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Avignon 2023

•Off 2023• "Cassé" L'amour… n'est-ce pas cela le bon chemin pour une vie apaisée ?

"Le véritable remède contre le chômage est qu'il n'y ait plus de travail pour personne, mais pour chacun une place dans la société", Albert Jacquard. Huit comédiennes et comédiens viennent nous bousculer sur ce magnifique plateau de l'Épée de bois, dont je suis ressortie émue et touchée. Dans cette pièce, écrite par l'engagé Rémi De Vos, il est question de travail, de vie brisée et de ce que cela entraîne auprès des premiers concernés par cette "casse" sociale : les licenciés.



© Léonard Cavadini.
© Léonard Cavadini.
Celles et ceux qui ont donné un pan de leur vie à l'entreprise pour laquelle ils ont été embauchés, pour laquelle ils se sont dévoués privilégiant parfois leur vie familiale, l'amour et la santé. Surtout la santé ! Tout donner et soudain être "cassés". (Oser) dire "ciao" à l'employé par mail ou par courrier avec ou sans indemnité ! Et la vie après ? Qui pour s'en soucier ?

"Christine", excellemment interprétée et totalement incarnée par Valérie Durin, déboule, très énervée car elle vient d'être licenciée. À la fois déprimée, survoltée et épuisée, elle ne s'arrête plus de parler pendant que son amie, déjantée et hallucinante "Anne-Sophie Pathé" dans le rôle de Cathy, est rivée sur ses pensées. Tout commence à ce moment précis. Que va devenir Christine qui perd son travail et va donc devoir apprendre à retrouver une vie sans ce rythme qui lui donnait un supplément de chair et d'argent ces vingt-cinq dernières années.

Son mari, lui, travaille encore, mais que fait-il exactement ? Que va-t-il advenir de ce quotidien où, soudain, Christine semble vivre avec un étranger. Se connaissent-ils vraiment ? S'aiment-ils réellement ? Et, dans tout ça, l'argent ? Comment survivre ? Comment vivre tout simplement. Sainement. Qui sont ces gens qui vivent à côté, qui rentrent et sortent à leur habitude en niant que quelque chose a changé chez leur voisine Christine. L'arrivée tonitruante du médecin, étonnant, rafraîchissant et si drôlement joué par "Salvatore Caltabiano" vient frapper du burlesque et de la fantaisie rondement menés dans ce chaos à la fois cocasse et déprimant. K-O et mouvement ; ça fuse de partout.

© Léonard Cavadini.
© Léonard Cavadini.
Tous, ces personnages haut en couleur viennent nous rappeler que la vie ne tient à qu'à un fil. Ce voisin qui semble totalement déconnecté de toute réalité avec ses blagues approximatives et sa solitude ancrée. Ce syndicaliste, à la voix singulière, qu'Armand Éloi porte avec toute sa sensibilité de grand acteur. Personnage complètement dépassé par les événements, qui ne sait plus quoi faire tant ces licenciements à la pelle sont bien trop lourds à porter. C'est un vrai bordel que vit cette mini-société qui n'est autre que le miroir de la grande, celle dans laquelle le monde entier gravite et dont il serait temps de se préoccuper.

Puis, Christine a une idée : faire passer son mari pour mort. Il se serait suicidé. L'assurance décès pourrait combler les dettes et permettre au couple de partir loin de tout ce désordre pour revivre sereinement, amoureusement… Car, oui, ils s'aiment. Le mari marche donc dans la combine de Christine. Les langues se délient. Le médecin, fou d'amour pour Christine, avoue aussi être jaloux du voisin dont les blagues tombent rapidement dans l'oubli. Cathy se lâche et finit, elle aussi, par être licenciée. Mais ce qu'elle cherche, c'est l'amour et peu importe avec qui, du moment qu'elle se sent aimée.

L'amour, toujours. N'est-ce pas cela le bon chemin pour une vie apaisée ? Un vrai bazar sur le plateau de l'Épée de Bois dans un décor d'une totale sobriété soutenu par une mise en scène simple laissant toute la place aux acteurs shootés à l'élixir du jeu et du plaisir. "Cassé" est une réflexion intelligente où l'humour mène le tempo malgré la tragédie sociale. Ces huit comédiennes et comédiens reprendront du service sur le plateau de la Chapelle des Italiens à Avignon cet été ! Très bonne idée.

Je ne peux que vous conseiller chaleureusement (mais au frais) cette reconnexion à la réalité.

"Cassé"

© Léonard Cavadini.
© Léonard Cavadini.
Texte : Rémi De Vos.
Mise en scène : Nikson Pitaqaj.
Avec : Lina Cespedes, Henri Vatin, Anne­ Sophie Pathé, Valérie Durin, Salvatore Caltabiano, Armand Eloi, Sébastien Lanz, Yves Sauton.
Par la Cie Libre d'Esprit.

•Avignon Off 2023•
Du 7 au 24 Juillet 2023.
Tous les jours à 15 h 45. Relâche le mardi.
La Chapelle des Italiens, 33, rue Paul Sain, Avignon.
Téléphone : 06 76 80 73 42 - 06 62 57 71 53.
>> chapelledesitaliens.fr

Tournée
12 août 2023 : Festival Grand Large, Scène Vauban, Gravelines (59).
17 et 18 novembre 2023 : Théâtre Transversal, Avignon (84).

Isabelle Lauriou
Lundi 3 Juillet 2023

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"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

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Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

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La comédie musicale rock de Broadway enfin en France ! Récompensée quatre fois aux Tony Awards, Hedwig, la chanteuse transsexuelle germano-américaine, est-allemande, dont la carrière n'a jamais démarré, est accompagnée de son mari croate,Yithak, qui est aussi son assistant et choriste, mais avec lequel elle entretient des relations malsaines, et de son groupe, the Angry Inch. Tout cela pour retracer son parcours de vie pour le moins chaotique : Berlin Est, son adolescence de mauvais garçon, son besoin de liberté, sa passion pour le rock, sa transformation en Hedwig après une opération bâclée qui lui permet de quitter l'Allemagne en épouse d'un GI américain, ce, grâce au soutien sans failles de sa mère…

© Grégory Juppin.
Hedwig bouscule les codes de la bienséance et va jusqu'au bout de ses rêves.
Ni femme, ni homme, entre humour queer et confidences trash, il/elle raconte surtout l'histoire de son premier amour devenu l'une des plus grandes stars du rock, Tommy Gnosis, qui ne cessera de le/la hanter et de le/la poursuivre à sa manière.

"Hedwig and the Angry inch" a vu le jour pour la première fois en 1998, au Off Broadway, dans les caves, sous la direction de John Cameron Mitchell. C'est d'ailleurs lui-même qui l'adaptera au cinéma en 2001. C'est la version de 2014, avec Neil Patrick Harris dans le rôle-titre, qui remporte les quatre Tony Awards, dont celui de la meilleure reprise de comédie musicale.

Ce soir-là, c'était la première fois que nous assistions à un spectacle au Théâtre du Rouge Gorge, alors que nous venons pourtant au Festival depuis de nombreuses années ! Situé au pied du Palais des Papes, du centre historique et du non moins connu hôtel de la Mirande, il s'agit là d'un lieu de la ville close pour le moins pittoresque et exceptionnel.

Brigitte Corrigou
20/09/2023
Spectacle à la Une

"Zoo Story" Dans un océan d'inhumanités, retrouver le vivre ensemble

Central Park, à l'heure de la pause déjeuner. Un homme seul profite de sa quotidienne séquence de répit, sur un banc, symbole de ce minuscule territoire devenu son havre de paix. Dans ce moment voulu comme une trêve face à la folie du monde et aux contraintes de la société laborieuse, un homme surgit sans raison apparente, venant briser la solitude du travailleur au repos. Entrant dans la narration d'un pseudo-récit, il va bouleverser l'ordre des choses, inverser les pouvoirs et détruire les convictions, pour le simple jeu – absurde ? – de la mise en exergue de nos inhumanités et de nos dérives solitaires.

© Alejandro Guerrero.
Lui, Peter (Sylvain Katan), est le stéréotype du bourgeois, cadre dans une maison d'édition, "détenteur" patriarcal d'une femme, deux enfants, deux chats, deux perruches, le tout dans un appartement vraisemblablement luxueux d'un quartier chic et "bobo" de New York. L'autre, Jerry (Pierre Val), à l'opposé, est plutôt du côté de la pauvreté, celle pas trop grave, genre bohème, mais banale qui fait habiter dans une chambre de bonne, supporter les inconvénients de la promiscuité et rechercher ces petits riens, ces rares moments de défoulement ou d'impertinence qui donnent d'éphémères et fugaces instants de bonheur.

Les profils psychologiques des deux personnages sont subtilement élaborés, puis finement étudiés, analysés, au fil de la narration, avec une inversion, un basculement "dominant - dominé", s'inscrivant en douceur dans le déroulement de la pièce. La confrontation, involontaire au début, Peter se laissant tout d'abord porter par le récit de Jerry, devient plus prégnante, incisive, ce dernier portant ses propos plus sur des questionnements existentiels sur la vie, sur les injonctions à la normalité de la société et la réalité pitoyable – selon lui – de l'existence de Peter… cela sous prétexte d'une prise de pouvoir de son espace vital de repos qu'est le banc que celui-ci utilise pour sa pause déjeuner.

La rencontre fortuite entre ces deux humains est en réalité un faux-semblant, tout comme la prétendue histoire du zoo qui ne viendra jamais, Edward Albee (1928-2016) proposant ici une réflexion sur les dérives de la société humaine qui, au fil des décennies, a construit toujours plus de barrières entre elle et le vivant, créant le terreau des détresses ordinaires et des grandes solitudes. Ce constat fait dans les années cinquante par l'auteur américain de "Qui a peur de Virginia Woolf ?" se révèle plus que jamais d'actualité avec l'évolution actuelle de notre monde dans lequel l'individualisme a pris le pas sur le collectif.

Gil Chauveau
15/09/2023