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Avignon 2023

•Off 2023• "Diego" S'appeler Diego, être prédestiné au football, et ne pas aimer le foot… la lutte contre le destin

Un tapis de course qui se transforme en pelouse, en gradins, en gril de scène ou en mur de flashs, voici l'espace de jeu au centre du plateau. Ce dispositif ingénieux, le comédien le fera évoluer tout au long de l'histoire pour imager les différents épisodes de la vie du personnage qu'il incarne. Cela commence juste avant sa naissance, un certain jour de 1998, le 12 juillet pour être exact. La date est loin d'être anecdotique, car elle va faire peser des conséquences énormes sur tout l'avenir du nouveau-né. Le 12 juillet 1998 est le jour où l'équipe de France de football bat l'équipe du Brésil, 3 buts à zéro en finale de la coupe du monde.



© Laurent Charrier.
© Laurent Charrier.
L'enfant aurait pu s'appeler Zinedine, ce que son père aurait voulu, mais la maman était plutôt fan de l'équipe d'Argentine, et c'est elle qui aura le dernier mot. Le petit se prénommera Diego, comme la star de foot, Diego Maradona. Et voilà un poupon qui n'a rien demandé à personne, chargé d'une sorte de destinée qui le poursuivra toute sa vie. C'est ce trajet que Diego raconte, depuis l'enfant que la volonté paternelle pousse à devenir un grand footballeur, jusqu'à l'âge adulte où il parvient à secouer ce costume peu fait pour lui et réaliser ses propres choix.

Un spectacle en forme de course haletante. Une course vitale et existentielle, car sport et reconnaissance sociale partagent les mêmes angoisses. Tirant sur le fil des sentiments intimes et profonds, Diego tisse le destin d'un personnage imaginaire ou non, de l'enfance jusqu'à l'abîme de la consécration, qui, tel le papillon jetant sa chrysalide au sol, prend l'envol qu'il a choisi au lieu de celui pour lequel il a été formaté.

C'est un cri tendre de liberté que ce spectacle. Pris dans la toile ténue des désirs parentaux et des coïncidences de la vie, Diego est un héros ordinaire. Eh oui, une naissance n'a jamais lieu un terrain vierge. L'enfance non plus. Et donner un prénom ne suffit pas à donner à la vie d'un enfant, pas même une protection.

© Laurent Charrier.
© Laurent Charrier.
Il y a dans ce spectacle une sensible interrogation sur les enchaînements d'influences qui agissent sur les êtres. Car, la réalité est que Diego, le personnage joué par Hugo Randrianatoavina, n'est pas fait pour être footballeur malgré le désir fou de son père. On assiste pendant un peu plus d'une heure la lutte de celui qui est au départ un enfant contre ce destin qui n'est pas le sien.

La mise en scène tout feu tout flamme de Barthélémy Fortier donne un rythme palpitant au spectacle. Hugo Randrianatoavina est un feu follet qui bondit sur toute la scène, soutenu par quelques vidéoprojections qui plantent le décor et le temps de la narration. Courses, bondissements, rebondissements alternent avec des moments de tendresse et de doute. On sent que ce personnage lui colle à la peau.

On a bien sûr le côté anecdotique, celui de l'histoire pleine d'épisodes du jeune Diego. Mais, il y a aussi distillé dans ce spectacle, toute une vision plus large, plus profonde. La peur de décevoir le père, la peur du père de voir ses rêves abandonnés, la crainte de n'être pas celui que l'on attendait… La lente lutte contre un destin impossible finit comme une libération bénéfique, la réalisation d'une vie. Et l'on perçoit quelque chose de touchant dans ce combat entre un fils et son père, qui montre comment deux êtres qui s'aiment peuvent parfois devoir combattre leurs sentiments pour exister.

"Diego"

© Laurent Charrier.
© Laurent Charrier.
Sur une idée originale de Barthélémy Fortier et Hugo Randrianatoavina.
Texte : Alexandre Cordier.
Mis en scène : Barthélémy Fortier.
Avec : Hugo Randrianatoavina.
Collaboration artistique : Nina Ballester.
Composition et création musicale : Tommy Haullard.
Scénographie : Emmanuel Lagarrigue.
Création lumière : Nicolas De Castro.
Création sonore : Clément Vallon.
Production : Cie Ce soir-là, c’était la neige.
Tout public.
Durée : 1 h 10.

Vu en avant première au Cresco Saint-Mandé (94).

© Laurent Charrier.
© Laurent Charrier.
•Avignon Off 2023•
Du 7 au 25 juillet 2023.
Tous les jours à 16 h 45. Relâche le mercredi.
Théâtre La Reine Blanche, 16, rue de la Grande Fusterie, Avignon.
Tél. : 01 42 05 47 31.
>> reineblanche.com

Bruno Fougniès
Lundi 26 Juin 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Hedwig and the Angry inch" Quand l'ingratitude de la vie œuvre en silence et brise les rêves et le talent pourtant si légitimes

La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023