupture avec le groupe. Nous sommes ainsi dans l'expression d'une individualité.

© Julien Benhamou.
© Julien Benhamou.
Ces chorégraphies sont l'empreinte et le reflet de ce qu'est chaque artiste. Nous nous retrouvons ainsi avec des gestuelles qui font écho à leur être. Cette disposition visuelle donne à voir de celles-là, de multiples visages aussi bien gestiques que rythmiques. Les tableaux sont magnifiques par leurs variétés, leurs couleurs, leurs rythmes autant contemporains que hip-hop. Sur le plateau, nous sommes ainsi dans un kaléidoscope où chaque danseur est dans son pré carré délimité par aucune frontière, sauf celle de sa gestuelle.

Et puis, il y a cette séquence, comme un second acte, où se dessine un portrait de famille. Tous sont présents, sur une même latitude comme pour une photo. C'est vif, à dessein haché, comme des instants volés dans lesquels chacun vit, au travers de ses gestes, une émotion, dont tous les autres font écho. Des vocalises apparaissent et donnent une douceur poétique à la représentation. Puis une chanson nous fait basculer dans des mouvements alliant courbures, extensions, allongements, vivacités et parfois arrêts, le temps d'un instant. Pour une photo ?

© Julien Benhamou.
© Julien Benhamou.
Et puis cela redémarre. Les vitesses emboîtent le pas. Les bras bougent frénétiquement, en avant et en arrière allant vers le tronc pour s'étendre ensuite en direction du bas. C'est très vif et physique. Le théâtre fait aussi irruption dans la dernière scène où, habillés de costumes, nos protagonistes sont accompagnés d'une voix off déroulant leur vie et décrivant les relations familiales entre eux.

Chacun, de par sa gestique et son rythme, y apporte un timbre et une touche personnelle. Ce miroir à plusieurs visages donne à voir un paysage artistique avec ses reliefs, ses creux et ses pleins. Ce qui se voit et s'appréhende sont ces individualités reliées entre elles, comme parties d'un puzzle. À la fois uniques et dépendantes, à jamais reliées. Comme dans une famille.

"Portrait"

© Julien Benhamou.
© Julien Benhamou.
Chorégraphie : Mehdi Kerkouche.
Assistante à la chorégraphie : Alexandra Trovato.
Avec : Micheline Desguin, Matteo Gheza, Jaouen Gouevic, Lisa Ingrand Loustau, Shirwann Jeammes, Sacha Neel, Amy Swanson, Kilian Vernin, Titouan Wiener Durupt.
Musique : Lucie Antunes.
Lumières : Judith Leray.
Scénographie : Mehdi Kerkouche et Judith Leray.
Costumes : Guillaume Boulez, assisté de Patrick Cavalié et Céline Frécon dans la confection.
Maquillages : Sabine Leib.
Coaching vocal : Nathalie Dupuy.
Régie générale/son : Frédéric Valtre.
Production : Compagnie EMKA/Centre Chorégraphique National de Créteil et du Val-de-Marne.
Durée : 1 h.

Le spectacle s’est joué du 18 au 21 janvier 2023 à Chaillot - Théâtre national de la Danse, Salle Firmin Gémier.

Safidin Alouache
Jeudi 26 Janvier 2023

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© PKL.
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