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Danse

"O" Le cercle des origines retrouvées, une ouverture vertigineuse…

Si, dans "Le cercle des poètes disparus", un professeur fantasque incitait ses étudiants à s'affranchir des règles afin d'éveiller en eux le goût à nul autre pareil de la liberté, Chloé Moglia, danseuse aérienne, défie les lois de la pesanteur (physique, mais pas que…) pour dessiner – avec son corps et ses mots recomposés – le visage de notre humanité, de ses origines à nos jours. "Une leçon de choses" à donner le vertige…



© Charles-Henry Frizon Bottoms.
© Charles-Henry Frizon Bottoms.
Avec, pour seul agrès, un cercle géant (non fermé sur lui-même, mais ouvert au questionnement) et des lettres qu'elle assemblera au gré de ses explorations tous azimuts, elle arpente avec une grâce édénique le parcours de notre genèse, héritiers que nous sommes de la chaîne infinie du vivant depuis l'apparition des bactéries et, au-delà, du grand vide qui les a précédées. Une bande sonore, diffusée en contrepoint, fait entendre les textes (im)pertinents de penseurs – Emanuele Coccia, Val Plumwood, Richard Feynman et d'autres encore – mettant en perspective l'importance démesurée que l'Homme se donne par rapport au reste du vivant, domaine auquel il appartient en tant qu'élément constitutif d'un tout qui le dépasse grandement.

Faisant écho aux arabesques suspendues d'un corps (le sien) qui semble échapper à l'attraction terrestre, elle "tire des lignes" liant les corps entre eux, les confondant dans la même expérience depuis que la vie se transmet dans un corps à corps sans fin. Ainsi, toute tentative de circonscrire un élément du vivant en en dessinant le contour est vouée irrémédiablement à l'échec… puisque tout être contient en lui ceux qui l'ont précédé et transmettra, à son tour, son héritage aux suivants.

L'humour – cette mise à distance ô combien salutaire – s'invite à la matière linguistique des lettres assemblées de manière aléatoire pour faire jaillir des sens inattendus (Vide… Ovide, l'auteur justement des "Métamorphoses", Ecce… Women, etc.). Ou encore, lorsque dessinant un avatar humain jactant à qui mieux mieux, elle tend un micro sous son nez avant de lui clore le bec en effaçant sa caricature dessinée au tableau noir. Une claque sur le pif proéminent… pour rire de tous les tenants de l'anthropocentrisme qui ne conçoivent le monde qu'à travers le prisme du nombril humain.

© Charles-Henry Frizon Bottoms.
© Charles-Henry Frizon Bottoms.
Ainsi, débarrassée de l'empilage des injonctions oiseuses "alourdissant" l'homo sapiens ordinaire en lui faisant croire qu'il est supérieur aux autres espèces, elle tutoie les sphères aériennes en faisant sien le point de vue critique… du crocodile ! "Le crocodile nous remet à notre place, il fait fi de nos prétentions à être une espèce supérieure, extérieure à la chaîne alimentaire et nous incite à reconnaitre que nous sommes une espèce animale parmi d'autres et une source de nourriture qui n'est singulière qu'en raison de son arrogance". (Val Plumwood)… Mais si toutes ces certitudes erronées ressassées en boucle par l'espèce humaine pour faire croire à son (h)omni-importance s'effondrent, s'il n'y a plus rien à quoi se raccrocher, que reste-t-il ? Comment tenir ?

… Tenir en équilibre, suspendue très longuement à la force d'une seule main (véritable exploit physique) au cercle providentiel (ni début, ni fin mais un continuum de points) pour entrevoir les lignes du ciel et de la terre convergeant vers la même ligne d'horizon, point de rencontre entre l'infini et le fini. Un univers-monde toujours en (r)évolution autour d'un axe désaxé, et ne pouvant se réduire à une peau de chagrin, serait-ce celle de l'Homme.

Semblant littéralement flotter dans l'air, artiste et philosophe confondues dans la même enveloppe charnelle, Chloé Moglia donne à voir et à entendre l'insoupçonnable légèreté de l'être libéré du poids des a priori de supériorité cultivés comme viatique illusoire par son espèce. Dans son sillage, on se met, nous aussi, à rêver à l'effondrement de la pensée binaire créant les hiérarchies dans le monde vivant pour tenter de justifier tous les systèmes de domination et d'oppression. Une soirée solaire… où l'on se prend à danser avec un corps pensant.
◙ Yves Kafka

Vu le mardi 3 décembre 2024 à la Manufacture CDCN de Bordeaux.

"O"

© Charles-Henry Frizon Bottoms.
© Charles-Henry Frizon Bottoms.
Création 2022.
Conception et réalisation : Chloé Moglia.
Création musicale : Marielle Chatain.
Création lumière : Arnaud Lavisse.
Direction technique et collaboration artistique : Hervé Chantepie
Conception et construction de la structure : Éric Noel et Silvain Ohl
Régie son : Clément Crubilé.
Régie lumière : Michel Bertrand.
Voix enregistrées : Iseut Dubet et Chloé Moglia.
Par la compagnie Rhizome.
À partir de 8 ans.
Durée : 55 minutes.

Représenté du mardi 3 au mercredi 4 décembre 2024 à la Manufacture CDCN de Bordeaux (33), en coorganisation avec la Scène nationale Carré-Colonnes.

Tournée
10 et 11 décembre 2024 : La Passerelle - Scène nationale, Saint-Brieuc (22).
15 et 16 mai 2025 : Le Zef - Scène nationale, Marseille (13).

Yves Kafka
Lundi 9 Décembre 2024

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C'est en 1978, lors de son premier Festival d'Avignon, que Fabienne Pascaud découvre Bartabas. Pour ce dernier, c'est l'époque "Cirque Aligre", après le Théâtre Emporté et avant Zingaro. Surnommé Bartabas le Furieux, il véhicule déjà une certaine folie, à la fois créatrice et unique, et une grande curiosité. Sa créativité va très vite puiser son inspiration dans la richesse de l'ailleurs, dans les différents aspects du monde…

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© Pierre Gondard.
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© DR.
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