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Danse

"On ne danse pas pour rien"… poétique et politique !

Dans un superbe spectacle, le chorégraphe congolais DeLaVallet Bidiefono noue la politique à la danse sans que la première ne vienne à aucun moment occulter la beauté et la poésie de la seconde. Il fait ainsi de sa création, un art au cœur même du monde et de la cité.



© Christophe Pean.
© Christophe Pean.
Il y a des représentations qui sont à porter autant par les interprètes que par les spectateurs. Ce sont des œuvres où la dimension politique est présente et où le talent en est le porte-voix. Quand cet art corporel se fait résistance et lutte contre l'oppression, elle est ce qui la "n'homme", et ce qui la fait exister.

Oui, ils ne dansent pas pour rien. Ils s'expriment, disent pour ne pas taire et se taire à une époque de drames qui trouvent porte close d'une Europe malade de ses peurs et digne de sa seule indignité.

DeLaVallet Bidiefono, figure incontournable de la scène congolaise, a créé en 2005 sa compagnie Baninga. Ces "monstres", ce sont ces hommes et ces femmes, par le biais de sa poésie, qui luttent contre les dictatures et sont les victimes de tragédies humaines.

Il est tout seul sur scène. Dans l'obscurité. Sans musique. Sans son. Sa gestuelle est souple, articulée, faisant des rotations de ses membres au sol, comme pour se glisser, trouver une issue. Puis il est rejoint par un groupe.

© Christophe Pean.
© Christophe Pean.
Là, les mouvements deviennent moins fluides mais plus fermes. Ils sont autant arrêtés, fixes que mobiles pour repartir par à-coups. L'instant d'immobilité devient un axe fondateur de la chorégraphie. Comme s'ils exprimaient une parole qui serait stoppée, non dite, après qu'elle se soit terrée dans le noir et la solitude. La création de Bidiefono décortique dans ses éléments artistiques tout l'écheveau de la représentation politique où le corps devient média, support de réalisation, de liberté ou de contraintes.

Porté par la musique et le chant qui incarnent la voix qui se fait entendre, l'être est une chrysalide qui se fait papillon tout au long de la représentation. Celle-ci représente la naissance d'un corps pour être ensuite en communion avec d'autres. Le groupe fait la force, l'union fait cohésion. La gestuelle devient plus physique, voire sportive, les mains finissant en poing. Elle est arrêtée, suspendue pour repartir. Puis elle se raffermit de plus en plus. Tout est synchronisé, en harmonie, porté par des mouvements brisés qui s'arrêtent juste au moment de s'exprimer.

© Christophe Pean.
© Christophe Pean.
Deux batteries, une guitare, parfois une basse sont "accrochées" au-dessus de la scène. Des escaliers y amènent, qu'utilisent parfois les artistes. Deux chanteurs, l'un à la voix grave et veloutée, l'autre très aiguë apportent au spectacle un tempo qui habille la chorégraphie de toute sa splendeur. Le chant apporte un souffle de liberté. Les aigus donnent une dimension presque liturgique, comme si les droits, la liberté étaient chose sacrée.

Puis arrive sur scène Rébecca Chaillon, descendant des gradins pour apporter de la "bonne pâte" aux artistes "qui doivent être fatiguées" comme elle dit. Place au théâtre. Elle se met à poil, montrant ses jambes, sa poitrine, se verse de la farine, de la bière pour devenir "pâte" pour ces messieurs. La scène est humoristique au premier abord. Mais c'est surtout le cri, l'interpellation d'une femme face aux détresses du monde. Comment ne pas reconnaître une dénonciation des exactions commises à l'encontre des femmes, en parallèle de l'affaire Weinstein, dans cette mise en scène où la femme est utilisée, de façon caricaturale car revendiquée, comme un objet sexuel ? Elle interpelle le public et devient combat, révolte symbolisée par un jeu de boxeuse, habillée d'un peignoir. Elle dénonce cette habitude que nous avons de plus en plus de "se mettre du déodorant" et "de baisser la tête".

© Christophe Pean.
© Christophe Pean.
"Baisser la tête" devant le drame des réfugiés de guerre abandonnés par toute une Europe, France en tête, qui perd sa dignité en parlant de droit maritime pour fermer ses frontières et bafouer son humanité en "se mettant du déodorant" pour les nommer "Migrants". Le spectacle est très fort dans sa touche musicale, son côté théâtral. Il peut être vu selon plusieurs biais. L'aspect politique est présent, nous le soulignons, mais l'élégance du geste, la beauté de la musique, les chorégraphies ne sont, en aucune façon, occultées.

Le cheminement, de l'ombre à la lumière, sort la danse de sa gangue. Au début, c'est un peu le mystère qui entoure une gestique qui semblerait plus gesticulatoire qu'artistique. Elle interpelle même. Mais se dégage très rapidement une expressivité d'un homme. Puis d'un groupe. C'est monstrueux. Au sens noble !

"Monstres/On ne danse pas pour rien"

© Christophe Pean.
© Christophe Pean.
Chorégraphie : Delavallet Bidiefono.
Dramaturgie : Aurélia Ivan.
Collaboratrice artistique : Carine Piazzi.
Danseurs : Delavallet Bidiefono, Destin Bidiefono, Fiston Bidiefono, Rébecca Chaillon, Ella Ganga, Marie-Bède Koubemba, Cognès Mayoukou, Aïper Moundou, Lousinhia Simon.
Musiciens : Francis Lassus, Armel Malonga, Raphaël Otchakowski.
Création lumières : Stéphane Babi' Aubert.
Création son : Jean-Noël Françoise.
Scénographie : Hafid Chouaf et Caroline Frachet.

A été joué du 22 au 23 juin 2018.
Grande Halle de la Villette, Paris 19e.

Safidin Alouache
Vendredi 29 Juin 2018

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© PKL.
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Gil Chauveau
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© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

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Safidin Alouache
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© DR.
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Bruno Fougniès
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