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Avignon 2022

•Off 2022• "Je vous écris dans le noir" Tragédie d'une femme libre, moderne… en quête de l'impossible amour

Même quand elle est emportée dans les vents de l'amour, Pauline Dubuisson n'échappe pas à son destin… Un destin aux accents de tragédie grecque, comme une filiation à la malédiction des Atrides… Adolescente charnelle et donc collabo "involontaire" durant l'occupation, tondue et violée à 15 ans, meurtrière passionnelle à 24 ans, son passé finira toujours par la rattraper. Entre souhaits d'indépendance, de liberté et désirs de sincérité, de volonté d'aveux voués à l'amour… elle perdra tout espoir de vivre une passion amoureuse "normale" et se suicidera à 36 ans.



© Roland Baduel.
© Roland Baduel.
Sensuelle et solaire Essaouira (appelée alors Mogador)… en fond sonore, une entêtante mélopée. En second plan, des voix de femmes parlant en arabe. Pauline est devenue Andrée (son deuxième prénom). Elle est interne dans cet hôpital marocain où elle est arrivée en 1962. Elle rencontre Jean Lafourcade, un ingénieur pétrolier de six ans plus jeune qui souhaite l'épouser. À nouveau l'amour. Mais le souvenir de Félix, qu'elle a tué, est toujours là. Flash-back : Dunkerque, Seconde Guerre mondiale. Apprentissage des plaisirs de la vie et du sexe avec un médecin-chef allemand.

Elle dira la vérité à Félix sur son passé : son statut de femme "tondue" à la libération et violée. Rupture suivie ensuite de fausses retrouvailles… Ils couchent ensemble, font l'amour mais, le lendemain matin, celui-ci la traite comme une prostituée. Elle le tue en tirant au hasard… ou pas. En prison, elle s'évadera par la lecture. Libérée au bout de six ans pour bonne conduite. C'est après la sortie du film d'Henri-Georges Clouzot, "La Vérité" avec Brigitte Bardot (1960), qu'elle fuira en 1962 à Essaouira. Séquence finale, le destin tragique déroule son dénouement… elle donne à Jean ses cahiers où sont contenus les drames de sa vie… Rupture, nouvel abandon… elle se suicide le 22 septembre 1963 à 36 ans.

© Roland Baduel.
© Roland Baduel.
Jean-Luc Seigle fait preuve dans son roman d'une extraordinaire empathie pour son personnage meurtri par la vie, qui se révèle complexe mais en même temps étonnamment lumineux, dégageant une réelle force de vivre, de combattre, même si souvent le désespoir finit par l'emporter.

L'adaptation d'Évelyne Loew apporte en complément un questionnement judicieux, pertinent sur l'appréciation de ce type d'affaire, de "fait-divers", dont la perception, compte tenu de l'évolution des mœurs notamment, n'est plus la même aujourd'hui, éloignée de la violence verbale, de l'humiliation, du mépris qu'a vécu Pauline Dubuisson dans les années cinquante et soixante… et pose la question de la condition des femmes, interroge sur les violences, les viols, les souffrances subis par une femme tout au long de sa vie, aussi courte soit-elle.

Il s'agit d'une confession, de confidences séquencées temporellement, avec des flash-back, douloureux, de brusques ruptures, qui contraste avec les séquences plus légères - ou, du moins, le paraissent-elles - marqués par les moments de balancement dans un "drap siège" suspendu, dans la chaude et charnelle Essaouira. Le tout est rythmé, temporisé par la musique (composition originale de Philippe Mion), par les silences maîtrisés. Les chants et mélodies marquent, situent aussi les lieux, tout comme la lumière qui, en fonction de son intensité, de ses couleurs, crée les différents univers, ambiances… leur donnant la part de dramatisation nécessaire à l'instant dédié.

La narration choisie et portée par Sylvie Van Cleven est comme une rivière, parfois ayant la fougue d'un torrent de montagne, parfois le calme d'un fleuve laissant - du moins, pourrait-on l'espérer - couler l'eau sous les ponts. Mais ici le ruisseau originel donne naissance à un incroyable destin aux flux tumultueux, celui d'une femme insaisissable, complexe, qui se bat pour vivre, exister au cœur de l'occupation – elle a quinze ans en 1942 – puis pour aimer et être aimée, être aussi peut-être une femme libre à une époque où le féminisme "moderne" n'en est encore qu'à ses prémices.

La comédienne, intensément présente, parcourant le plateau au gré ses humeurs et de ses fulgurances émotionnelles, offre aux spectateurs une réelle densité de jeu, une gestique à la fois subtile et expressive, réglée au cordeau, ayant parfois une élégance chorégraphique. L'interprétation est sensible, riche en gammes émotionnelles, en expressions narratives, jouant une partition où la musicalité se révèle en de subtiles notes alternant violence, colère, douceur et sentiment amoureux. Un grand et vrai moment de théâtre à découvrir… Ciselé par une comédienne remarquable et habitée !

Vu au Théâtre de l'Opprimé dans le cadre d'une représentation réservée aux professionnels(les) en mai 2021.

"Je vous écris dans le noir"

© Christophe Gsell.
© Christophe Gsell.
D'après le roman de Jean-Luc Seigle, aux Éditions Flammarion.
Adaptation : Évelyne Loew.
Mise en scène : Gilles Nicolas, Sylvie Van Cleven.
Collaboration à la mise en scène : Pablo Dubott.
Avec : Sylvie Van Cleven.
Composition musicale : Philippe Mion.
Scénographie, lumière : Lucie Joliot.
Durée : 1 heure.
Production Les Sincères.
Coproduction Actions Scènes Contemporaines.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 29 Juillet 2022.
Tous les jours à 20 h 05, relâche le mercredi.
Présence Pasteur, 13, rue du Pont Trouca, Avignon.
Réservations : +33 (0)4 32 74 18 54 - +33 (0)7 89 21 79 44.
>> presence-pasteur.fr

Gil Chauveau
Mercredi 8 Juin 2022

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À découvrir

"Le Chef-d'œuvre Inconnu" Histoire fascinante transcendée par le théâtre et le génie d'une comédienne

À Paris, près du quai des Grands-Augustins, au début du XVIIe siècle, trois peintres devisent sur leur art. L'un est un jeune inconnu promis à la gloire : Nicolas Poussin. Le deuxième, Franz Porbus, portraitiste du roi Henri IV, est dans la plénitude de son talent et au faîte de sa renommée. Le troisième, le vieux Maître Frenhofer, personnage imaginé par Balzac, a côtoyé les plus grands maîtres et assimilé leurs leçons. Il met la dernière main dans le plus grand secret à un mystérieux "chef-d'œuvre".

© Jean-François Delon.
Il faudra que Gilette, la compagne de Poussin, en qui Frenhofer espère trouver le modèle idéal, soit admise dans l'atelier du peintre, pour que Porbus et Poussin découvrent le tableau dont Frenhofer gardait jalousement le secret et sur lequel il travaille depuis 10 ans. Cette découverte les plongera dans la stupéfaction !

Quelle autre salle de spectacle aurait pu accueillir avec autant de justesse cette adaptation théâtrale de la célèbre nouvelle de Balzac ? Une petite salle grande comme un mouchoir de poche, chaleureuse et hospitalière malgré ses murs tout en pierres, bien connue des férus(es) de théâtre et nichée au cœur du Marais ?

Cela dit, personne ne nous avait dit qu'à l'Essaïon, on pouvait aussi assister à des séances de cinéma ! Car c'est pratiquement à cela que nous avons assisté lors de la générale de presse lundi 27 mars dernier tant le talent de Catherine Aymerie, la comédienne seule en scène, nous a emportés(es) et transportés(es) dans l'univers de Balzac. La force des images transmises par son jeu hors du commun nous a fait vire une heure d'une brillante intensité visuelle.

Pour peu que l'on foule de temps en temps les planches des théâtres en tant que comédiens(nes) amateurs(es), on saura doublement jauger à quel point jouer est un métier hors du commun !
C'est une grande leçon de théâtre que nous propose là la Compagnie de la Rencontre, et surtout Catherine Aymerie. Une très grande leçon !

Brigitte Corrigou
06/03/2024
Spectacle à la Une

"L'Effet Papillon" Se laisser emporter au fil d'un simple vol de papillon pour une fascinante expérience

Vous pensez que vos choix sont libres ? Que vos pensées sont bien gardées dans votre esprit ? Que vous êtes éventuellement imprévisibles ? Et si ce n'était pas le cas ? Et si tout partait de vous… Ouvrez bien grands les yeux et vivez pleinement l'expérience de l'Effet Papillon !

© Pics.
Vous avez certainement entendu parler de "l'effet papillon", expression inventée par le mathématicien-météorologue Edward Lorenz, inventeur de la théorie du chaos, à partir d'un phénomène découvert en 1961. Ce phénomène insinue qu'il suffit de modifier de façon infime un paramètre dans un modèle météo pour que celui-ci s'amplifie progressivement et provoque, à long terme, des changements colossaux.

Par extension, l'expression sous-entend que les moindres petits événements peuvent déterminer des phénomènes qui paraissent imprévisibles et incontrôlables ou qu'une infime modification des conditions initiales peut engendrer rapidement des effets importants. Ainsi, les battements d'ailes d'un papillon au Brésil peuvent engendrer une tornade au Mexique ou au Texas !

C'est à partir de cette théorie que le mentaliste Taha Mansour nous invite à nouveau, en cette rentrée, à effectuer un voyage hors du commun. Son spectacle a reçu un succès notoire au Sham's Théâtre lors du Festival d'Avignon cet été dernier.

Impossible que quiconque sorte "indemne" de cette phénoménale prestation, ni que nos certitudes sur "le monde comme il va", et surtout sur nous-mêmes, ne soient bousculées, chamboulées, contrariées.

"Le mystérieux est le plus beau sentiment que l'on peut ressentir", Albert Einstein. Et si le plus beau spectacle de mentalisme du moment, en cette rentrée parisienne, c'était celui-là ? Car Tahar Mansour y est fascinant à plusieurs niveaux, lui qui voulait devenir ingénieur, pour qui "Centrale" n'a aucun secret, mais qui, pourtant, a toujours eu une âme d'artiste bien ancrée au fond de lui. Le secret de ce spectacle exceptionnel et époustouflant serait-il là, niché au cœur du rationnel et de la poésie ?

Brigitte Corrigou
08/09/2023
Spectacle à la Une

"Deux mains, la liberté" Un huis clos intense qui nous plonge aux sources du mal

Le mal s'appelle Heinrich Himmler, chef des SS et de la Gestapo, organisateur des camps de concentration du Troisième Reich, très proche d'Hitler depuis le tout début de l'ascension de ce dernier, près de vingt ans avant la Deuxième Guerre mondiale. Himmler ressemble par son physique et sa pensée à un petit, banal, médiocre fonctionnaire.

© Christel Billault.
Ordonné, pratique, méthodique, il organise l'extermination des marginaux et des Juifs comme un gestionnaire. Point. Il aurait été, comme son sous-fifre Adolf Eichmann, le type même décrit par Hannah Arendt comme étant la "banalité du mal". Mais Himmler échappa à son procès en se donnant la mort. Parfois, rien n'est plus monstrueux que la banalité, l'ordre, la médiocrité.

Malgré la pâleur de leur personnalité, les noms de ces âmes de fonctionnaires sont gravés dans notre mémoire collective comme l'incarnation du Mal et de l'inimaginable, quand d'autres noms - dont les actes furent éblouissants d'humanité - restent dans l'ombre. Parmi eux, Oskar Schindler et sa liste ont été sauvés de l'oubli grâce au film de Steven Spielberg, mais également par la distinction qui lui a été faite d'être reconnu "Juste parmi les nations". D'autres n'ont eu aucune de ces deux chances. Ainsi, le héros de cette pièce, Félix Kersten, oublié.

Joseph Kessel lui consacra pourtant un livre, "Les Mains du miracle", et, aujourd'hui, Antoine Nouel, l'auteur de la pièce, l'incarne dans la pièce qu'il a également mise en scène. C'est un investissement total que ce comédien a mis dans ce projet pour sortir des nimbes le visage étonnant de ce personnage de l'Histoire qui, par son action, a fait libérer près de 100 000 victimes du régime nazi. Des chiffres qui font tourner la tête, mais il est le résultat d'une volonté patiente qui, durant des années, négocia la vie contre le don.

Bruno Fougniès
15/10/2023