La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Oneironaut"… Ça décoiffe !

Dans le cadre de la saison France - Portugal 2022, la danse, la musique et les rêves s'invitent dans la création de Tânia Carvalho. La chorégraphe portugaise déploie une liberté de tons bousculant les codes où l'art devient une expression autant corporelle que psychique dans sa création onirique.



© Rui Palma.
© Rui Palma.
Cela démarre au piano avec une pianiste de dos qui, finalement, s'avère être un homme habillé en femme avec une longue perruque noire, maquillé à outrance avec des coloris sur son costume. Elle joue une dizaine de minutes avant que le spectacle démarre pour être rejointe par une deuxième pianiste, chanteuse, qui joue, avec son instrument collé au premier, en face du public. Pied de nez ainsi effectué durant toute la représentation avec un artiste de dos et un travestissement. La suite le prouvera.

La musique est rapide, nerveuse pour certaines compositions, d'autres sont mélodiques quand une est presque apocalyptique avec des solos aux tonalités graves et bien sonores comme une chute de notes en cascade. C'est parfois accompagné de chants aux allures un peu d'opéra avec parfois quelques vocalises. Au-delà des compositions d'André Santos et Tânia Carvalho, il y a aussi Chopin (1810-1849) qui est de la partie. Cet ensemble aussi bigarré est à l'image de ce qui se passe sur les planches.

© Rui Palma.
© Rui Palma.
À l'entame du spectacle, le corps d'un interprète apparaît dans une semi-obscurité, le bout des membres inférieurs et supérieurs arcboutés sur scène, le dos en boule comme un animal prêt à bondir. C'est physique, quasi théâtral.

Puis arrivent, au fil de la représentation, d'autres danseurs avec des mouvements très variés comme si chacun avait sa propre partition. Souvent, c'est tout un groupe qui se forme avec une gestuelle propre à celui-ci mais quand tous sont sur le plateau, cela ne forme jamais, à dessein, un camaïeu artistique. Nous sommes dans un carrefour où des danses différentes viennent se rencontrer dans une discussion chorégraphique.

C'est une explosion de déplacements, presque un fourmillement de gestiques à l'image de ces petits sauts, à quelques centimètres de hauteur effectués par un interprète tel un enfant, ou cet autre qui déambule sur scène, de façon très féminine, avec des attitudes très caractéristiques comme si son genre sexuel se définissait par rapport à une allure. Là, c'est du théâtre au travers d'un personnage qui s'incarne dans cette femme sans en avoir ni le physique, ni l'apparat mais les "manières". C'est fait avec beaucoup d'humour car presque caricatural.

© Rui Palma.
© Rui Palma.
Ailleurs, c'est un danseur qui roule son corps comme un rouleau de pâtisserie le long de la scène. Ce foisonnement artistique fait place parfois à une véritable mosaïque de gestuelles synchronisées, tels ces membres supérieurs de ce trio, au milieu de l'ensemble, qui ouvrent leurs paumes pour effectuer ensuite une rotation des avant-bras. C'est fait avec beaucoup de grâce, toujours accompagné par un chant ou une musique au piano.

Ainsi, dans toutes les séquences, le recours à l'art devient libératoire, bousculant les cadres et les repères. Les interprètes semblent faire ce qu'ils veulent avec une liberté de ton dans la création qui donne aux artistes une latitude d'exploration scénique. Les corps deviennent enfant, transgenre, animal ou clownesque, toujours aux habits et aux visages très colorés. Il n'y a aucune monotonie car tout est surprise. Cela est déroutant au début, à se demander "mais que font-ils ?" Ce sont des bouquets chorégraphiques, tels des feux d'artifice. C'est gai, joyeux, un peu fou. On bascule dans une kyrielle d'agencements scéniques autour de solos, duos, trios ou de toute la troupe. Assez décoiffant !

"Oneironaut"

© Rui Palma.
© Rui Palma.
Chorégraphie et direction : Tânia Carvalho.
Avec : Bruno Senune, Catarina Carvalho, Cláudio Vieira, Filipe Baracho, Luís Guerra, Marta Cerqueira, Patricia Keleher, Nina Botkay.
Assistant de répétition : Luís Guerra
Au piano : André Santos, Tânia Carvalho
Musique : Frédéric Chopin, Tânia Carvalho
Lumières : Anatol Waschke, Tânia Carvalho
Costumes : Cláudio Vieira (principalement pour les articles Só Dança)
Durée : 45 minutes.

Du 7 au 12 mars 2022.
Du lundi au vendredi à 20 h, samedi à 18 h.
Théâtre des Abbesses, Paris 18e, 01 42 74 22 77.
>> theatredelaville-paris.com

Autour du spectacle, un concert est proposé le 12 mars.
Au piano ou sur un instrument de musique traditionnelle chinoise, sur des poèmes de Pessoa ou des textes de sa propre composition, Tânia Carvalho fera voyager le public le temps d'un concert à travers les océans, les tempêtes et les rivages, faisant surgir une étonnante palette de sentiments. Sauvagerie parfois, drôlerie toujours, un esprit libre.

Safidin Alouache
Vendredi 11 Mars 2022

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024