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Avignon 2025

•Off 2025• Sur "L'Aire poids-lourds", l'adolescence s'affranchit de l'enfance avec toute la rage d'une jeunesse laissée à elle-même

Cela se passe dans une banlieue populaire de Sydney. Un collège à proximité d'une autoroute, une bande d'amies, adolescentes, en quête d'identité, de frissons, en pleine découverte de la sexualité, et un jeu de provocation qui se transforme en fait divers. Rivalité, défis, dégoût et fascination pour les premiers désirs dévastateurs, et l'emprise des réseaux sociaux forment le canevas qui explore les tensions subies à cet âge, capable des pires violences contre lui-même.



© J2MC-Photo.
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L'auteur australien Lachlan Philpott a conçu son texte à partir de dix mois d'entretiens avec des adolescentes et adolescents, des enseignants(es), des parents, des psychologues, des infirmières scolaires, des assistantes sociales. Une somme d'informations conséquentes pour tenter de mettre au jour la vie intérieure de jeunes filles de 14 ans tendues vers le monde des adultes, mais conservant au fond d'elles-mêmes la fragilité de l'enfance. Le texte final révèle une dramaturgie complètement détachée de toute exposition plate des événements.

L'auteur australien Lachlan Philpott a conçu son texte à partir de dix mois d'entretiens avec des adolescentes et adolescents, des enseignants(es), des parents, des psychologues, des infirmières scolaires, des assistantes sociales. Une somme d'informations conséquentes pour tenter de mettre au jour la vie intérieure de jeunes filles de 14 ans tendues vers le monde des adultes, mais conservant au fond d'elles-mêmes la fragilité de l'enfance. Le texte final révèle une dramaturgie entièrement détachée de toute exposition plate des événements.

La scène est presque nue, mis à part un dispositif de praticables sur deux niveaux. Un dispositif qui permet aux comédiennes de passer d'un bond d'une scène à l'autre, d'un lieu à l'autre, d'un temps narratif à l'autre. C'est essentiellement la lumière de Cécile Giovansili-Vissière qui permet de suivre ces changements, mais également et surtout les sons que Jenny Abouav distille tout au long de la pièce.

© J2MC-Photo.
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Celle-ci est sur scène, harnachée d'une table de mixage qu'elle porte sur le buste, avec laquelle elle produit des ambiances de nappes électro, mais surtout de bruitages qui, sans être à aucun moment réalistes, procurent aux scènes des impressions de grouillement, de parasites sur ondes courtes, toutes ambiances de brouillage du réel qui sont autant de perturbations, de perte de netteté comme une réalité lointaine et inquiétante jusqu'à sembler, à certains moments, comme le son cosmographique de l'univers tout entier.

Des nudes échangés avec les premiers garçons, des attouchements sexuels vaguement consentis, parfois prétendus, souvent calamiteux, les rapports aux corps à cet âge, 14 ans, frisent la détestation et l'envie d'auto-violenter cette chair qui bouillonne jusqu'à faire suffoquer ce temps de l'adolescence.

Elles sont trois principaux personnages, héroïne de l'histoire, trois copines de collège qui inventent avec les lettres de leurs patronymes un acronyme qui leur sert d'identité : les POUFS. Elles ne seront que deux à se diriger en école buissonnière vers l'autoroute et l'Aire poids-lourds, où une sorte de défi enfantin les transforme en proie des hommes, des routiers de passage. Une descente aux enfers dont elles n'ont pas vraiment conscience. La troisième, métis, subira la violence du racisme de ses amies avant d'être rejetée, pour sa chance.

© J2MC-Photo.
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Phrases courtes, parfois privées de verbes, scènes courtes, vives, comme un montage rapide, tout se veut incisif, brûlant, explosif dans ces échanges qui dépeignent les univers de ces ados : l'école, la vie de famille avec des parents démissionnaires ou absents, la rue, les fêtes, les attouchements dans les coins sur fond d'un ennui viscéral. La mise en scène de Carole Errante rend bien compte de cette vitesse qui mériterait d'être encore accélérée, de même que la violence un peu trop sage, pour que la pièce éclate en vrai cri de vie et de détresse.

Mais un important travail chorégraphique apporte bien la dimension charnelle si obsédante dans cette phase de l'existence. Les trois comédiennes interprétant les trois adolescentes apportent une énergie positive cruciale pour que l'histoire garde des lumières d'espoir et des moments de légèreté qui rappellent les rires des enfants qui restent en elles malgré tout.
◙ Bruno Fougniès

"L'Aire poids-lourds"

Texte : Lachlan Philpott.
Traductrice : Gisèle Joly.
Metteuse en scène : Carole Errante.
Assistants à la mise en scène : Marley Da Silva et Ambre Hector.
Avec : Alia Coisman, Élisa Gérard, Annaëlle Hodet, Anne Naudon et Jenny Abouav (performance sonore live).
Créatrice sonore : Jenny Abouav.
Créatrice lumière : Cécile Giovansili-Vissière.
Régisseur lumière et régisseur général : Vincent Guibal.
Scénographie : Ghali Bensouda.
Costumière : Aude Amédéo.
Production La CriAtura.
À partir de 14 ans.
Durée : 1 h 30.

A été joué les 1er et 2 avril 2025 à Châteauvallon-Liberté - Scène Nationale, Toulon.

•Avignon Off 2025•
Du 5 au 26 juillet 2025.
Tous les jours à 15 h. Relâche le mardi.
Théâtre des Carmes André Benedetto, 6, place des Carmes, Avignon.
Réservations : 04 90 82 20 47.
Courriel : theatre-des-carmes@orange.fr
>> theatredescarmes.com

Bruno Fougniès
Vendredi 11 Avril 2025

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15/05/2025
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30/08/2024