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Avignon 2022

•Off 2022• "Britannicus Tragic Circus" Une tragédie revisitée d'où surgit monstres et monstruosités d'une inquiétante modernité

Dans une forme de narration chamarrée, joyeusement déjantée et tonitruante, les Épis Noirs nous offrent un Britannicus revisité en une tragédie féroce et jubilatoire fondée sur l'art des saltimbanques, circassiens et autres bateleurs. De cette création aux accents désespérément tragiques sont révélés monstres et monstruosités. Et si l'âme romaine voulut par Racine est préservée, se fait jour néanmoins l'imparable modernité des propos nous rappelant que - oui ! - un hideux serpent sommeille toujours en chacun de nous, que notre face obscure est toujours prompte à faire œuvre dans certains moments de notre vie.



© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Les tragiques rouages de cette mécanique implacable et féroce - qui font passer nos héros de la lumière à la noirceur et de vie à trépas pour l'inconsistant frère de Néron, ci-devant Britannicus, à l'innocence amoureuse - sont, comme chacun sait, un vol qualifié d'amante, d'ignominieuses trahisons assumées nourrissant moult complots et poisons, un inceste consommé, un emprisonnement avec cage à l'ancienne, un harcèlement minutieux et d'une moderne lourdeur… et autres cruelles réjouissances, initialement à la sauce romaine, mais ici transformés en un consommé riche et bariolé, burlesque et impertinent, grâce à la mise en scène audacieuse et inventive de Pierre Lericq et le jeu énergique, voire impétueux des comédiennes et comédiens de ce théâtre ambulant sous la férule despotique de Monsieur Loyal.

Chaque scène déterminante de la pièce est exprimée et construite comme un numéro de cirque, de dressage, sous l'emprise tyrannique de Monsieur Loyal - dresseur de fauves ? Qui sait ! -, ce dernier assénant un tonitruant "Admirez le dressage !", fier et satisfait, à la foule spectatrice et repris à l'envi à chaque séquence. Celui-ci, fouet en main, toujours prêt à bondir, rappelle aux protagonistes qui est le patron, qui orchestre cette tragédie revisitée en cirque et fête foraine et, en adresse au public, jette de temps en temps un bouquet imagé de commentaires moqueurs ou d'injonctions acérées, comme une expression existentialiste, un besoin d'affirmation du chef, harangue provocatrice du forain attirant le client.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Premier numéro annoncé : "L'innocence, entre le divin et le néant". Sur la piste poussiéreuse, paraissent Britannicus et la douce, innocente, Junie, inéluctables amants contrariés. Puis tout s'enchaîne rapidement, l'une des grandes réussites de la mise en scène étant d'insuffler un rythme endiablé à la succession des différentes situations dramatiques, porté par dix chansons (compositions originales de Pierre Lericq) qui illustrent avec efficacité et pertinence la tragédie ainsi déroulée en une partition rock'n'roll coloré et enthousiaste.

Suivent le discours d'Agrippine, les remarques des serviteurs de Néron, Narcisse et Albin, prônant pour l'un l'honnêteté, pour l'autre la tyrannie, le message du messager - "le mariage est compromis" -, le coup de foudre de Néron pour la meuf de Britannicus et Junie kidnappée par le despote, envoyée aux enfers. Ici sont le crime contre la vertu, la ruse et la dissimulation contre la sincérité, le pouvoir par la force, sans la justice, dans l'abjection et dans la honte.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Agrippine annonce à Britannicus que Néron lui a piqué sa douce amante. Pendant ce temps, Néron met en place son chantage, poussant la belle innocente à l'aimer sinon il tue Britannicus. La tragédie se joue, inexorablement, et, au passage, l'inceste s'affirme entre Agrippine, toujours aussi branchée sur sa libido, et Néron. Elle : "aujourd'hui, tu n'as pas fait l'amour à ta mère" et lui rappelle que c'est elle qui l'a mis sur le trône. Puis vient, les retrouvailles de Britannicus et Junie, tous deux ignorant que déjà le complot se trame et que la mort frappera bientôt à sa porte.

Chaque seconde est inattendue et la mise en scène laisse une impression permanente d'imprévue, riche de surprises. Il en est de même pour l'interprétation des personnages, chaque comédienne et comédien donnant une énergie, une densité tragique à chaque protagoniste, tout en y imprimant un "cachet" burlesque, parfois clownesque du meilleur effet.

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Cette histoire est avant tout l'histoire de Néron, le "monstre naissant" et, sous des dehors de tragédie foraine, empreinte d'humour décalé et un rien trash dans la force de l'expression musicale notamment, il est donné "à voir et à entendre le monstre qui est en chacun de nous que nous enfermons dans notre cage thoracique et notre for intérieur à coup d'éducation et de culture".

"Attention, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, les monstres que vous allez voir ce soir sont des monstres aussi monstrueux que... vous !"

Vu en juin 2022 dans le cadre du Phénix Festival.

"Britannicus Tragic Circus"

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.
Une nouvelle création des Épis Noirs.
Texte et musique originale : Pierre Lericq.
Mise en scène : Pierre Lericq.
Assistante à la mise en scène : Bérangère Magnani.
Avec : Jules Fabre, Pierre Lericq, Gilles Nicolas, Tchavdar Pentchev, Marie Reache, Juliette de Ribaucourt.
Scénographie : Yves Kuperberg.
Lumière : François Alapetite.
Son ; Jules Fernagut.
Costumes : Chantal Hocdé Del Pappas.
Une codiffusion Atelier Théâtre Actuel et Arts & Spectacles Production.

•Avignon Off 2022•
Du 7 au 30 juillet 2022.
Tous les jours à 19 h 55, relâche le mardi.
Théâtre du Balcon, 38, rue Guillaume Puy, Avignon.
Réservations : 04 90 85 00 80.
>> theatredubalcon.org

© Olivier Brajon.
© Olivier Brajon.

Gil Chauveau
Dimanche 17 Juillet 2022

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Comment dire l'indicible, comment formuler les vagues souvenirs, les incertaines sensations qui furent captés, partiellement mémorisés à la petite enfance. Accoucher de cette résurgence voilée, diffuse, d'un drame familial ayant eu lieu à l'âge de deux ans est le parcours théâtral, étonnamment réussie, que nous offre Miguel-Ange Sarmiento avec "Mon petit grand frère". Ce qui aurait pu paraître une psychanalyse impudique devient alors une parole salvatrice porteuse d'un écho libératoire pour nos propres histoires douloureuses.

© Ève Pinel.
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© Betül Balkan.
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On retrouve dans cet album une réelle intensité pour chaque interprétation, une profondeur dans la tessiture, dans les tonalités exprimées dont on sent qu'elles puisent tant dans l'âme créatrice des illustres auteurs que dans les recoins intimes, les chemins de vie personnelle de Marc Casa, pour y mettre, dans une manière discrète et maîtrisée, emplie de sincérité, un peu de sa propre histoire.

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© Philippe Hanula.
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Gil Chauveau
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