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"Ögbelerim – Music for my ancestors"… Blues ancestral de Mongolie des plus modernes !

Pour sa première création, Batsükh Dorj, en collaboration avec le musicien ethnomusicologue français Johanni Curtet, sort un album où le voyage artistique se déroule sur les terres de la république de Touva, à la frontière de la Mongolie. C'est une très belle découverte d'une riche culture où le khöömei, l'un des six chants mongols, accompagné d'instruments typiques de cette région du monde, tels le tsuur et l'igil, plongent les compositions de l'artiste au sein de sa lignée ancestrale, de la nature et du surnaturel.



© Routes nomades".
© Routes nomades".
C'est dans un coin reculé de Mongolie, à Tsengel, pays aux vastes terres d'étendues arides que naît en 1990 Batsükh Dorj. En octobre 2023, il sort un magnifique LP aux sonorités blues avec en toile de fond trois traditionnels accompagnés d'une grande majorité de créations de son cru. De qualité musicale indéniable, il nous fait découvrir la culture de la République de Touva. Les Touvains sont un peuple turcophone situé en Sibérie dans la fédération de Russie, à la frontière de la Mongolie. Ils sont un peu plus de 300 000 habitants.

C'est d'abord une voix, celle de Batsükh Dorj chantant en khöömei, l'un des six chants diphoniques typiques de Mongolie qui donne à l'album sa couleur et son atmosphère. On le découvre dans "Ogbelerim" (My Ancestors/Mes ancêtres) où cela débute avec des cordes, qui semblent grincer par jalon, accompagnées d'une guitare et la voix gutturale de Batsükh Dorj. Celle-ci est à la fois haut perchée et de tonalité basse et forte. Venant de la gorge, comme si elle était pressée, elle produit une harmonie composée de différents types vocaux dont celui très caractéristique d'un bourdon. Sa voix est souvent en écho à une musique mêlant, selon les compositions, le tsuur (type de flûte), la guimbarde (idiophone), le igil (sorte de vielle), le khomus (sorte de guimbarde), le doshpuluur (instrument à cordes), les sabots de cheval attinduyou et le sifflet nasal khai.

© Routes nomades".
© Routes nomades".
Cet album est aussi, et surtout, dû à une rencontre entre notre artiste et Johanni Curtet, un musicien ethnomusicologue français, qui a permis d'accoucher de compositions aux sonorités très riches. Aux accents blues, mélodiques, souvent avec ses instruments à cordes et quelques fois baroques avec ceux à vent, les chants incarnent parfois la Nature comme pour "Anchin irii" (un chasseur) où il y a cette impression très forte d'être à cheval grâce à l'utilisation de sabots attinduyou en entendant en parallèle le pépiement des oiseaux avec les instruments à cordes. Le vent est incarné par la flûte Tsuur, typique de Mongolie, dans "Bainak" qui nous fait entendre le souffle froid de Sibérie. La guimbarde est aussi utilisée dans "Khomus" pour effectuer l'appel aux chamans.

Les créations de Batsükh Dorj font étonnamment écho aux compositions traditionnelles. Nulle démarcation artistique ne semble faite entre les deux, comme signature de la continuité d'une même culture traversant les siècles. Musicalement, des accents blues de l'Altaï marquent chaque chanson, ancrée à la terre, à la Nature, à la surnature et aux ancêtres. Tout porte le poids de l'héritage culturel, social et familial.

© Routes nomades".
© Routes nomades".
Les mélodies s'égrènent, portées par des accords qui semblent traverser les saisons et les époques. Dans cette odyssée spatio-temporelle, les notes à la tonalité parfois aiguë apportent une autre fraîcheur aux mélodies au souffle sombre ou presque triste selon les chansons. Celles-là s'inscrivent dans un rythme dans lequel les instruments à cordes, comme l'igil, apportent aussi une touche à l'allure reposante et quasiment joyeuse. Les cordes peuvent démarrer et attaquer un lead quand, plus loin, elles peuvent être en appui et glisser sur les paroles. Les traditionnels Kaldak-Khamar, Kongurei et Jin Söörtügjüler paraissent modernes, car Batsükh Dorj y apporte une sonorité presque folk avec des cordes qui font la ligne mélodique.

C'est un album très riche musicalement où, au-delà de la découverte d'une sonorité et du Khöömei, on découvre le souffle d'une culture dans laquelle la qualité vocale et créative va au-delà de la curiosité, mais d'un besoin de réécouter à de multiples reprises un disque qui vaut sans doute à son compositeur des sillons d'or si les radios en faisaient écho.

© Routes nomades".
© Routes nomades".
● Batsükh Dorj "Ögbelerim - Music for my Ancestors".
Label : Buda Musique.
Distribution : Socadisc.
Sortie : 20 octobre 2023.

Batsükh Dorj : chant, khöömei, kargyraa, sygyt, vièle igil, luth doshpuluur, flûte shoor, guimbarde khomus, sabots attinduyou, sifllet nasal khai.
Johanni Curtet : chant, kharkhiraa, isgeree khöömii, guitare, luth doshpuluur, guimbarde dan moi.

Tournée
13 mars 2024 : Festival Eurofonik, nocturne au Château des ducs de Bretagne*, Nantes (44).
22 mars 2024 : La Péniche Spectacle, Rennes (35).
20 et 21 avril 2024 : Naadam, Château des ducs de Bretagne*, Nantes (44).
23 au 28 avril 2024 : masterclasse, Institut International des Musiques du Monde (IIMM), Aubagne (13).
7 mai 2024 : masterclasse, CFMI, Université Rennes 2, Rennes (35).

* Dans le cadre de l'exposition "Gengis Khan. Comment les Mongols ont changé le monde".

Safidin Alouache
Vendredi 15 Décembre 2023

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