La Revue du Spectacle, le magazine des arts de la scène et du spectacle vivant. Infos théâtre, chanson, café-théâtre, cirque, arts de la rue, agenda, CD, etc.



Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte
Partager
Danse

"Mother's milk"… Corps à cœur

Venu tout droit d'Israël en compagnie du Kibbutz Contemporary Dance Company, Rami Be'er rend hommage dans son dernier spectacle à ses parents et à leur héritage culturel dans une représentation où les lumières et la scénographie dessinent un spectacle en clair-obscur.



© Eyal Hirsch.
© Eyal Hirsch.
C'est une troupe avec son lieu et son histoire. Le Kibbutz Contemporary Dance Company (KCDC) a été créé en 1973 par Yehudit Arnon (1926-2013), rescapée des camps de concentration. Elle s'installe dans le kibboutz Ga'aton, situé au sommet des collines de l'ouest de la Galilée, au nord d'Israël, dès son arrivée en Palestine, faisant de ce lieu un endroit de création et d'enseignement dont Rami Be'er prend la direction artistique en 1996 après avoir été danseur et chorégraphe au KCDC dès 1980. Ce lieu est surnommé "Le village international de la danse".

Rami Be'er, dans "Mother's milk", a une approche très physique avec des danses de groupe ou de couple, parfois unisexe. Ces duos tranchent avec l'arrière-fond scénique dans lequel est situé le groupe. Ils sont situés légèrement en décalé, presque jamais au centre et apportent, avec leurs jeux basés uniquement sur des ondulations, une cassure rythmique aux corps jamais droits, toujours courbes, à l'opposé des autres danseurs qui peuvent marcher, en rythme, têtes légèrement baissées, avec parfois de petits mouvements des membres supérieurs, comme des fourmis travailleuses qui grattent l'air de leurs avant-bras.

Nous sommes ainsi dans deux registres différents, comme si les duos étaient les ambassadeurs d'une liberté corporelle, jamais rigide en contact avec des partenaires sans en être dépendant. Ils forment un couple aux reflets inversés, tournant autour d'un axe imaginaire qui les rende complices alors que les danses de groupe sont dans une gestuelle plus "rigide", souvent symétrique où les contacts corporels sont là pour unifier sans toutefois être ni de rectitude ni angulaire.

Tout est mouvement et déplacement. Aucune fixité. L'espace est comme le temps, il semble défiler à chaque pas, rapide, très ancré au sol. Les sauts retombent toujours avec force, comme si l'air, à l'opposé des planches, n'était pas le pré carré des danseurs.

On s'accompagne, s'enlace ou s'enrégimente autour de gestuelles autant "contraignantes" que libératrices. Le corps-à-corps se veut créateur de force par des contraintes exercées dans les duos où les danseurs font des oscillations continuelles de tous leurs membres. On s'appuie sur l'autre pour se donner de l'énergie.

Autant les duos sont dans un face-à-face où les identités sont clairement revendiquées, autant pour le reste de la troupe, les artistes font socle commun, occultant leur "personnalité" dans une gestique où on se regarde sans se voir, où on se frôle sans se toucher.

Il y a ainsi deux thématiques relationnelles opposées, compagnons de "jeu" d'un côté et compagnons de "régiment" de l'autre. Les rôles, la fonction, les rapports sont différents dans chaque chorégraphie, dans la gestuelle et les déplacements ainsi que dans la position scénique. En face à face, les corps se touchent. La tension est peu palpable car nous sommes dans le touché ou plutôt le frôlé dans une dynamique "exploratoire" où le sujet artistique découvre son prochain dans un rapport à soi.

Dans les danses de groupe, le rapport se veut plus "ensemblier", plus grégaire où l'individu, la personne sont occultés à l'inverse du duo où le couple montre son existence dans sa différence, avec ni maître, ni esclave et une acceptation totale de l'autre. "Je te découvre en me découvrant. Tu es toi car je te fais mien" pourrait être leur crédo.

© Eyal Hirsch.
© Eyal Hirsch.
Les habits sont noirs sur des corps blancs avec une lumière balançant de la clarté à l'ombre dans des clairs-obscurs où l'un se marie à l'autre comme la poussière au germe, la vie à la mort, l'espoir au désespoir. Ces lumières, autour d'une chorégraphie qui mêle rotation et ondulation, donnent un sentiment de solidité instable. Les interprètes ont toujours des déplacements les mettant en déséquilibre. Soit l'autre est un compagnon de déséquilibre qui donne à son prochain une force à retrouver son équilibre dans le couple, soit il est un appui solide dans lequel l'équilibre est présent dès le départ avec une recherche dans l'instabilité pour trouver une identité dans le groupe.

À aucun moment, la chorégraphie se fige bien qu'un sentiment de fixité, dans le regard et la gestique, émane parfois, contrebalancé rapidement de bascules et d'ondulations, à la recherche désespérée d'un équilibre pour trouver une place, un lieu, un endroit où l'identité ferait corps avec elle-même. C'est physique tout en étant élégant, gracieux sans manquer de force. Un beau spectacle dans toute sa splendeur.

"Mother's milk"

Par la Kibbutz Contemporary Dance Company
Chorégraphie, décor et lumières : Rami Be'er.
Avec : David Ben Shimon, Lea Bessoudo, Tristan Carter, Shani Cohen, Salome Cynamon, Arianna di Francesco, Megan Doheny, Niv Elbaz, Ivillegas Galindo, Martin Harriague, Jungwoon Jung, Su Jeong Kim, Nathaly Kramer, Shelly Lemel, Ilya Nikurov, Yardem Oz, Jinhwan Seok, Nathaniel Wilson.
Son : Rami Be'er, Alex Claude.
Costumes : Rami Be'er, Liliach Hatzbani, May Asor.

A été joué du 13 au 17 juin 2018.
Théâtre de Paris, Paris 9e.

11 Juillet 2018 : International Dance Festival, Tivat, Montenegro.
12 Février 2019 : Herzliyah Performing Arts Center, Herzliyah, Israël.

>> kcdc.co.il
© Eyal Hirsch.
© Eyal Hirsch.

Safidin Alouache
Mardi 19 Juin 2018

Nouveau commentaire :

Théâtre | Danse | Concerts & Lyrique | À l'affiche | À l'affiche bis | Cirque & Rue | Humour | Festivals | Pitchouns | Paroles & Musique | Avignon 2017 | Avignon 2018 | Avignon 2019 | CédéDévédé | Trib'Une | RV du Jour | Pièce du boucher | Coulisses & Cie | Coin de l’œil | Archives | Avignon 2021 | Avignon 2022 | Avignon 2023 | Avignon 2024 | À l'affiche ter | Avignon 2025







À Découvrir

"Lilou et Lino Le Voyage vers les étoiles" Petit à petit, les chats deviennent l'âme de la maison*

Qu'il est bon de se retrouver dans une salle de spectacle !
Qu'il est agréable de quitter la jungle urbaine pour un moment de calme…
Qu'il est hallucinant de risquer encore plus sa vie à vélo sur une piste cyclable !
Je ne pensais pas dire cela en pénétrant une salle bondée d'enfants, mais au bruit du dehors, très souvent infernal, j'ai vraiment apprécié l'instant et le brouhaha des petits, âgés, de 3 à 8 ans.

© Delphine Royer.
Sur scène du Théâtre Essaïon, un décor représente une chambre d'enfant, celle d'une petite fille exactement. Cette petite fille est interprétée par la vive et solaire Vanessa Luna Nahoum, tiens ! "Luna" dans son prénom, ça tombe si bien. Car c'est sur la lune que nous allons voyager avec elle. Et les enfants, sages comme des images, puisque, non seulement, Vanessa a le don d'adoucir les plus dissipés qui, très vite, sont totalement captés par la douceur des mots employés, mais aussi parce que Vanessa apporte sa voix suave et apaisée à l'enfant qu'elle incarne parfaitement. Un modèle pour les parents présents dans la salle et un régal pour tous ses "mini" yeux rivés sur la scène. Face à la comédienne.

Vanessa Luna Nahoum est Lilou et son chat – Lino – n'est plus là. Ses parents lui racontent qu'il s'est envolé dans les étoiles pour y pêcher. Quelle étrange idée ! Mais la vie sans son chat, si belle âme, à la fois réconfortante, câline et surprenante, elle ne s'y résout pas comme ça. Elle l'adore "trop" son animal de compagnie et qui, pour ne pas comprendre cela ? Personne ce matin en tout cas. Au contraire, les réactions fusent, le verbe est bien choisi. Les enfants sont entraînés dans cette folie douce que propose Lilou : construire une fusée et aller rendre visite à son gros minet.

Isabelle Lauriou
15/05/2025
Spectacle à la Une

"Un Chapeau de paille d'Italie" Une version singulière et explosive interrogeant nos libertés individuelles face aux normalisations sociétales et idéologiques

Si l'art de générer des productions enthousiastes et inventives est incontestablement dans l'ADN de la compagnie L'Éternel Été, l'engagement citoyen fait aussi partie de la démarche créative de ses membres. La présente proposition ne déroge pas à la règle. Ainsi, Emmanuel Besnault et Benoît Gruel nous offrent une version décoiffante, vive, presque juvénile, mais diablement ancrée dans les problématiques actuelles, du "Chapeau de paille d'Italie"… pièce d'Eugène Labiche, véritable référence du vaudeville.

© Philippe Hanula.
L'argument, simple, n'en reste pas moins source de quiproquos, de riantes ficelles propres à la comédie et d'une bonne dose de situations grotesques, burlesques, voire absurdes. À l'aube d'un mariage des plus prometteurs avec la très florale Hélène – née sans doute dans les roses… ornant les pépinières parentales –, le fringant Fadinard se lance dans une quête effrénée pour récupérer un chapeau de paille d'Italie… Pour remplacer celui croqué – en guise de petit-déj ! – par un membre de la gent équestre, moteur exclusif de son hippomobile, ci-devant fiacre. À noter que le chapeau alimentaire appartenait à une belle – porteuse d'une alliance – en rendez-vous coupable avec un soldat, sans doute Apollon à ses heures perdues.

N'ayant pas vocation à pérenniser toute forme d'adaptation académique, nos deux metteurs en scène vont imaginer que cette histoire absurde est un songe, le songe d'une nuit… niché au creux du voyage ensommeillé de l'aimable Fadinard. Accrochez-vous à votre oreiller ! La pièce la plus célèbre de Labiche se transforme en une nouvelle comédie explosive, électro-onirique ! Comme un rêve habité de nounours dans un sommeil moelleux peuplé d'êtres extravagants en doudounes orange.

Gil Chauveau
11/03/2024
Spectacle à la Une

"La vie secrète des vieux" Aimer même trop, même mal… Aimer jusqu'à la déchirure

"Telle est ma quête", ainsi parlait l'Homme de la Mancha de Jacques Brel au Théâtre des Champs-Élysées en 1968… Une quête qu'ont fait leur cette troupe de vieux messieurs et vieilles dames "indignes" (cf. "La vieille dame indigne" de René Allio, 1965, véritable ode à la liberté) avides de vivre "jusqu'au bout" (ouaf… la crudité revendiquée de leur langue émancipée y autorise) ce qui constitue, n'en déplaise aux catholiques conservateurs, le sel de l'existence. Autour de leur metteur en scène, Mohamed El Khatib, ils vont bousculer les règles de la bienséance apprise pour dire sereinement l'amour chevillé au corps des vieux.

© Christophe Raynaud de Lage.
Votre ticket n'est plus valable. Prenez vos pilules, jouez au Monopoly, au Scrabble, regardez la télé… des jeux de votre âge quoi ! Et surtout, ayez la dignité d'attendre la mort en silence, on ne veut pas entendre vos jérémiades et – encore moins ! – vos chuchotements de plaisir et vos cris d'amour… Mohamed El Khatib, fin observateur des us et coutumes de nos sociétés occidentales, a documenté son projet théâtral par une série d'entretiens pris sur le vif en Ehpad au moment de la Covid, des mouroirs avec eau et électricité à tous les étages. Autour de lui et d'une aide-soignante, artiste professionnelle pétillante de malice, vont exister pleinement huit vieux et vieilles revendiquant avec une belle tranquillité leur droit au sexe et à l'amour (ce sont, aussi, des sentimentaux, pas que des addicts de la baise).

Un fauteuil roulant poussé par un vieux très guilleret fait son entrée… On nous avertit alors qu'en fonction du grand âge des participant(e)s au plateau, et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles de mourir sur scène, ce qui – on l'admettra aisément – est un meilleur destin que mourir en Ehpad… Humour noir et vieilles dentelles, le ton est donné. De son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV, va ar-ti-cu-ler son texte, elle qui a renoncé à son abonnement à la Comédie-Française car "ils" ne savent plus scander, un vrai scandale ! Confiant plus sérieusement que, ce qui lui manque aujourd'hui – elle qui a eu la chance d'avoir beaucoup d'hommes –, c'est d'embrasser quelqu'un sur la bouche et de manquer à quelqu'un.

Yves Kafka
30/08/2024