La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2025

•Off 2025• "L'Alchimiste" Un voyage à la découverte de l'âme du monde dans une forme de quête poétique et philosophique

Dans une création théâtrale du célèbre roman de Paulo Coelho, le metteur en scène comédien Benjamin Bouzy réussit à créer, dans une simple mais belle scénographie, un voyage autant intérieur qu'extérieur de Santiago, en quête de sa vérité, qui découvre le monde avec ses secrets, ses trésors et ses surprises.



© Matthieu Lionnard.
© Matthieu Lionnard.
C'est le mariage d'un conte philosophique, celui de "L'Alchimiste" ("O Alquimista", 1988) de Paulo Coelho et du théâtre, mis en scène par Benjamin Bouzy. À la recherche de sa légende personnelle, pour reprendre les termes de l'auteur brésilien, avec son langage du cœur, ses signes et à la découverte de l'âme du monde, le berger andalou Santiago (Benjamin Bouzy) nous mène du Maroc vers les pyramides d'Égypte en passant par le Sahara. C'est un véritable concentré de poésie et d'actions.

La voix claire, sans tension durant toute la représentation, Santiago porte avec lui le "mektoub", à savoir "ce qui est écrit" comme un parfum de fatalité plein d'espoir. Bien avant qu'il réalise ce que c'est réellement, il l'habite avec quiétude et parfois inquiétude dans les multiples événements qu'il vit. Sa voix, durant ceux-ci, fait l'écho d'une certaine fragilité à la fois poétique et naïve.

L'histoire est racontée au fil de l'eau par deux conteurs, Myriam Anbare et Fabien Floris, qui jouent aussi, à eux deux, tous les autres rôles. Seul Benjamin Bouzy reste dans son personnage. Cette découpe entre conte et actions, récit et situations donnent à la pièce une double dimension avec la parole et l'écrit, le théâtre et le roman. Les actions s'enchaînent dans des tableaux avec, pour chacun, leur décor et leur ambiance. Nous sommes ainsi projetés dans un ailleurs situé dans plusieurs lieux avec un récit qui se décline sous différentes conjugaisons.

© Matthieu Lionnard.
© Matthieu Lionnard.
C'est un présent qui s'attache au futur pour se nourrir d'un passé, celui d'un retour à soi-même afin que le protagoniste principal puisse découvrir sa propre légende personnelle. Ce sont également des émotions, des sentiments qui s'entrelacent, s'entremêlent dans une kyrielle de figures. Les voix, les accents, les regards, les attitudes, tout est différence. Le même et l'identique ne sont pas conviés car bousculés autant par les lieux que par les personnages. C'est à chaque fois différent même si une atmosphère chaleureuse, colorée et vive, venue de ces ailleurs ensoleillés, respire dans chaque tableau.

Ce voyage, autant intérieur qu'extérieur, du berger andalou est la trame de cette création théâtrale, en miroir à celle du roman. Les paysages, sous la chaleur autant orientale que Maghrébine, sont très bien restitués dans leurs atmosphères. La scène, aussi petite soit-elle, devient l'endroit de rencontres et de découvertes, parfois improbables. Elle devient le lieu d'une transformation toujours multiple avec peu d'éléments pour en faire des mondes variés. Les décors sont très bien imaginés avec ses parfums colorés et odorants. Il y a la senteur d'un feu où sont retirées des pierres chaudes et d'or, des signes portés par deux pierres, blanche et noire, un voile qui se lève pour s'abaisser à plusieurs reprises afin de planter de nouveaux décors ou pour faire disparaître l'Alchimiste.

© Matthieu Lionnard.
© Matthieu Lionnard.
Tout est léger, aérien avec peu de moyens, mais très bien réussi. Quelques caisses de bois font office de tables, de rangements avec des verres de cocktail parfois. Il y a toutefois une faute de goût scénographique lorsque trois draps, en forme de triangles plats de même dimension, représentent les pyramides de Gizeh. Le manque d'inspiration a commis un petit crime en s'évitant de faire preuve d'ingéniosité cette fois-ci, surtout pour une des sept merveilles du monde antique avec la pyramide de Khéops.

Myriam Anbare incarne de multiples rôles. Celle d'une Anglaise, d'une conteuse, d'une femme habillée de son long châle dans le désert, semblant prise d'amour, d'une cliente volubile et nerveuse dans un salon de thé, d'une voleuse ou d'une gardienne droite et stricte plantée devant la tente de l'Alchimiste (Fabien Floris). Elle scintille, comme un arc-en-ciel, de différentes couleurs. Tendre, hilare, amoureuse, son jeu oscille entre différents états alimentés par un large spectre émotionnel.

De même, Fabien Floris incarne également différents rôles dans une tension continuelle et dans un rapport frontal et physique. Du marchand ou de l'Alchimiste, par exemple, son jeu est tout aussi nerveux même si les attitudes et le volume de voix ne sont pas les mêmes.

© Matthieu Lionnard.
© Matthieu Lionnard.
Cette dichotomie entre les deux artistes dessine une frontière entre le réel et l'imaginaire, comme si les caractères joués par Fabien Floris bousculaient la poésie ou la quiétude de certains autres, joués par Myriam Anbare. Pour citer Camus (1913-1960), "Il n'y a pas de soleil sans ombre" comme il n'y a pas de rêve sans réalité, ou de quête vers sa légende personnelle sans songes et embûches. Cet entrecroisement mêle ainsi drame et amour, accident et espoir, impasse et escapade au travers des corps et des voix des uns et des autres.

Quand les deux comédiens deviennent narrateurs chacun à tour de rôle, c'est un regard extérieur qui s'exprime. Leurs voix deviennent claires, dépouillées de toute tension. La narration est élément de stabilité et de calme comme une veille, un repos ou une lucidité. Avec le jeune berger, à la découverte du monde et de lui-même, ce sont trois types d'incarnation qui s'entrecroisent et se fondent, donnant au spectacle des couleurs aussi vives que variées où la monotonie et l'ennui ne peuvent trouver d'accueil dans cette création.
◙ Safidin Alouache

"L'Alchimiste"

© Matthieu Lionnard.
© Matthieu Lionnard.
Texte : Paulo Coelho.
Traduction : Joana Cartocci.
Mise en scène : Benjamin Bouzy.
Avec : Roxanne Bennett ou Myriam Anbare, Guillaume Reitz ou Benjamin Bouzy, Fabien Floris ou Kevin Poli.
Costumes/scénographie : Cécilia Galli.
Visuel : Matthieu Lionnard.
Lumières : Cyrille Coe.
Production Cie Les Vagabonds.
Dès 10 ans
Durée : 1 h 20.

•Avignon Off 2025•
Du 4 au 26 juillet 2025.
Tous les jours à 14 h 30. Relâche le mercredi.
Théâtre La Condition des Soies, Salle Carrée, 13, rue de la Croix, Avignon.
Réservations : 04 90 22 48 43.
encompagniedesvagabonds@gmail.com
>> conditiondessoies.com

© Matthieu Lionnard.
© Matthieu Lionnard.

Safidin Alouache
Mardi 20 Mai 2025

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024