La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Avignon 2023

•Off 2023• Avec "Assis", Jérôme Thomas jongle avec les récits, les musiques et les objets, en virtuose du cirque

Il ne faut pas croire le titre : "Assis". Même s'il y a bien quatre ou cinq chaises sur le plateau, Jérôme Thomas n'y fera que quelques haltes. Le reste du temps, il court, tourne ou évolue dos au sol, quand il ne lance pas des plumes, des sacs, des ballons, des confettis en l'air. Et, s'il s'assoit, c'est pour mieux libérer ses bras et ses jambes qui, telles des échasses de grand oiseau des rivières, font des ciseaux, des pliés ou des percussions rythmiques qui accompagnent la danse de ses balles de jonglage.



© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
D'ailleurs, voit-on un homme qui jongle ou plutôt une créature au langage corporel complexe qui s'amuse des pesanteurs et des équilibres avec tous les objets qu'elle rencontre ? Ils sont disposés sur une table, ces différents objets. Gong, tuyau, plume, balle géante et d'autres instruments rapportés d'ailleurs, du Japon peut-être dont il sera question dans ce récit. Car il s'agit bien d'un récit qui va nous raconter quelques quartiers du monde d'avant le troisième millénaire où Jérôme Thomas et ses compagnons de scène affrontèrent le choc des cultures et quelques bonnes frayeurs. Car, oui, parfois, artiste est un métier à risque.

Le Japon d'abord, la ville tentaculaire d'Osaka, et un cabaret interlope où s'enchaînent les numéros dont fait partie Jérôme Thomas, séjour qui apparaît comme un rêve vaguement dystopique où la langue et la ville sont des inconnus incompréhensibles.

On se retrouve aussi en Afghanistan, dans un village tribal où le responsable de l'Alliance Française programme la troupe dans un théâtre désaffecté depuis des années. Le dernier spectacle avait déplu au public qui décida de détruire le lieu pour calmer son mécontentement. Ce sera ensuite Addis-Abeba, en Éthiopie, où la troupe se retrouve obligée de combler un entracte d'un quart d'heure pour changer de décor, car d'entracte, il n'en est pas question dans les habitudes éthiopiennes.

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Toutes ces narrations se font dans une sorte de mouvement perpétuel, de jeu avec différents accessoires, de gestes chorégraphiques assumés et élégants, brefs, de jongleries où le corps est le centre, et peut-être le véritable objet de la performance. Jérôme Thomas dévoile ainsi quelques pages de sa vie, de ses spectacles, avec une joyeuse nostalgie. Avec maîtrise et savoir-dire, il conte et évoque avec force sur la musique de Christian Maes.

Celui-ci est un peu en retrait, derrière son accordéon. Il disparaît par moments du fil de l'histoire, mais revient régulièrement avec ses compositions qui donnent le sel et les épices à la narration de son complice. Des mélodies qui évoquent parfois le Moyen-Orient, parfois l'Espagne, parfois les joyeux emportements tziganes. Ses notes, ses mélodies et ses rythmes s'imbriquent à la perfection avec les évolutions aériennes du jongleur.

Jérôme Thomas parcourt la scène comme dans un immense terrain de jeu fait tout exprès pour lui, son art, ses facéties et ses souvenirs. Voyage dans tout l'espace de jeu, mais aussi voyage dans le temps, voyage évoqué avec les mots, avec les envols de balles, de mains et de massues, mais aussi avec toute une syntaxe corporelle étonnante. Voyage musical également avec une manière particulière de jongler avec des sons. Voyage en poésie aussi avec, en particulier, une jonglerie de souffle et de plume proche d'une rêverie éveillée ou bien lorsque apparaît une petite projection de Jérôme Thomas à ses débuts dans un numéro de cabaret avec balle et chapeau, qui vient comme une empreinte intime se projeter sur la poitrine de l'artiste comme si elle avait été gravée depuis ce temps.

Mais le spectacle ne fait pas que faire ressurgir les émotions du passé, il est surtout fait de présent, d'immédiateté, un présent renforcé par les apparitions de Pantoufle, partenaire occasionnelle, enthousiaste, brigandine. C'est la chienne de Jérôme Thomas. C'est elle qui ouvre et ferme le spectacle. Elle écoute patiemment un passage d'Ulysse de Joyce au début et fait des cabrioles pour clore la fête. Elle fait partie de cet intime que l'artiste offre au public. Et c'est elle qui s'exécute, obéissante, quand son maître lui dit : Assis !

"Assis"

© Christophe Raynaud de Lage.
© Christophe Raynaud de Lage.
Textes et jonglage : Jérôme Thomas.
Accompagnement artistique : Hélène Ninerola.
Musique : Christian Maes.
Lumières et régie Générale : Dominique Mercier-Balaz.
Assistant à la création : Valentin Lechat.
Production : Armo/Cie Jérôme Thomas.
Sur scène, Jérôme est accompagné de sa chienne Pantoufle.
Tout public.
Durée 1 h.

Vu au Cirque Lili, dans le cadre du Festival Prise de Cirq' à Dijon (21).

•Avignon Off 2023•
Du 11 au 16 Juillet 2023.
Tous les jours à 21 h 30.
Jardin du musée Louis Vouland, 14, rue d'Annanelle, Avignon.
Réservations : 04 90 86 03 79.
>> vouland.com

Tournée
Février 2024, : Le Prato - Pôle National Cirque à Lille (59).
Mai 2024 : GRRRANIT - Scène Nationale, Belfort (90).

Bruno Fougniès
Mercredi 28 Juin 2023

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025












À Découvrir

"La Chute" Une adaptation réussie portée par un jeu d'une force organique hors du commun

Dans un bar à matelots d'Amsterdam, le Mexico-City, un homme interpelle un autre homme.
Une longue conversation s'initie entre eux. Jean-Baptiste Clamence, le narrateur, exerçant dans ce bar l'intriguant métier de juge-pénitent, fait lui-même les questions et les réponses face à son interlocuteur muet.

© Philippe Hanula.
Il commence alors à lever le voile sur son passé glorieux et sa vie d'avocat parisien. Une vie réussie et brillante, jusqu'au jour où il croise une jeune femme sur le pont Royal à Paris, et qu'elle se jette dans la Seine juste après son passage. Il ne fera rien pour tenter de la sauver. Dès lors, Clamence commence sa "chute" et finit par se remémorer les événements noirs de son passé.

Il en est ainsi à chaque fois que nous prévoyons d'assister à une adaptation d'une œuvre d'Albert Camus : un frémissement d'incertitude et la crainte bien tangible d'être déçue nous titillent systématiquement. Car nous portons l'auteur en question au pinacle, tout comme Jacques Galaud, l'enseignant-initiateur bien inspiré auprès du comédien auquel, il a proposé, un jour, cette adaptation.

Pas de raison particulière pour que, cette fois-ci, il en eût été autrement… D'autant plus qu'à nos yeux, ce roman de Camus recèle en lui bien des considérations qui nous sont propres depuis toujours : le moi, la conscience, le sens de la vie, l'absurdité de cette dernière, la solitude, la culpabilité. Entre autres.

Brigitte Corrigou
09/10/2024
Spectacle à la Une

"Very Math Trip" Comment se réconcilier avec les maths

"Very Math Trip" est un "one-math-show" qui pourra réconcilier les "traumatisés(es)" de cette matière que sont les maths. Mais il faudra vous accrocher, car le cours est assuré par un professeur vraiment pas comme les autres !

© DR.
Ce spectacle, c'est avant tout un livre publié par les Éditions Flammarion en 2019 et qui a reçu en 2021 le 1er prix " La Science se livre". L'auteur en est Manu Houdart, professeur de mathématiques belge et personnage assez emblématique dans son pays. Manu Houdart vulgarise les mathématiques depuis plusieurs années et obtient le prix de " l'Innovation pédagogique" qui lui est décerné par la reine Paola en personne. Il crée aussi la maison des Maths, un lieu dédié à l'apprentissage des maths et du numérique par le jeu.

Chaque chapitre de cet ouvrage se clôt par un "Waooh" enthousiaste. Cet enthousiasme opère aussi chez les spectateurs à l'occasion de cet one-man-show exceptionnel. Un spectacle familial et réjouissant dirigé et mis en scène par Thomas Le Douarec, metteur en scène du célèbre spectacle "Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus".

N'est-ce pas un pari fou que de chercher à faire aimer les mathématiques ? Surtout en France, pays où l'inimitié pour cette matière est très notoire chez de nombreux élèves. Il suffit pour s'en faire une idée de consulter les résultats du rapport PISA 2022. Rapport édifiant : notre pays se situe à la dernière position des pays européens et avant-dernière des pays de l'OCDE.
Il faut urgemment reconsidérer les bases, Monsieur le ministre !

Brigitte Corrigou
12/04/2025
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024