La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2024

•Off 2024• "Cendres sur les mains" La fureur du monde revisitée par l'absurde et grande poésie

Deux hommes, fossoyeurs de leur état, sont dans un pays dévasté par la guerre et brûlent les morts, dans toute l'absurdité de leur quotidien. Parmi eux, une femme, laissée pour morte, se relève. Après s'être demandé que faire, les deux hommes la nourrissent et prennent finalement soin d'elle. Puis, elle se joint à eux pour entretenir le bûcher, mais ne leur adresse pas la parole. Elle ne parle qu'aux morts. La rescapée apportera à ces deux hommes blasés beaucoup de poésie.



© Jon. D.
© Jon. D.
Il en est souvent ainsi des choses envahissantes et dramatiques de la vie dont on se dit qu'il doit être impossible de parler, tant elles sont terrifiantes, dont on se dit qu'il est impossible de les représenter : la disparition, le deuil d'un enfant, la maladie, le suicide, la guerre et ses désastres.
Surtout elle, LA GUERRE !

Pourtant, au théâtre tout semble possible et peut l'être de façon radicale, à compter du moment où une mise à plat d'un texte exceptionnel côtoie l'intelligence scénographique d'un metteur en scène de génie et le talent de comédiens expérimentés.

C'est le cas de cette pièce de la Compagnie Le Théâtre De Demain, créée à l'initiative d'Alexandre Tchobanoff en 2021, qui va se jouer au Théâtre du Girasole. Comment ne pas ressortir de cette pièce profondément transformée avec un nouveau regard sur l'absurdité de la guerre et l'inexorable incapacité des hommes à mêler leurs voix respectives dans ces moments-là.

Car de tout temps, l'incapacité de dialogue est de mise entre celles et ceux qui font la guerre et celles et ceux qui la subissent. L'Ukraine en est malheureusement un exemple terrifiant encore aujourd'hui…

© Jon. D.
© Jon. D.
"Comment s'approprier ces histoires où la voix du traumatisme domine et où la brutalité du réel vous submerge ? Il doit y avoir une voie d'écriture pour approcher cela. C'est une entreprise risquée, mais elle est importante. La scène doit avoir cette ambition-là : celle de s'ouvrir aux fureurs du monde. Comment prêter sa voix à ces hommes et femmes-là, avec un ton juste ? Comment dire cette horreur ?", Laurent Gaudé.

Une de ses traversées humaines abominables dont parle l'auteur, c'est notamment celle d'une femme kosovare dont il lira l'histoire dans Libération, rescapée d'un massacre de son village, jetée dans un camion sur des cadavres et qui ne pouvait plus respirer. Ce fait inconcevable, mais pourtant bien réel, lui inspirera cette pièce bouleversante. Le fils de cette femme venait d'être abattu, son corps se trouvait sur le sien, tout comme celui de sa fille. Quant à elle, elle vivra !
"Mais à quoi ça sert de vivre à présent parce qu'ils les ont tous tués !".

Face à de tels propos, ce sont en premier des images connues qui nous reviennent en mémoire, notamment celles du documentaire "Nuit et Brouillard", film de 1956 dans lequel Alain Resnais documente l'abandon des camps nazis de Majdanek et Auschwitz. Ces images insoutenables ne nous ont jamais vraiment quittés.

© Jon. D.
© Jon. D.
Mais le théâtre n'a jamais été, n'est et ne sera jamais le cinéma ! Laurent Gaudé et Alexandre Tchobanoff le savent pertinemment et ce ne sont aucunement des charniers de corps entassés que cette pièce propose au public, mais une scénographie d'une intelligence fine et d'une sensibilité à couper le souffle dont on se dit que peut-être, l'appart de la vidéo n'apporte pas grand-chose tant le reste parle de lui-même.

"J'ai été très heureux de découvrir votre travail et de voir ainsi vivre mes mots", Laurent Gaudé à Alexandre Tchobanoff en 2022.

À notre humble avis, l'auteur peut l'être, heureux, d'avoir découvert l'an dernier le travail de ce metteur en scène, car il s'agit là d'un moment de théâtre foudroyant, grossi sans doute à son extrême par les échos qu'il nous en fait, dû aux circonstances mondiales que l'on connaît toutes et tous.

Cette rescapée, intemporelle par sa présence face aux circonstances, interprète de façon bouleversante un chant aux accents inconnus et enterre les morts, inlassablement, avec des gestes doux, certes comme nos deux fossoyeurs, mais à bien y regarder, leurs univers réciproques ne se rejoindront jamais.

© Jon. D.
© Jon. D.
L'interprétation, toute en forte sobriété de Prica Lona, est paradoxalement fluide face aux terribles circonstances, mais aussi face aux attitudes parfois clownesques de nos deux fossoyeurs. Immanquablement, elle transmet l'idée que décidément la guerre, ça ne devrait pas exister !

Coincés par leurs préoccupations réciproques, répétitives et harassantes, les deux hommes, interprétés avec grande justesse par Arnaud Charbonnier et Olivier Hamel, oscillent entre désespoir risible et absurde. Ces deux comédiens transmettent une grande complicité dès les premiers instants de leur présence sur scène et séduisent le spectateur qui se promet, une fois prochaine, de leur apporter du savon pour qu'ils puissent se débarrasser de l'odeur pestilentielle qui ne disparaît pas.

"Ça gratte sur les mains, ça démange !" Il n'y a pas de guérison possible pour eux. Pour la femme rescapée, tout semble néanmoins possible. Enterrer les morts pour finalement continuer à vivre.
Le Théâtre du Girasole porte, en ce nouveau festival 2024, une pièce très riche et engagée qu'il ne fait absolument pas rater.

"Cendres sur les mains"

© Jon. D.
© Jon. D.
Texte : Laurent Gaudé.
Mise en scène : Alexandre Tchobanoff.
Assistante à la mise en scène : Prisca Lona.
Avec : Arnaud Carbonnier, Olivier Hamel, Prisca Lona.
Lumières : Alexandre Tchobanoff.
Costumes : Alexandre Tchobanoff, Prisca Lona.
Scénographie : Alexandre Tchobanoff, Prisca Lona.
Par la Cie "Le Théâtre de demain".
Tout public dès 12 ans.
Durée : 1 h 05.

•Avignon Off 2024•
Du 2 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 10 h 10. Relâche le lundi.
Théâtre du Girasole, 24 bis, rue Guillaume Puy, Avignon.
Réservations : 04 90 82 74 42.
>> theatredugirasole.fr

Brigitte Corrigou
Dimanche 9 Juin 2024

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter







À Découvrir

"Bienvenue Ailleurs" Faire sécession avec un monde à l'agonie pour tenter d'imaginer de nouveaux possibles

Sara a 16 ans… Une adolescente sur une planète bleue peuplée d’une humanité dont la grande majorité est sourde à entendre l’agonie annoncée, voire amorcée diront les plus lucides. Une ado sur le chemin de la prise de conscience et de la mutation, du passage du conflit générationnel… à l'écologie radicale. Aurélie Namur nous parle, dans "Bienvenue ailleurs", de rupture, de renversement, d'une jeunesse qui ne veut pas s'émanciper, mais rompre radicalement avec notre monde usé et dépassé… Le nouvel espoir d'une jeunesse inspirée ?

© PKL.
Sara a donc 16 ans lorsqu'elle découvre les images des incendies apocalyptiques qui embrasent l'Australie en 2020 (dont l'île Kangourou) qui blessent, brûlent, tuent kangourous et koalas. Images traumatiques qui vont déclencher les premiers regards critiques, les premières révoltes générées par les crimes humains sur l'environnement, sans évocation pour elle d'échelle de gravité, cela allant du rejet de solvant dans les rivières par Pimkie, de la pêche destructrice des bébés thons en passant de l'usage de terres rares (et les conséquences de leur extraction) dans les calculettes, les smartphones et bien d'autres actes criminels contre la planète et ses habitants non-humains.

Puisant ici son sujet dans les questionnements et problèmes écologiques actuels ou récurrents depuis de nombreuses années, Aurélie Namur explore le parcours de la révolte légitime d’une adolescente, dont les constats et leur expression suggèrent une violence sous-jacente réelle, puissante, et une cruelle lucidité, toutes deux fondées sur une rupture avec la société qui s'obstine à ne pas réagir de manière réellement efficace face au réchauffement climatique, à l'usure inconsidérée – et exclusivement humaine – de la planète, à la perte de confiance dans les hommes politiques, etc.

Composée de trois fragments ("Revoir les kangourous", "Dézinguée" et "Qui la connaît, cette vie qu'on mène ?") et d'un interlude** – permettant à la jeunesse de prendre corps "dansant" –, la pièce d'Aurélie Namur s'articule autour d'une trajectoire singulière, celle d'une jeune fille, quittant le foyer familial pour, petit à petit, s'orienter vers l'écologie radicale, et de son absence sur le plateau, le récit étant porté par Camila, sa mère, puis par Aimé, son amour, et, enfin, par Pauline, son amie. Venant compléter ce trio narrateur, le musicien Sergio Perera et sa narration instrumentale.

Gil Chauveau
10/12/2024
Spectacle à la Une

"Dub" Unité et harmonie dans la différence !

La dernière création d'Amala Dianor nous plonge dans l'univers du Dub. Au travers de différents tableaux, le chorégraphe manie avec rythme et subtilité les multiples visages du 6ᵉ art dans lequel il bâtit un puzzle artistique où ce qui lie l'ensemble est une gestuelle en opposition de styles, à la fois virevoltante et hachée, qu'ondulante et courbe.

© Pierre Gondard.
En arrière-scène, dans une lumière un peu sombre, la scénographie laisse découvrir sept grands carrés vides disposés les uns sur les autres. Celui situé en bas et au centre dessine une entrée. L'ensemble représente ainsi une maison, grande demeure avec ses pièces vides.

Devant cette scénographie, onze danseurs investissent les planches à tour de rôle, chacun y apportant sa griffe, sa marque par le style de danse qu'il incarne, comme à l'image du Dub, genre musical issu du reggae jamaïcain dont l'origine est due à une erreur de gravure de disque de l'ingénieur du son Osbourne Ruddock, alias King Tubby, en mettant du reggae en version instrumentale. En 1967, en Jamaïque, le disc-jockey Rudy Redwood va le diffuser dans un dance floor. Le succès est immédiat.

L'apogée du Dub a eu lieu dans les années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt. Les codes ont changé depuis, le mariage d'une hétérogénéité de tendances musicales est, depuis de nombreuses années, devenu courant. Le Dub met en exergue le couple rythmique basse et batterie en lui incorporant des effets sonores. Awir Leon, situé côté jardin derrière sa table de mixage, est aux commandes.

Safidin Alouache
17/12/2024
Spectacle à la Une

"R.O.B.I.N." Un spectacle jeune public intelligent et porteur de sens

Le trio d'auteurs, Clémence Barbier, Paul Moulin, Maïa Sandoz, s'emparent du mythique Robin des Bois avec une totale liberté. L'histoire ne se situe plus dans un passé lointain fait de combats de flèches et d'épées, mais dans une réalité explicitement beaucoup plus proche de nous : une ville moderne, sécuritaire. Dans cette adaptation destinée au jeune public, Robin est un enfant vivant pauvrement avec sa mère et sa sœur dans une sorte de cité tenue d'une main de fer par un être sans scrupules, richissime et profiteur.

© DR.
C'est l'injustice sociale que les auteurs et la metteure en scène Maïa Sandoz veulent mettre au premier plan des thèmes abordés. Notre époque, qui veut que les riches soient de plus en plus riches et les pauvres de plus pauvres, sert de caisse de résonance extrêmement puissante à cette intention. Rien n'étonne, en fait, lorsque la mère de Robin et de sa sœur, Christabelle, est jetée en prison pour avoir volé un peu de nourriture dans un supermarché pour nourrir ses enfants suite à la perte de son emploi et la disparition du père. Une histoire presque banale dans notre monde, mais un acte que le bon sens répugne à condamner, tandis que les lois économiques et politiques condamnent sans aucune conscience.

Le spectacle s'adresse au sens inné de la justice que portent en eux les enfants pour, en partant de cette situation aux allures tristement documentaires et réalistes, les emporter vers une fiction porteuse d'espoir, de rires et de rêves. Les enfants Robin et Christabelle échappent aux services sociaux d'aide à l'enfance pour s'introduire dans la forêt interdite et commencer une vie affranchie des règles injustes de la cité et de leur maître, quitte à risquer les foudres de la justice.

Bruno Fougniès
13/12/2024