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Avignon 2024

•Off 2024• "Sur le cœur" Au commencement était le verbe phallocrate… vu la cacophonie qui s'ensuivit, le silence advint, et avec lui une illumination… peu encline à nous illuminer

Pièce chorale convoquant allégrement musiques éclectiques, danses et mots dits, "Sur le cœur" a quelques raisons de dé-concer-ter. En effet, la profusion des propositions artistiques aurait tendance à faire passer au second plan le propos plus qu'à ne le servir… Cette comédie musicale, au ton se voulant léger, se proposait de questionner la libération tous azimuts de la parole des femmes (un seul homme sur le plateau assumant tous les rôles masculins) au travers du mutisme de l'une d'entre elles faisant symptôme.



© Nelly Blaya.
© Nelly Blaya.
Emmurée dans un silence total suite à une randonnée incluant la visite de grottes, "elle" ne consentait à dire mot… Le mystère de son mutisme ne sera révélé que dans l'épiphanie finale, permettant entre temps à chacune et chacun – tel un test de Rorschach – de projeter ses propres fantasmes sur cette énigme existentielle.

L'univers aseptisé d'une salle d'hôpital servira de "lieu repaire" pour le développement de l'intrigue. Une neuropsychiatre, actant l'évolution des plus positives de la prise en compte de la parole féminine, mènera la danse en prenant en charge la patiente mutique flanquée de sa sœur qui, elle, en a gros sur le cœur, des mots ravalés des siècles durant. Chorégraphies et chants relaieront la parole dans sa phase impuissante pour s'enchainer sans répit dans des saynètes toniques où le réalisme sera vite supplanté par un vent de fantaisie déferlant sur le plateau. Une tornade enjouée en ces temps d'angoisses existentielles généralisées.

© Nelly Blaya.
© Nelly Blaya.
Les examens radiologiques et autres ne décèleront aucune anomalie physiologique, aucun signe de lésion cérébrale. Quant à la misogynie ambiante, le microbiote intestinal, logé dans les limbes de notre second cerveau, en serait la cause. L'orthophoniste, un homme chargé de la femme à rééduquer, aura beau chanter les syllabes, rien n'y fera, d'où la sentence tombant comme un couperet : "Je n'en peux plus des femmes qui souffrent des hommes. Je n'en peux plus des hommes, des hommes et des femmes". Accoucher de l'homme nouveau, telle est la question… Le recours aux électrochocs et autres traitements expérimentaux, n'auront pas plus de succès. La musicothérapie, elle, réglée sur des fréquences de bien-être, entrainera une levée du mutisme et avec elle une "explication" de nature très inspirée, vraiment très inspirée…

Autant nous avions été conquis par l'intensité sensible de "Plus grand que moi" (présenté en 2018 au Théâtre des Halles), par sa grande finesse d'écriture utilisant alors avec bonheur toute la gamme des registres de langue propres à rendre compte du flux des pensées traversant la protagoniste, autant nous sommes restés ici en retrait, pour ne pas dire sans voix, face à cette fantasmagorie empilant tous les savoir-faire avérés de l'autrice metteuse en scène au risque de la surcharge. Peut-être n'avons-nous pas su décrypter toutes les intentions dramaturgiques de cette fantaisie théâtrale certes rafraîchissante, mais le sentiment dominant reste celui d'une confusion… elle, très "parlante".
◙ Yves Kafka

Vu le samedi 6 juillet 2024 au Théâtre du Train Bleu à Avignon.

"Sur le cœur. Fantasmagorie du siècle 21"

© Nelly Blaya.
© Nelly Blaya.
Texte : Nathalie Fillion.
Mise en scène : Nathalie Fillion.
Assistante à la mise en scène : Mélissa Irma.
Avec : Marieva Jaime-Cortez, Rafaela Jirkovsky, Manon Kneusé, Damien Sobieraff.
Chorégraphie : Jean-Marc Hoolbecq.
Scénographie : costumes, Charlotte Villermet.
Création lumière : Denis Desanglois.
Création sonore, régie son et vidéo : Estelle Lembert.
Création vidéo : Dimitri Klockenbring.
Enregistrement guitare : Hervé Legeay.
Harpe : Laurence Bancaud.
Régie générale et régie lumière : Sam Dineen ou Thierry Capéran.
Citations musicales : Stéfano Landi, Christophe, Velvet underground, B52's, Nathalie Fillion.
Cie Théâtre du Baldaquin.
Tout public à partir de 12 ans.
Durée : 1 h 20.

© Nelly Blaya.
© Nelly Blaya.
•Avignon Off 2024•
A été représenté du 3 au 21 juillet 2024.
Tous les jours à 20 h 20. Relâche le lundi.
Théâtre du Train Bleu, Salle 1, 40, rue Paul Saïn, Avignon.
>> theatredutrainbleu.fr

Tournée
23 août 2024 : Festival La mousson d'été, Pont-à-Mousson (54).

Yves Kafka
Vendredi 9 Août 2024

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© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
11/03/2024
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Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024