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Danse

"Murmuration" Géométrie poétique et envoûtante

Créateur et metteur en scène, Sadeck Berrabah, accompagnée d'une musique de T. Rex, nous emmène dans sa création dans un univers où mesures, angles, parallèles et perpendiculaires brillent de mille feux pour donner rythme et précisions à des mouvements qui, à force de répétition, deviennent presque envoûtants.



© Nathalie Couturier.
© Nathalie Couturier.
C'est le premier spectacle de Sadeck Berrabah. Et pourtant, il a déjà travaillé pour Shakira, Chris Brown, Black Eyed Peas, ainsi que pour des événements d'envergure comme celui de la passation entre Tokyo et Paris dans le cadre des Jeux olympiques et paralympiques 2024.

Emmené par 40 danseurs, "Murmuration" a une gestuelle essentiellement basée sur le haut du corps. Le reste intervient dans de rares occasions. Les regards et les visages sont les seuls éléments qui ondulent parfois en suivant les mouvements effectués. La géométrie de ces derniers étant très présente, une certaine fixité presque robotique apparaît, faisant des yeux et de leur intensité, la flamme humaine qui porte une expressivité indifférente, presque d'automate.

Les figures courbes se prêtent parfois aux chorégraphies. Elles se glissent dans le contour des mains où les paumes dessinent une virgule et s'envolent de temps en temps dans des frétillements des plus gracieux, comme celles d'ailes de libellules, quand le bas des bras, appuyé par le coude, reste bien fixe sur le support sur lequel il repose. Ainsi, la base reste plutôt statique quand les formes angulaires, souvent droites, s'enchaînent et où parallèles et perpendiculaires ponctuent celles-ci. Les avant-bras gauche et droit se rapprochent les uns vers les autres, pour redescendre sur une même ligne pour s'écarter ensuite en ligne droite et finir quelques fois en forme de croix.

© Nathalie Couturier.
© Nathalie Couturier.
Ils sont donc 40 artistes et ce sont 40 mouvements identiques avec parfois un tempo légèrement différent qui simulent une vague ou des ondulations qui parcourent les interprètes. Ainsi, la gestique se déplace de l'un vers l'autre, mais souvent celle-ci reste fixe, car chacun fait, quasiment durant toute la représentation, leur mouvement à la même place, les déplacements étant très peu présents.

Sur cinq, parfois six rangs, chaque artiste est disposé à côté d'acolytes, semblables les uns aux autres dans leurs gestuelles et toujours face public. Hors lors de deux solos, ce sont des répétitions à l'identique de bout en bout de la scène. Quand un coude se lève côté cour, c'est la même énergie, intensité et précision qui se fait côté jardin.

Les bras deviennent les axes principaux d'une série de chorégraphies qui a une même base composée d'un canevas de figures. Ceux-là sont les piliers de tout un ensemble de gestuelles où ce qui se joue ne se déroule, principalement, qu'entre l'épaule et la paume des mains en passant par le coude qui devient un axe rotatif. Il y a deux solos où se dégage un danseur côté cour et côté jardin à tour de rôle, où leurs bras et tout leur corps, dans une danse des plus physiques, font des gestes très saccadés, partant un peu dans tous les sens, la plante des pieds tapant avec énergie sur le sol. Comme pour amadouer une énergie indomptable.

On bascule ainsi à ce moment-là dans un rapport à l'autre et à l'espace différent. Se crée un échange entre une personne et un groupe quand auparavant, tous les interprètes formaient une troupe dans une relation scénique silencieuse et synchronisée. Lors de ces solos, tous sont debout, alors que bon nombre d'entre eux étaient assis précédemment. Les voix apportent aussi leur souffle quand, un moment, elles sont utilisées pour donner un rythme, quand, tous en chœur, les danseurs accompagnent en appui vocal nos solistes lors de leurs prestations, comme une bataille artistique entre eux.

© Nathalie Couturier.
© Nathalie Couturier.
Ils utilisent leur voix, alors qu'ils étaient silencieux, le corps habité en son entier et bougeant sur toute sa surface, alors que seuls les membres supérieurs bougeaient précédemment. Nous sommes sur des thématiques corporelles, relationnelles et musicales complètement en décalage par rapport au reste du spectacle. Cette rupture chorégraphique permet de donner un autre élan à la représentation. Celui qui était, pour chacun d'eux, à côté et avec qui ils faisaient élément d'un grand tout géométrique, devient à ce moment-là un allié, indépendant avec sa propre gestique, même si celle-ci est alimentée dans une même intention, celle d'apporter un soutien aux solistes.

Ainsi, cela s'humanise, le groupe devenant un public enthousiaste à ce moment-là quand auparavant, tout était très policé, ordonné, où chacun était maillon d'une même chaîne qui se répétait à l'identique comme une série d'individus sans personnalité ni caractéristique propre. Cet aparté permet de donner un cadre humain à un ensemble qui était quasi machinal.

Peu d'autres ruptures viennent bousculer ce cadre. Ce qui donne une légère impression de monotonie. Sur un pré carré corporel assez réduit, le spectacle apporte toutefois une beauté et une poésie certaine à celui-ci. La musique de T. Rex lui apporte un rythme presque envoûtant et l'habille d'un voile dynamique et entraînant avec une synchronisation qui apporte un timbre artistique essentiel à la gestique.

"Murmuration"

© Nathalie Couturier.
© Nathalie Couturier.
De Sadeck Berrabah.
Mise en scène et scénographie : Sadeck Berrabah.
Assistant Chorégraphe : Jibril Maillot.
Musique : T. Rex.
Création Costume : Losanje.
Cheffe Habilleuse : Anne-Violaine Suarez.
Accessoires : Sébastien Sfedj, Alexandre Laurence, Gaspard Bonnardel et Louison Léama.

Du 11 avril au 8 juillet 2023.
Du mardi au vendredi à 21 h, samedi à 15 h et 21 h et dimanche à 21 h.
Théâtre Le 13e Art, Grande Salle, Paris 13e, 01 48 28 53 53.
>> le13emeart

Safidin Alouache
Mercredi 10 Mai 2023

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© Jean-François Delon.
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