La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• "Le Banc" Une rencontre sensible convoquant en chacun de nous une ouverture d'esprit éveillée

Sur le quai d'une gare, au milieu de nulle part – si ! Peut-être à Migné-Auxances -, deux femmes attendent le train. L'une est en fauteuil roulant, l'autre est une travestie.
Ce train qui a 46 minutes de retard leur permet d'échanger et de nouer le contact.
Mais parviendront-elles à le prendre finalement ensemble ce train et à nouer les liens ?
Ou au contraire, chacune restera-t-elle dans sa bulle d'indifférence nimbée de leurs différences notoires ?



© Didier Roperz.
© Didier Roperz.
Cette pièce, écrite par Phanie Ridel-Linet, transporte le spectateur dès les premières secondes dans un univers feutré et intimiste. Quoi de moins intimiste pourtant qu'un quai de gare !
Pourtant, très rapidement, grâce à la parole plus libérée de la femme travestie, ces deux femmes vont sortir de leur zone de confort psychique et mental et partager leurs tourments en toute quiétude dans un total respect de l'autre.

Pour l'auteure, "l'écriture est peut-être le seul espace de liberté où toutes les transgressions sont possibles". Cette phrase résonne tout particulièrement quand on sait que Phani Ridel-Linet a fait l'objet d'un AVC, il y a quelques années, et qu'à présent, elle est contrainte de se déplacer "en brouette" (sic la femme travestie), métaphore qui installe le ton de la pièce dans une dimension légère emprunte de bien jolis moments d'humour tendre.

Un fauteuil roulant, alors, pour l'une de ces deux femmes et, pour l'autre, un corps qui n'est pas le sien ou comme dirait Roland Dubillard : "un corps qui n'est pas de moi".

Il en est ainsi des mystères de la vie parfois : le prénom de l'auteure de la pièce, en grec, signifie "lumière élévation". Et dans sa pièce, Phanie se lève à sa manière, elle est debout par le biais de ces deux personnages attachants et souvent bouleversants qui nous ouvrent les yeux sur le thème du handicap, du regard que l'on y porte et du droit à la différence.

© Didier Roperz.
© Didier Roperz.
Aucun pathos cela dit. Juste l'essentiel qui nous ramène à l'essence profonde de l'humain et de ses immenses voies de tolérance possibles, surtout lorsqu'il est écrit ainsi avec une telle sensibilité et cette nécessaire désobéissance qui fait le propre de l'Art.

L'interprétation de la femme travestie, empathique et touchante, par le comédien Serge Le Clanche est fluide, sans trop peu ni trop-plein. Juste ce qu'il faut. Sa collaboration avec un conteur de l'île de Groix en Bretagne lui a probablement insufflé cette sérénité bien présente sur le plateau. "J'ai dit oui à ce rôle sans savoir, peut-être parce que j'ai déjà eu l'occasion de travailler avec Barbara. Me glisser dans la peau d'un travesti était un défi et m'intriguait beaucoup (...)."

Pas de zone de confort donc pour celui-ci qui semble avoir compris la nécessité d'oser au théâtre sans laquelle beaucoup de choses tourneraient en boucle. Celui-ci est très crédible en travesti et sa relation progressive avec la femme handicapée est mesurée et finement calibrée.

Assise tout au long de la pièce dans un fauteuil roulant, la comédienne Barbara Poulin, qui a interprété déjà de nombreux textes d'auteurs célèbres tels Jean-Michel Ribes, Jean-Claude Grimberg, Albert Camus, Shakespeare, Anca Visdei, Yasmina Reza ou encore Éric-Emmanuel Schmitt, nous émeut et nous captive par sa beauté et ses magnifiques yeux bleus, mais surtout par sa capacité à manier sur scène cet imposant fauteuil roulant sur ce plateau exigu du Verbe Fou.

© Didier Roperz.
© Didier Roperz.
Ces gestes souples, quand elle déplace ses jambes endormies, sont d'une élégance fine et preuve d'un grand professionnalisme. Le fauteuil s'approche souvent des spectateurs du premier rang dans une scénographie qui semble nous dire : "Je vous dérange, mais vous aussi, vous me dérangez !".

Ces trois personnes-là étaient faites pour se rencontrer ! Que ce soit un bassin de rééducation ou ailleurs quelque part en Bretagne, que ces choses du théâtre se soient faites explique certainement la très grande sensibilité globale de la pièce.

Loin des Côtes-d'Armor et sous le soleil accablant d'Avignon, "Le Banc" est une pièce qui saura vous séduire et convoquer en vous une ouverture d'esprit éveillée, si tant est que vous ne l'ayez pas déjà ancrée en vous !

Cela dit, si vous venez au Théâtre du Verbe Fou littéraire, c'est que, quelque part, vous l'êtes déjà beaucoup, éveillés(es)…

"Le Banc"

Texte : Phanie Ridel-Livet.
Mise en scène : Phanie Ridel-Livet.
Avec : Barbara Poulain, Serge Le Clanche.
Compagnie Le Tsaddé Théâtre.
Durée : 1 h 15.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 29 Juillet 2023.
Tous les jours à 16 h 30. Relâche le mercredi.
Au Verbe Fou, 95, rue des Infirmières, Avignon.
Réservations : 04 90 85 29 90.
>> leverbefou.fr

Tournée
14 septembre 2023 : Théâtre les Ursulines, Lannion (22).
15 septembre 2023 : Centre culturel l'Amérance de Cancale (35).

Brigitte Corrigou
Vendredi 14 Juillet 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024